La commission des affaires constitutionnelles et législatives du Conseil consultatif a approuvé en première lecture la nouvelle loi électorale, devant notamment régir les législatives prévues en avril prochain. Le texte devrait être finalisé dans deux semaines avant de passer devant la Haute Cour constitutionnelle qui doit juger de sa constitutionnalité. Le président du Conseil, Ahmad Fahmi, a appelé les forces politiques à présenter leurs propositions sur les clauses de la nouvelle loi.
La nouvelle loi électorale maintient le principe de scrutin mixte répartissant les deux tiers des sièges au scrutin proportionnel et le tiers au scrutin uninominal. C’est par ce mode de scrutin mixte que les islamistes ont raflé une majorité des sièges lors des législatives de 2011.
Pour sa part, le ministre adjoint de la Justice, Omar Al-Chérif, a indiqué que la nouvelle loi vise à « réaliser les objectifs de la révolution en permettant une compétition transparente entre les diverses forces politiques ». Toujours d’après Al-Chérif, les amendements introduits à la loi électorale prévoient l’annulation de la nomination par le président de la République de dix députés à l’Assemblée du peuple, mais maintiennent le quota des ouvriers et des paysans au sein de l’Assemblée à hauteur de 50 %, conformément à la Constitution.
Toutefois, la loi donne une nouvelle définition des « paysans et ouvriers » en y incluant toute personne salariée. Une définition « vague » selon l’opposition et qui permettrait de mettre sous cette étiquette les employés et les hauts fonctionnaires. Quant aux femmes, la loi a annulé le récent quota obligatoire tout en exigeant la présence d’une candidate au moins sur chaque liste.
Sont également stipulées dans le texte la surveillance judiciaire sur les élections ainsi que l’indépendance administrative et financière de la commission électorale.
Des revendications négligées
L’opposition émet maintes réserves sur ce projet de loi qui a négligé ses revendications. Elle est, en effet, en faveur d’un mode unique de scrutin de liste. Les opposants dénoncent également « l’ambiguïté » des articles relatifs à la surveillance du scrutin par la justice, les ONG et les représentants des partis politiques lors des différentes étapes du scrutin. Autres points de discorde : la répartition des circonscriptions, l’absence d’articles incriminant les propagandes électorales dans les lieux de culte, les peines non dissuasives concernant les abus et les irrégularités au cours des élections, le refus d’octroyer à la femme une place privilégiée en tête des listes ainsi que l’absence d’un plafond dans le financement des campagnes électorales.
Selon Hussein Abdel-Razeq, cadre du Parti du Rassemblement (gauche), le mode de scrutin mixte favorise les partis islamistes — surtout celui des Frères musulmans — qui sont mieux organisés et possèdent d’énormes moyens financiers.
« Si on a toujours réclamé un scrutin de liste, c’est parce qu’il s’agit de la formule la plus adéquate permettant une compétition équilibrée entre les partis politiques loin de l’influence de l’argent ou des liens tribaux », explique Abdel-Razeq.
Le scrutin de liste « intégral » exige, en effet, que chaque parti présente un nombre de candidats équivalent au nombre de sièges consacrés à chaque circonscription. « Le mode scrutin vers lequel nous allons sera favorable aux partis islamistes qui possèdent des financements importants dont ne disposent pas la majorité des partis libéraux », explique Abdel-Razeq.
« Le projet de loi permet aux candidats membres de partis politiques de se présenter en tant qu’indépendants. Cela porte atteinte à l’équité des chances et rend la compétition des indépendants non affiliés à un parti très difficile », ajoute-t-il.
Pour les opposants, le découpage des circonscriptions constitue une autre « manipulation flagrante » destinée à assurer une supériorité aux islamistes. En effet, le nombre de sièges attribués à chaque circonscription n’est pas proportionnel au nombre d’électeurs. Le gouvernorat d’Assouan, à titre d’exemple, où les islamistes ont eu un score relativement faible lors des précédentes élections législatives, compte 853 000 électeurs et disposera de 6 sièges à la prochaine Assemblée alors que Damiette (qui a voté massivement pour les Frères) aura 12 sièges pour 840 000 électeurs.
L’intégrité non assurée
Le plus inquiétant reste que la nouvelle loi n’offre pas, selon l’opposition, les garanties nécessaires pour assurer l’intégrité des élections. La principale garantie réside dans la surveillance judiciaire et civile de toutes les phases du processus électoral. Mais selon Essam Chiha, membre du haut comité du parti néo-Wafd (libéral), la nouvelle loi n’exige pas la présence d’un juge devant chaque urne et n’impose pas de contrôle judiciaire complet du processus de dépouillement des voix à travers le pays. « Cette ambiguïté laissera la porte ouverte à toutes les infractions, comme c’était le cas lors du récent référendum sur la Constitution. Par ailleurs, la nouvelle loi n’a pas durci les peines prévues en cas de fraude », déplore Chiha. Seules des amendes sont prévues en cas d’infraction.
Badr Charaf, du Parti des Egyptiens libres et membre du Front du salut national estime que la nouvelle loi ne vient en rien pallier les lacunes de l’ancienne. « La loi sera adoptée non seulement au détriment des forces libérales, mais surtout au détriment des principes de la démocratie et de l’alternance du pouvoir. Au nom de la légitimité, les islamistes se permettent de se tailler une loi sur mesure leur permettant d’ancrer leur pouvoir », regrette Charaf.
Accusations infondées
Ces accusations sont jugées infondées par le camp islamiste qui trouve injustifiables les appréhensions des opposants. Selon eux, le projet de loi « offre toutes les garanties nécessaires pour des élections transparentes et équitables ». Selon Hamdi Hassan, cadre des Frères musulmans, le mode de scrutin mixte constitue une formule équilibrée permettant de trancher le débat et de satisfaire toutes les parties. Il estime que ce mode de scrutin mixte offre des chances équivalentes aux partis politiques et aux candidats indépendants.
De toute manière, explique Hassan, les modifications introduites sur la loi doivent être conformes à la Constitution : c’est celle-ci qui a dicté le mode de scrutin adopté. « Qu’est-ce qui justifie les craintes des opposants ? Les élections se feront sous surveillance judiciaire et les ONG seront autorisées à surveiller les urnes. En outre, les quotas des ouvriers, des paysans et des femmes ont été maintenus, quoique sous une forme différente. Toutes les garanties réclamées ont été assurées, mais il paraît que les forces libérales veulent imputer aux islamistes la fragmentation et la fragilité de leurs partis », contre-attaque Hassan.
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