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Bruno Maes : L’Egypte a fait beaucoup de progrès concernant les droits de l’enfant

Heba Zaghloul, Mercredi, 13 janvier 2016

Bruno Maes, nouveau représentant de l’Unicef au Caire, revient sur le rôle de cette institution en Egypte pour protéger les droits de l’enfant.

Bruno Maes
Bruno Maes, nouveau représentant de l’Unicef au Caire.

Al-Ahram Hebdo : Vous avez représenté l’Unicef dans plusieurs pays africains, l’Egypte fait-elle face aux mêmes défis que ces pays ?

Bruno Maes : L’Egypte est un pays à revenu intermédiaire contrairement aux autres pays africains, où j’ai été affecté comme le Burundi, l’Ethiopie, Madagascar et le Tchad, qui ont des revenus plus faibles. Bien sûr, il y a des similarités, notamment la pauvreté, mais aussi des différences. Le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans par exemple est moins élevé en Egypte que dans ces pays. L’Egypte a fait beaucoup de progrès au cours des 15 dernières années à ce niveau. Les taux de mortalité infantile et maternelle ont également baissé. L’accès à l’éducation et le taux de scolarité sont également plus élevés en Egypte, atteignant un taux de 90 %.

— Le rôle de l’Unicef se limite-t-il à conseiller les gouvernements ?

— Le rôle de l’Unicef est de promouvoir les droits des enfants. Nous sommes là pour soutenir les gouvernements, les accompagner afin qu’ils mettent en place des politiques et des stratégies nationales de protection de l’enfance. Nous fournissons une expertise technique, des ressources humaines, mais aussi des ressources financières. Un budget de 10 millions de dollars est consacré annuellement à l’Egypte. La contribution financière est importante, mais appuyer et influencer les décisions du gouvernement pour que les réformes nécessaires soient entreprises sont tout aussi importants. Nous fournissons un appui stratégique à long terme.

— Comment cette aide se traduit-elle sur le terrain ?

— Je peux donner l’exemple de Takaful Al-Karama. En tant qu’Unicef, nous apprécions les efforts du gouvernement dans le domaine de la protection sociale à travers des programmes de soutien aux plus démunis. Karama est destiné à aider les personnes âgées et Takaful s’occupe des familles les plus pauvres et qui ont des enfants. L’Unicef aide le gouvernement à mettre en place ces programmes et voir s’ils atteignent les couches les plus pauvres, s’ils intègrent les enfants les plus démunis. Nous travaillons avec le ministère égyptien de la Solidarité sociale. Il y a en Egypte 9,2 millions d’enfants qui vivent en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 10 L.E. par jour, et 7,5 millions qui vivent avec 10 à 14 L.E. Le programme Takafol ne s’adresse qu’aux 9,2 millions. Donc, nous plaidons avec le gouvernement égyptien auprès de la Banque mondiale et ses partenaires, pour pouvoir intégrer à ce programme les autres enfants.

— Quels sont les moyens dont dispose l’Unicef pour, d’une part, évaluer son action sur le terrain, et d’autre part, surveiller l’utilisation des fonds qu’elle octroie ?

— Le contrôle et l’évaluation sont très importants pour l’Unicef et sont constamment renforcés. Prenons l’exemple du secteur de la santé. Nous utilisons le Monitoring Results for Equity System (MRES), c’est une approche globale créée par l’Unicef pour contrôler et évaluer les programmes du gouvernement ainsi que les ressources, celles de l’Unicef incluses. Il faut savoir que le gouvernement et les Nations-Unies ont convenu à adopter une approche commune concernant le transfert de fonds. Donc, n’importe quel argent transféré au gouvernement passe par un processus global et standard sur lequel les gouvernements sont d’accord. Beaucoup d’efforts sont exercés par les gouvernements et l’Unicef pour déterminer à quelles fins l’argent sera dépensé. L’accent est mis sur le plan détaillé et sur les actions à accomplir pour réaliser ce plan. Si par exemple le but est de vacciner un demi-million d’enfants contre la rougeole, alors on fait des vérifications aléatoires pour s’assurer que les vaccinations ont bien eu lieu. Ceci sans compter le fait que l’Unicef est sujet à des audits internes et d’autres externes, une fois par an, menés par différents pays, à tour de rôle.

— Qu’en est-il de l’éducation ?

— L’éducation est une priorité pour l’Unicef. Il y a 320 000 enfants égyptiens âgés entre 6 et 10 ans qui ne sont toujours pas scolarisés. La ministre égyptienne de la Solidarité sociale a récemment signé un accord avec l’Union européenne pour l’octroi de 30 millions d’euros à l’Egypte, qui pourront être déboursés par l’Unicef, pour soutenir le ministère égyptien de l’Education. Nous pourrons ainsi aider les enfants les plus vulnérables à avoir accès à l’éducation et créer des écoles communautaires, sortes d’écoles alternatives destinées aux enfants qui ne peuvent pas aller à l’école publique.

— Quel rôle joue l’Unicef au niveau de la détention des mineurs ?

— Cette année, il y a eu un peu moins de 500 mineurs qui ont été détenus pendant 15 jours en moyenne. L’Unicef a l’autorisation du gouvernement pour donner une assistance juridique à ces mineurs. Nous leur fournissons aussi nourriture et vêtements. Nous avons désormais accès aux lieux de détention de ces enfants. Chaque semaine, nous visitons une dizaine de commissariats. Nous avons de bonnes relations avec la police, et un partenariat avec des avocats qui ont pour rôle de libérer ces enfants.

— Où en est l’Egypte concernant l’excision ?

— Depuis la loi interdisant l’excision, il y a eu des progrès, un recul de 10 % du taux d’excision. Pour les jeunes filles âgées entre 15 et 17 ans, le taux d’excision est passé de 74 % en 2008 à 61 % en 2014. Pourtant, en dépit du fait que la mutilation génitale féminine (MGF) soit interdite par la loi, sa pratique par les médecins a augmenté, alors que cela ne devrait jamais être une pratique médicale.

— Ces chiffres sont inférieurs à ceux avancés par certaines ONG qui parlent d’un taux de 91 % ...

— C’est une utilisation erronée des données. Elle ne montre pas les progrès réalisés. Le fait que le taux d’excision reste stable à 90 ou à 91 % pour les adultes âgés entre 15 et 49 ans n’est pas révélateur, car ces personnes ont déjà subi l’opération et continuent à faire partie de la population. En revanche, pour pouvoir correctement évaluer le changement, il faut observer la tranche d’âge comprise entre 15 et 24 ans, juste après la période à risque (où l’opération pourrait avoir lieu). Car si on ne se concentre que sur les adultes, on ne pourra jamais voir le changement.

— Qu’en est-il des enfants des rues ?

— Nous travaillons avec le Conseil national de l’enfance et de la maternité, et le ministère de la Solidarité sociale. On ne connaît pas vraiment leur nombre. Les sources officielles parlent de quelques milliers d’enfants, alors que les chiffres non officiels avancés par les ONG sont beaucoup plus élevés. C’est un phénomène très difficile à évaluer. Il faut définir d’abord ce qu’est un enfant de la rue. Est-ce un enfant qui vit dans la rue la plupart du temps et qui rentre chez lui ? D’après les partenaires avec qui nous travaillons, il y aurait peut-être plusieurs dizaines de milliers d’enfants qui sont dans cette condition, mais nous n’avons pas de chiffre exact. Nous nous concentrons donc sur les facteurs qui sont à l’origine de ce phénomène, principalement la pauvreté et la violence à la maison. Nous essayons de faire de sorte que leur nombre n’augmente pas.

— Concrètement, que fait l’Unicef pour la protection de ces enfants ?

— Nous travaillons avec les ONG qui fournissent des services et des abris aux enfants, à condition bien sûr que ces derniers acceptent. Nous avons mis en place le projet pilote des comités de protection de l’enfant à Alexandrie en 2007. Ce fut un succès. Ces comités fournissent un réseau de protection pour les enfants. Ce projet a été adopté par le gouvernement. Mais il y a un déficit budgétaire qui empêche sa mise en oeuvre dans tout le pays. Les 30 millions d’euros que l’Union européenne va octroyer à l’Egypte serviront, entre autres, à fiancer ce projet.

— Le gouvernement coopère-t-il avec l’Unicef ? Et quelles sont les limites de cette coopération ?

— Je suis là depuis septembre, les relations et la communication avec le gouvernement sont excellentes. J’ai pu rencontrer 6 ministres depuis mon arrivée. Le problème est surtout la lenteur des procédures. Le défi est donc d’accélérer la mise en oeuvre des clauses relatives à la protection de l’enfant dans la Constitution de 2014, et aussi d’appliquer progressivement les décisions fondées sur la loi de la protection de l’enfant de 2008. Par exemple, il y a eu un décret en 2015 réglementant la discipline dans les écoles, le défi est de le mettre en oeuvre. Même chose pour le réaménagement des écoles pour recevoir des enfants handicapés et former les professeurs.

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