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Egypte-Allemagne : L’entente se confirme

May Al-Maghrabi, Lundi, 08 juin 2015

Le président égyptien Abdel-Fattah Al-Sissi a achevé sa visite en Allemagne. Qualifiée de « stratégique », elle marque un tournant dans les relations égypto-allemandes tendues depuis juin 2013. Bilan.

Egypte-Allemagne : L’entente se confirme
Le président Al-Sissi reçu par la chancelière Angela Merkel. (Photos : Reuters)

Consensus politique, accords d’investissements et transactions militaires. Le bilan de la visite de Abdel-Fattah Al-Sissi en Allemagne est fructueux. Même si l’annonce de son arrivée en Allemagne a suscité la controverse et que la visite s’est déroulée dans un climat assez tendu.

Des activistes des droits de l’homme à Berlin ont ainsi organisé une manifestation contre sa visite, critiquant l’Egypte en matière de droits de l’homme. Les Frères musulmans à Berlin ont aussi tenté de faire échouer la visite par des manifestations et slogans hostiles au président. La présence d’une délégation populaire, en soutien au président, a donné lieu à des altercations, critiquées par la presse allemande.

Selon Gamal Zahran, politologue, ces troubles ont été fomentés par les Frères musulmans qui cherchaient à saper coûte que coûte cette visite. « Le renouement des relations avec l’Allemagne constitue un coup fatal aux Frères musulmans qui ont déjà perdu le soutien des Etats-Unis et de la plupart des pays occidentaux. Ils visaient à discréditer le président Sissi en Allemagne, pays qui campait sur une position critique à l’égard de l’Egypte depuis le 30 juin 2013. Leur but raté était de délégitimer le régime de Sissi », estime Zahran.

Pas de quoi entraver l’agenda chargé de la visite de deux jours du président Sissi, qui a rencontré officiellement son homologue allemand Joachim Gauck. Il a ensuite été reçu par la chancelière Angela Merkel, mercredi dernier, pour discuter des relations bilatérales et des derniers développements au Moyen-Orient. En outre, Sissi a assisté au Forum économique égypto-allemand où il a prononcé un discours lors de la séance de clôture. Il a également tenu des réunions avec plusieurs responsables, y compris le ministre allemand des Affaires étrangères. En délicatesse avec l’Egypte depuis la révolution du 30 juin 2013 et la destitution du président islamiste Mohamad Morsi, il était prévu que la rencontre entre le président Sissi et la chancelière Angela Merkel serait « ardue ». L’Allemagne reproche au régime de Sissi les nombreuses peines de mort contre les Frères musulmans et les atteintes aux droits de l’homme. A l’encontre de la plupart des pays occidentaux, l’Allemagne qualifiait la destitution de Morsi de « coup d’Etat » et critiquait le nouveau régime. Toutefois, la chancelière a souligné que beaucoup de raisons justifiaient un rapprochement entre les deux pays pour la stabilité de la région, évoquant notamment les questions sécuritaires. Elle a aussi indiqué que son pays était prêt à intensifier ses relations commerciales avec l’Egypte. Les négociations entre le président Sissi et la chancelière Merkel ont porté sur la coopération bilatérale sur le niveau politique, économique ainsi que dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.

Evolution positive

C’est donc une évolution positive des relations égypto-allemandes en dépit de réserves formulées par Berlin. Lors d’une conférence de presse conjointe avec Sissi, Angela Merkel n’a toutefois pas manqué de critiquer le statut des droits de l’homme en Egypte. « Berlin avait une position différente et claire par rapport aux nombres importants de peines de mort rendues par des tribunaux égyptiens contre des membres et partisans de la confrérie des Frères musulmans », a dit Angela Merkel. De son côté, le président Sissi a assuré comprendre « du point de vue allemand et européen » ces remarques sur la peine capitale. « Vous avez un point de vue que nous respectons, mais nous avons un point de vue que vous devez respecter », lui a répondu Sissi, rappelant que l’Egypte est un pays qui respecte la souveraineté de la loi et de la justice. « Nous aussi, nous aimons la démocratie et la liberté », a-t-il lancé, tout en soulignant qu’il fallait garantir la stabilité de l’Egypte. « Nous n’accepterons jamais que notre pays devienne comme la Syrie, le Yémen, la Libye ou l’Iraq », a-t-il ajouté. Se voulant rassurant pour le côté allemand, il a mentionné que certaines de ces peines pourraient être allégées si les condamnés comparaissaient eux-mêmes devant les tribunaux. Il a aussi tenu à éclaircir le fait que le président destitué Mohamad Morsi était arrivé au pouvoir par la légitimité des urnes et que c’est le peuple qui a lui retiré cette légitimité, qualifiant le règne des Frères musulmans de « fascisme religieux ».

Selon Tareq Fahmi, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, la visite de Sissi en Allemagne a permis d’éclaircir les faits et transmettre la vraie image de la révolution populaire du 30 juin. Selon lui, l’importance de cette visite en Allemagne relève du poids et de l’influence politique et économique de l’Allemagne dans l’Union européenne. « Sur le volet politique, la reconnaissance de l’Allemagne de la légitimité du régime Sissi permettra à l’Egypte de reprendre et consolider son rôle régional et international. Cette visite a permis surtout de dévoiler le vrai visage des Frères terroristes, autrefois masqué par les rapports biaisés des ONG internationales et les mensonges que véhicule l’Organisation internationale des Frères musulmans. Une affaire qui allégera les pressions internationales sur l’Egypte à cet égard et lui permettra de combattre le terrorisme et retrouver la stabilité », évalue Fahmi.

Avis partagé par Hussein Haridi, ancien assistant du ministre des Affaires étrangères, qui estime que l’Allemagne a agi avec pragmatisme en dépit des réserves concernant le dossier des droits de l’homme. « Les deux pays ont valorisé les intérêts économiques et politiques mutuels », indique-t-il. Pour lui, l’Egypte tient à rééquilibrer et diversifier ses relations avec les pays du monde : « Gagner la confiance d’un pays essentiel de l’Union européenne comme l’Allemagne est une grande victoire diplomatique pour l’Egypte. Cela ouvre de nouveaux horizons pour l’investissement en Egypte et consolide la confiance occidentale en Egypte. L’Europe a toujours été un allié et un partenaire important de l’Egypte, même après les mésententes qui sont apparues en 2013 », analyse-t-il.

Un succès de plus

Le contrat d’achat de sous-marins allemands est un succès de plus lors de la visite. L’Allemagne, qui a toujours affiché un refus de livrer des armes à l’Egypte, a enfin accepté de la doter de deux sous-marins militaires. Selon l’expert militaire Mohamad Chéhata, la finalisation de cet accord, suspendu depuis 2002, marque un changement stratégique dans les rapports égypto-allemands. « Au-delà d’une coopération militaire, cet accord marque la confiance de l’Allemagne envers le régime de Sissi et l’équité de sa guerre contre le terrorisme. Les sous-marins allemands sont les meilleurs au monde en termes de sophistication technologique. Face aux menaces terroristes frappant la région, il est une priorité de renforcer les capacités militaires. D’où l’importance des accords militaires récemment conclus, comme celui des avions Rafale », estime Chéhata.

Sur le volet économique, cette visite a permis aussi à l’Egypte de concrétiser un contrat de 8 milliards d’euros avec Siemens. Le géant allemand a annoncé avoir finalisé le plus gros contrat de son histoire avec la livraison à l’Egypte de 24 turbines à gaz qui seront installées dans trois nouvelles centrales électriques, et d’une usine-clé en mains de pales d’éoliennes. Siemens affirme que la réalisation du contrat va augmenter de 50 % la capacité de production électrique de l’Egypte. Celle-ci emploiera à cet effet et à partir du deuxième semestre 2017 un millier de salariés et d’apprentis dans la région de Aïn Al-Soukhna. Elle permettra la construction de 600 éoliennes, qui seront érigées dans douze nouveaux parcs. Cela est accompagné d’un accord avec la société SIS pour la formation technique de jeunes Egyptiens.

Depuis l’Allemagne, Sissi a enfin annoncé la création de deux nouveaux ministères, l’un pour les Affaires des Egyptiens à l’étranger et l’autre pour les Petits et moyens projets. Selon les observateurs, la visite du président en Allemagne a réalisé tous ses objectifs, sur tous les volets.

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