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L’aube rouge

Najet Belhatem, Mercredi, 16 décembre 2015

Les revendications sociales ou les petites révolutions culturelles ne mèneront à rien sous des régimes totalitaires. Les pays arabes sont sans alternatives face à un avenir flou. La récession en Arabie saoudite cause des licenciements massifs. Le cru de la semaine.

Le site libanais en ligne Al-Modon propose cette semaine un long entretien avec Hazem Saghia, journaliste et auteur de renom qui a publié plusieurs ouvrages sur le Liban et le monde arabe, le dernier en date étant Les Origines historiques des soulèvements arabes. Connu pour ses positions tranchées, Saghia s’est d’abord attaqué à l’amalgame des concepts dans la région : « Les opposants au libéralisme ont donné à ce terme un sens mesquin et très simpliste. Selon eux, le libéralisme c’est d’être avec les Etats-Unis et Israël contre les pauvres et l’islam, ce qui n’a rien à voir avec la réalité et la complexité de la situation ».

Pour ce qui est du concept du changement dans le Moyen-Orient, l’auteur avance que vu que les régimes totalitaires se sont imposés en s’appuyant sur une faction de la société aux dépens des autres, « cela pose la question du changement qui mène inéluctablement à poser la question de l’unité nationale. Et cela est en soi la grande réussite de ces régimes, car ils peuvent faire chanter les adeptes du changement en levant le spectre de la guerre civile. Et c’est là, je crois, que ceux qui soutiennent la révolution ont raté le coche : ils se sont piégés en croyant qu’il suffisait de transposer l’expérience occidentale sans regard pour la donne sociale fragmentée ».

Saghia en arrive à faire ressortir un autre amalgame : entre la liberté, qui est un concept philosophique, et la démocratie, qui est un concept institutionnel. Et face à l’hypothèse de voir de petites révolutions, faute des soulèvements qui ont mené au chaos, nourries souvent par des revendications sociales ou corporatistes, changer le visage du monde arabe, Saghia affiche un scepticisme sans réserves. « Il y a à ce niveau deux grands problèmes dans notre région. D’abord les changements sociaux ne se reflètent pas facilement sur le pouvoir politique, la société peut devenir plus instruite, mais les dirigeants restent les mêmes et proposent leur progéniture pour la relève. Cela découle de la nature totalitaire des régimes. L’autre problème, lié au premier, a trait au fait que les régimes politiques chez nous ne sont aucunement neutres à l’égard de la société, ils s’ingèrent dans tout. C’est pour cela que ceux qui comptent sur des révolutions culturelles et autres, sans poser la question de la chute du totalitarisme comme condition à l’épanouissement culturel se trompent lourdement».

Le Royaume au chômage

Dans le quotidien Al-Hayat paraissant à Londres et d’obédience saoudienne, nous avons un article intéressant et révélateur de la situation interne dans la monarchie saoudienne. L’auteur, un économiste, y fait état d’une vague de licenciements pour raison économique. « Selon les révélations de la presse, la société Bin Laden a licencié la semaine dernière 15 000 employés, et on ne sait pas si cette main-d’oeuvre est nationale ou étrangère. Le journal Okaz (saoudien) a, quant à lui, parlé lundi dernier d’une société à La Mecque qui avait licencié 3 000 employés saoudiens. Les médias ont aussi rapporté des photos de rassemblements d’employés et d’ouvriers à l’hôpital Saad, qui refusaient de reprendre le travail à cause d’un retard de trois mois dans le paiement de leurs salaires ».

L’auteur note que le ministère de la Main-d’oeuvre est dans une position délicate. « Si la période de boom de l’économie saoudienne durant les 12 dernières semaines a réussi à camoufler les déséquilibres, la phase de récession va dévoiler que ce que nous voyons aujourd’hui n’est que la partie émergée de l’iceberg ». Il ajoute que cette phase de récession va être accompagnée d’un gel des offres d’emploi de la part des sociétés privées. « Il est prévisible que les sociétés et les institutions vont diminuer davantage leur main-d’oeuvre suite à la baisse de leurs gains. Nous assisterons durant les deux ou trois prochaines années à une vague de licenciements qui toucheront aussi la main-d’oeuvre saoudienne ».

Chiite ? Sunnite ? Prison !

Toujours dans la région, le Sultanat d’Oman serait un modèle à suivre en matière de coexistence pacifique entre les rites et les confessions, selon un article paru dans le journal Al-Safir. « Demander à quelqu’un sa confession ou son rite est contraire à la loi dans le Sultanat d’Oman », écrit l’auteur Mohamad Mahmoud Mortada. « La question est passible de peine de prison. Les autorités omanaises ont pris cette initiative pour protéger l’Etat et le peuple de l’ouragan de conflits confessionnels qui frappe les mondes arabe et musulman. Le Sultanat, qui joue le rôle de médiateur pour rapprocher les parties en conflit dans la région, est bien conscient du danger, d’autant plus que la société omanaise est composée de plusieurs confessions musulmanes qui vivent sur cette terre depuis des centaines d’années ».

L’auteur ajoute que la majorité des pays ont des lois qui incriminent le confessionnalisme, « mais cela n’a pas empêché sa propagation. Or, ce qui distingue le Sultanat c’est l’harmonie entre la société et les politiques de son gouvernement». Selon lui, les dirigeants omanais ne véhiculent pas dans leurs discours la haine et le confessionnalisme.

Pas de jour nouveau mais beaucoup de rouge

Justement, en parlant des batailles en cours dans la région, un article publié dans le journal égyptien Al-Shorouk et repris par le centre de recherche Rawabet spécialisé dans l’analyse politique de la situation en Iraq et dans le monde arabe, l’auteur et analyste Gamil Mattar affiche, comme Saghia plus haut, le pessimisme. « J’ai entendu que durant la réunion périodique des ministres des Affaires étrangères arabes en marge des réunions de l’Assemblée générale de l’Onu, ils ont eu de vagues discussions sur les crises du Moyen-Orient. La discussion n’avait pas pour but de trouver une solution quelconque ou des alternatives. Il est fort probable qu’elle a eu lieu par courtoisie pour un membre qui l’a demandée ».

Pour l’auteur, l’avenir de la région nage dans le brouillard. Ce ne sont pas les Arabes seulement qui n’ont pas de solutions, mais les dirigeants du monde également. « Les ministres sont sortis avec des sourires jaunes et, dans leur coeur, des intentions et des doutes … peut-être du désespoir, et sûrement de l’indifférence ».

Le chiffre de la semaine c’est le 13, date de l’arrestation par les Américains de Saddam Hussein en décembre 2003. « Les marines l’ont débusqué dans une ferme à Tikrit, et il n’a opposé aucune résistance. L’opération à laquelle ont participé des soldats américains portait le nom de l’aube rouge », écrit le jour­nal Al-Masry Al-Youm. L’aube n’a pas donné de jour nouveau, et tous les signaux sont au rouge.

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