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Nil : Interminables négociations

Ola Hamdi, Mardi, 29 décembre 2015

Tandis que l'Egypte, le Soudan et l'Ethiopie tenaient des négociations sur le barrage de la Renaissance à Khartoum, Addis-Abeba détournait le cours du Nil Bleu.

Nil

Réunis les 27 et 28 décembredans la capitale soudanaise, Khartoum, les ministres des Affaires étrangères et de l’Irrigation de l’Egypte, du Soudan et de l’Ethiopie, réunis, ont décidé lundi de prolonger leurs discussions d’un jour. La réunion en question visait à résoudre les questions en suspens relatives à la construction du barrage éthiopien de la Renaissance et son impact sur la sécurité hydrique des pays de l’aval, à savoir l’Egypte et le Soudan. Au terme du premier jour des discussions, le président soudanais Omar Al- Bachir avait rencontré les ministres des Affaires étrangères de l’Egypte, et de l’Ethiopie séparément, dans une tentative de rapprocher les points de vue. Le Caire craint un éventuel impact négatif du barrage sur son approvisionnement en eau, et exige l’élaboration de toute urgence d’une feuille de route technique, qui prenne en compte ses préoccupations.

Le problème remonte à 2010, quand l’Ethiopie avait annoncé son intention de construire un grand barrage sur les eaux du Nil Bleu, le barrage de la Renaissance, afin de produire de l’électricité et d’irriguer de nouveaux terrains agricoles. Le projet a soulevé l’inquiétude de l’Egypte, qui craint des effets négatifs sur sa part dans les eaux du Nil. Après des négociations difficiles, l’Egypte, le Soudan (l’autre pays concerné par l’impact du barrage) se sont accordé, avec l’Ethiopie, à recourir à deux cabinets de conseil européens, un français et un hollandais, afin d’effectuer une étude sur l’impact du barrage. Et un accord de principe a été signé le 23 mars dernier, à Khartoum, obligeant les trois pays à respecter les résultats des études élaborées par les deux bureaux.

Or, suite à des divergences entre les deux cabinets de conseil, le Hollandais a annoncé son retrait du projet, mettant ainsi l’Egypte dans une mauvaise passe d’autant que les travaux de construction du barrage se poursuivent. Dimanche à Khartoum, l’Egypte a exigé le respect de l’article 4 de l’accord de principe stipulant qu’aucun Etat ne doit affecter les intérêts des autres Etats riverains, et a réitéré ses demandes concernant l’urgence d’effectuer les études techniques du barrage.

« Il a été convenu de choisir un cabinet français à la place du cabinet hollandais qui s’est désisté. Ce cabinet réalisera 30 % de l’étude technique sur le barrage, tandis que l’autre cabinet français effectuera 70 %. Nous avons demandé à ce que des contacts soient pris d’urgence avec les deux cabinets de conseil et exigé un calendrier clair et rapide pour la réalisation de l’étude », affirme une source ayant requis l’anonymat au sein de la délégation égyptienne présente à Khartoum.

Eviter tout effet négatif

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Photo: Reuters

Les discussions portent à présent sur le principe de coopération dans le remplissage et la gestion du barrage. Le Caire exige en effet le respect de certains critères dans le remplissage et la gestion du barrage, de manière à éviter tout effet négatif sur son approvisionnement en eau. Alors qu’Al-Ahram Hebdo était sous presse, les négociations étaient toujours en cours. Selon des sources soudanaises, de nouvelles négociations auront lieu dans deux semaines. Le comité technique composé de l’Egypte, de l’Ethiopie et du Soudan visitera le barrage la semaine prochaine à la demande de l’Egypte.

Le Caire est en effet opposé à l’augmentation du nombre de portes du barrage pour augmenter les flux de l’eau. Le gouvernement éthiopien avait annoncé, samedi, un nouveau détournement du cours du Nil Bleu pour faire passer l’eau pour la première fois dans le barrage, après l’installation de deux générateurs d’électricité. En 2013, l’Ethiopie avait détourné le cours du fleuve pour permettre la construction du barrage. Les Ethiopiens affirment que le détournement du cours du fleuve cette semaine ne vise pas à stocker l’eau, mais qu’il s’agit d’une mesure technique nécessaire pour la construction du barrage. « Nous ne pouvons pas arrêter les travaux de construction sur le site du barrage, mais nous sommes déterminés à faire réussir les négociations avec l’Egypte et le Soudan », déclarait un responsable éthiopien.

En 18 mois, l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie ont tenu en tout 11 réunions pour tenter de régler les questions en suspens sur le barrage. Mais jusqu’à présent, l’Egypte n’a rien obtenu de concret, alors que les travaux de construction du barrage se poursuivent, pensent certains experts. « L’Egypte n’a pas réussi à faire pression sur l’Ethiopie. Ce sont plutôt les Ethiopiens qui ont fait pression sur l’Egypte », affirme Diaaeddine Al-Qoussi, conseiller de l’ancien ministre de l’Irrigation. « Les études techniques sur le barrage auraient dû être achevées en mai dernier. Et c’est l’Egypte qui paiera le prix de ce retard. Si l’Ethiopie construit le barrage avec les spécifications indiquées au départ, c’est-à-dire avec une hauteur de 145 mètres et une capacité de stockage de 74 milliards de mètres cubes d’eau, l’Egypte perdra 20 % de sa part en eau, et connaîtra une diminution de sa production en énergie électrique, ainsi qu’une détérioration de son environnement agricole et aquatique au Nord du Delta.

Ces impacts négatifs seront confirmés par n’importe quel bureau de consultation, et c’est pour cette raison que l’Ethiopie n’est pas pressée d’achever les études techniques sur le barrage », affirme Al-Qoussi. Et d’ajouter : « L’Egypte doit s’engager dans la voie juridique à côté des négociations ». Selon le spécialiste des affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, Hani Raslan, la stratégie égyptienne basée sur la flexibilité et la confiance n’a pas eu les résultats escomptés, et Addis-Abeba a utilisé le temps à son avantage. « Il n’y a pas eu de véritables progrès au cours de ces réunions parce que l’Egypte a accepté le fait accompli, et cela lui a fait perdre toutes les cartes de pression qui étaient en sa possession », affirme Raslan. Et d’ajouter : « Chaque jour qui passe réduit la capacité de l’Egypte à se replacer dans cette question du barrage ».

Situation très difficile

Selon Nader Noureddine, expert des ressources en eau et professeur d’agronomie, à l’Université du Caire, la situation est très difficile, car l’Egypte ne sait toujours pas quel sera son quota d’eau à la fin de la construction du barrage. « Le changement du cours du Nil Bleu est une violation par l’Ethiopie de la déclaration de principes. C’est une attitude provocatrice de la part de l’Ethiopie et elle est intervenue à la veille des négociations. C’est comme si le Nil Bleu lui appartenait seulement », analyse Noureddine.

« L’Ethiopie ne respecte pas les accords. Elle a fait la même chose avec le Kenya. Elle a construit un barrage sur les plateaux éthiopiens qui a soulevé les craintes du Kenya. Je crois qu’il faut que la communauté internationale soit plus ferme avec l’Ethiopie », ajoute-t-il. Il critique la stratégie égyptienne qui se contente de choisir de nouveaux bureaux de consultation techniques.

« C’est un gaspillage de temps. Cette stratégie aide l’Ethiopie dans sa procrastination d’autant plus que l’ouverture de la première phase du barrage est prévue en juin prochain, c’est-àdire bien avant l’accomplissement des études techniques. L’Egypte aurait dû demander l’arrêt immédiat des travaux de construction du barrage jusqu’à ce que les études techniques soient achevées », propose Noureddine. La seule solution pour lui est de porter la question devant les instances internationales.

« Je suis d'avis sur le fait que la seule option pour l’Egypte est de porter la question devant les instances internationales et d’engager une plainte urgente au Conseil de sécurité pour réclamer l’arrêt des travaux de construction du barrage. L’Egypte peut aussi déposer une plainte auprès de l’Union africaine et tenter de mobiliser l’opinion publique mondiale pour expliquer au monde la situation », conclut Noureddine, membre du comité national du Nil, composé de 17 experts en ressources hydriques et en droit international, qui a tenu récemment une réunion à l’Université du Caire pour examiner la question du barrage.

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