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La presse privée en crise

May Al-Maghrabi, Lundi, 25 mai 2015

La crise provoquée par le licenciement de 18 journalistes du quotidien Al-Shorouk s’est soldée par un arrangement avec la direction. L’ensemble de la presse privée est touchée par la mauvaise conjoncture économique.

La presse privée en crise

La grogne est de mise depuis une semaine au quotidien Al-Shorouk. Raison : une décision subite de la direction du journal de licencier 18 journalistes, dont 4 sont membres du syndicat des Journalistes et 2 ayant des contrats en bonne et due forme. Les autres journalistes n’ont pas touché, eux, leurs salaires depuis plus de deux mois. Au terme de plusieurs jours de négociations, un accord de principe a été conclu entre la direction et les journalistes représentés par leur assemblée générale et par le syndicat. La direction a accepté de renoncer au licenciement des 18 journalistes, et s’est engagée à échelonner les arriérés de leurs salaires. De même, un comité sera créé pour développer le site électronique du journal et étudier les moyens d’augmenter ses revenus. Les journalistes, qui ont encore des doutes sur les intentions de la direction, ont suspendu provisoirement leur grève, menaçant de démissions collectives et de grève générale en cas de « tergiversation ».

Frappée par la crise économique, comme d’autres entreprises de presse privée et officielle, la direction d’Al-Shorouk affirme avoir été contrainte de prendre des mesures d’austérité. Emadeddine Hussein, rédacteur en chef d’Al-Shorouk, avoue que le journal est aujourd’hui incapable de couvrir ses frais. « En raison de la crise économique, nos revenus publicitaires ont nettement régressé au cours des deux dernières années. Il faut aussi mentionner la hausse des prix du papier et le recul des ventes, dans le contexte de la concurrence acharnée avec la presse électronique. Tous ces facteurs ont fait que la direction n’avait pas d’autre choix que de licencier », affirme Hussein. Selon lui, la crise est générale et concerne l’ensemble de la presse écrite, surtout la presse privée.

Les journalistes, qui ont organisé un sit-in dans les locaux de leur journal et une manifestation sur les escaliers du syndicat des Journalistes, dénoncent, eux, une mauvaise gestion de la crise au détriment de leurs droits et en l’absence d’une protection syndicale pour certains d’entre eux. « Il était choquant et décevant après des années de travail d’apprendre que la direction a décidé de nous mettre à la porte. S’il est vrai que le journal souffre de la crise, les critères selon lesquels la direction a décidé de licencier les journalistes sont inadmissibles », se plaint un des journalistes licenciés, sous couvert de l’anonymat. Selon lui, il fallait commencer par réduire les dépenses administratives et les frais de déplacement ainsi que le budget des éditorialistes externes. « Le licenciement des journalistes et la réduction de leurs salaires devraient être la dernière option pour la direction. Comment des journalistes qui ont travaillé pendant des années avec dévouement soient licenciés, alors que le journal paye à certains éditorialistes externes 50 et 60 000 L.E. de salaires mensuels ? De plus, selon quels critères on a choisi les 18 journalistes que la direction voulait licencier ? Ces licenciements sont abusifs », ajoute le journaliste.

« Le syndicat ne restera pas les bras croisés »

Pour sa part, le syndicat des Journalistes a rejeté les « licenciements arbitraires des journalistes ». « Le syndicat ne restera pas les bras croisés face à la violation des droits des journalistes et prendra toutes les mesures nécessaires pour que leurs droits leur soient restitués », a déclaré Yehia Qallash, nouveau bâtonnier des journalistes, lors de sa rencontre avec les licenciés.

Qallash s’est entretenu avec les parties concernées et a menacé de ne plus admettre les journalistes d’Al-Shorouk au syndicat, si la direction ne revient pas sur ses décisions.

Le quotidien Al-Shorouk n’est pas le seul en crise. D’autres journaux comme Al-Dostour, Al-Masry Al-Youm et Al-Badil ont également connu une situation semblable. La presse privée, qui a fait son apparition dans les années 2000, se retrouve aujourd’hui en crise à cause du contexte économique. « Cette presse a contribué à améliorer la situation financière de nombreux journalistes. Le problème est que la plupart de ces journalistes ne sont pas syndiqués et n’ont pas de contrats fixes et leur situation est fragile », explique Béchir Al-Adl, du comité de défense de l’indépendance de la presse. Il impute au syndicat des Journalistes la responsabilité de l’augmentation des licenciements arbitraires. « Le syndicat des Journalistes a toujours été passif face à cette question. La loi sur la presse donne pourtant au syndicat le droit de déférer devant une commission d’enquête les rédacteurs qui sont coupables de licenciements abusifs et de les poursuivre devant la justice. Cela n’a jamais été fait », explique Al-Adl.

Lors d’une réunion cette semaine, le conseil du syndicat des Journalistes a appelé le gouvernement à revoir le projet de loi sur le travail qui n’impose pas de restrictions sur le licenciement des travailleurs. L’apparition, dans les années 2000, de la presse « indépendante » a été perçue comme un phénomène positif en termes de liberté d’expression. Mais l’expérience a montré que cette presse privée était un outil servant les intérêts des hommes d’affaires. Selon l’éditorialiste Makram Mohamad Ahmad, ancien bâtonnier des journalistes, c’est le paysage anarchique de la presse privée qui a donné lieu à ce genre de crises. « L’idée d’autoriser la création des journaux privés sur simple notification sans que le Conseil suprême de la presse ou le syndicat des Journalistes en vérifient le statut financier était une erreur. Ceci a créé une sorte d’encombrement du marché avec des dizaines de journaux qui ont vu le jour. Certains de ces journalistes ont manipulé les jeunes journalistes et les ont fait travailler sans statut. En l’absence d’un règlement garantissant les droits des journalistes non-syndiqués, ces jeunes travaillaient sans contrat ou avec des contrats indignes qui ne leur garantissent aucun droit », explique Makram Mohamad Ahmad. Et de conclure : « Il faut modifier l’ensemble des législations régissant la presse écrite qu’il s’agisse de la loi du syndicat des Journalistes ou celle du Conseil suprême de la presse pour aller de pair avec les évolutions actuelles. Ces changements doivent aller dans le sens de la protection des journalistes, mais aussi du métier lui-même de certains parasites qui nuisent à la presse », conclut Makram Mohamad Ahmad.

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