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Abus policiers : La loi devient plus stricte

May Al-Maghrabi, Mardi, 22 mars 2016

Dans le but de s'attaquer aux bavures policières, le gouvernement défère au parlement des amendements sur la loi de la police. Des amendements jugés positifs mais dont l'efficacité fait débat.

Abus policiers : La loi devient plus stricte
La nouvelle loi vise à rééquilibrer la relation entre les policiers et les citoyens. (Photo : AFP)

Le Conseil d’Etat vient d’achever la révision des amendements de la loi sur « le contrôle de la performance de la police » qui ont été soumis cette semaine au parlement. Ils devraient être discutés et approuvés avant d’entrer en vigueur. Les amendements introduits sur cette loi visent essentiellement à limiter les bavures de la police. Cette dernière a été récemment sujette à de vives critiques notamment à cause de l’impunité dont elle jouit. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi avait réclamé, en février dernier, de durcir les sanctions contre les policiers responsables d’exactions, sur fond de colère grandissante, en l’occurrence après qu’un agent de police avait tué par balle un jeune chauffeur au Caire le mois dernier. Le conseiller (juriste) Ahmad Qotb, responsable du secteur de la législation au Conseil d’Etat, explique que les amendements introduits sur la loi réglementent l’action de la police dans les rues et assure que tous ceux qui violent les droits des citoyens doivent rendre des comptes. Les amendements en question portent surtout sur le durcissement des peines et des sanctions disciplinaires contre les policiers qui commettent des abus (voir enc.). « L’enjeu de ces amendements est de retrouver l’équilibre nécessaire entre les exigences sécuritaires et le respect des droits et des libertés des citoyens », a-t-il précisé.

Rétablir l’ordre

L’ancien général de police, Ahmad Abdel-Halim, pour sa part, s’est félicité des nouveaux amendements qui, selon lui, contribueront à rétablir l’ordre au sein de l’institution policière et à réinstaurer la confiance entre policiers et citoyens. Les dérives policières ont été un facteur-clé responsable de la révolution de 2011 contre le régime de l’ancien président Hosni Moubarak. La police est souvent accusée par les organisations de défense des droits de l’homme de commettre des abus à l’encontre des détenus, qui demeurent largement impunis. Or, les pratiques en question n’ont jamais disparu. Alors que certains craignent le retour de l’Etat policier de Moubarak, d’autres considèrent que ces abus ne sont que des actes individuels, des cas isolés.

Dans un tel contexte, ces amendements devraient être considérés, selon Abdel-Halim, comme une preuve de la bonne volonté de la part du gouvernement et de la police. Cette dernière, d’après lui, semblerait vouloir agir dans le cadre de la loi et des principes de droits de l’homme et avoir la volonté de « s’auto-purger » des pratiques excessives de certains policiers qui nuisent à l’ensemble de la police. Abdel-Halim donne l’exemple de l’article 42 qui définit minutieusement les droits et devoirs des policiers et sanctionne tout abus de pouvoir. « Cet article barre la route à tous ceux qui remettent en cause le changement de la doctrine policière. Il exige clairement la conformité de l’exercice policier aux principes de droits de l’homme et détermine les droits et les limites des policiers. Depuis la révolution du 30 juin 2013, la police a décidé de tourner la page et est devenue la police du citoyen. Les abus recensés ne sont que des cas isolés et parfois imposés par les défis que relève cette institution sécuritaire dont ses membres sont visés nuit et jour par des attentats terroristes », assure-t-il. En revanche, d’autres estiment que ces réformes ne suffisent pas pour réinstaurer la confiance entre la police et les citoyens.

Il suffit de voir le comportement de certains membres de la police avec les citoyens pour se rendre compte de la réalité. C’est l’avis de l’avocat des droits de l’homme Mohamad Zarée, pour qui ces amendements ne touchent pas le fond du problème. « Derrière la brutalité policière, il y a toute une doctrine, des comportements, des instruments et une structure qui n’ont pas changé. Sans généraliser et sans minimiser les efforts et les sacrifices des policiers dans la lutte contre le terrorisme, une réalité s’impose : la police peine à changer et continue à commettre la même erreur que sous Moubarak en s’intéressant à la sécurité politique au détriment de la sécurité des citoyens. Et c’est là que réside le véritable problème : la police croit qu’en intimidant les opposants du régime, elle protège la sécurité du pays », explique Zarée. La solution, selon lui, c’est de remettre à plat la doctrine même de l’institution policière.

Ce qui manque

Zarée ne nie pas que les amendements sont positifs mais ce qui manque est le mécanisme qui garantit leur application. « L’exigence du ministère de l’Intérieur de déférer à la justice les policiers impliqués dans des crimes de torture ou d’autres repose uniquement sur la conscience ou la volonté du responsable. Alors qu’il est nécessaire d’avoir des moyens ou un mécanisme garantissant l’application automatique de la loi », note Zarée. A cet égard, il propose la création d’un comité indépendant pour l’inspection régulière et à l’improviste des lieux de détention. « Ce comité doit être indépendant des organismes exécutifs et judiciaires de l’Etat et pourra être formé de juristes, psychologues et représentants des organisations de droits de l’homme. Le comité doit aussi être autorisé à recevoir les plaintes des détenus et les transmettre directement au parlement », ajoute-t-il. L’ancien général de police, Mahmoud Qatari, expert sécuritaire, revendique aussi des changements institutionnels plus profonds. Selon lui, il faut passer en revue le dossier de chaque membre de la police : séparer les agents qui peuvent poursuivre leurs fonctions de ceux qui doivent être recadrés ou limogés. « Comme dans toute organisation policière, les rangs inférieurs suivent les ordres. Il ne sert à rien de les écarter. Les réformes doivent concerner la structure et se faire au niveau du leadership. C’est le seul moyen d’engendrer un réel changement dans le comportement de la police », explique-t-il. Améliorer la formation des forces de police, renforcer la transparence financière et la surveillance civile sont également, selon Qatari, des mesures nécessaires qui devraient impérativement faire partie d’une réforme des services de la police.

Il propose aussi de se servir des organisations telles que l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, OSCE) qui a des programmes de réforme des secteurs policiers pour la formation et l’entraînement des policiers égyptiens. Pour Zarée, « la réforme de la police est un processus long et qui requiert un engagement politique important. Apaiser plutôt que réformer la police ne fera qu’élargir davantage le fossé entre citoyens et policiers ».

Le détail des amendements

Les amendements de la loi régissant l’activité de la police exigent désormais que les policiers respectent la Constitution, la loi et les principes des droits de l’homme en exerçant leur métier. Parmi les amendements figurent l’interdiction aux agents de police de garder leurs armes hors des heures de service, le durcissement des sanctions disciplinaires à leur encontre ainsi que l’accélération des procédures qui traduiront en justice les policiers impliqués dans ces violations. Les amendements interdisent aussi le recours à la force létale ou l’usage d’armes sauf dans les cas autorisés par la loi dont la défense de la vie lors des missions sécuritaires. Dans le but d’assurer la neutralité et la droiture des policiers, l’article 42 détermine un nombre d’actes interdits aux officiers, avec entre autres : l’interdiction d’adhérer à ou de créer toute entité politique, syndicale ou religieuse. Il est également stipulé que tout policier qui s’absente pendant 30 jours sans autorisation sera automatiquement limogé. L’article interdit également aux officiers de profiter de leurs positions pour porter atteinte à la dignité d’un citoyen ou de violer ses droits et libertés garantis par la Constitution. Toujours en vertu du même article, il est interdit aux policiers de divulguer des secrets professionnels ou des documents relatifs à leur travail, que ce soit aux médias ou au public. En cas d’infraction, le policier en question risque une peine de prison et une amende allant de 10 000 à 20 000 L.E. D’autres sanctions disciplinaires sont prévues à l’article 77. Elles varient entre l’avertissement, des travaux supplémentaires, une réduction des salaires, l’ajournement des primes et le licenciement. En vu d’écarter les officiers qui ne respectent pas les règlements internes et les lois, l’article 102 a été modifié pour donner au ministre de l’Intérieur le droit de déférer à un poste administratif tout policier qui se démarquerait des règlements internes ou de la loi. L’article précise que la poursuite du service des policiers sera liée à l’évaluation régulière de leurs comportements et leur conformité aux règlements de l’institution policière exigeant le respect des droits de l’homme. Le ministère de l’Intérieur a le devoir d’informer immédiatement le Parquet général de tout délit, crime ou infraction commis par n’importe quel policier pour que des mesures soient prises à l’encontre de ce dernier. Le policier accusé doit dans ce cas être maintenu sur son lieu de travail pour une période qui n’excède pas 24 heures afin ensuite d’être déféré au Parquet général.

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