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Nucléaire iranien : Les enjeux d’une entente

Samar Al-Gamal, Mardi, 17 mars 2015

L'Iran et les Etats-Unis se sont retrouvés en Suisse, dans une nouvelle tentative de parvenir à un accord général sur la limitation du programme nucléaire iranien. Si deux tentatives de conclusion ont déjà échoué, une troisième est prévue à la fin du mois.

Nucléaire iranien : Les enjeux d’une entente

Les délégations iranienne et améri­caine ont repris les discussions là où elles s’étaient arrêtées la semaine dernière, immédiatement après leur arrivée dimanche à l’hôtel Beau-Rivage Palace, au bord du lac Léman en Suisse. Le lendemain, les chefs de la diplomatie des deux pays, Mohamad Javad Zarif et John Kerry, se sont retrouvés dans l’espoir de conclure un accord politique qui devrait mettre un terme à 18 mois de négociations intenses entre l’Iran et le groupe 5+1 (Etats-Unis, Royaume-Uni, Russie, France, Chine plus Allemagne) sur le programme nucléaire controversé de Téhéran.

Les différends sur la partie technique du nucléaire iranien seraient apparemment dissi­pés, même si une demande iranienne a fait irruption, pour qu’une installation nucléaire enterrée soit autorisée à conserver des cen­taines de centrifugeuses utilisées pour l’enri­chissement d’uranium.

Il y a eu des discussions principales sur la très compliquée limitation des capacités d’en­richissement de l’uranium, pour empêcher Téhéran d’avoir, un jour, la bombe atomique et la transformation d’un certain nombre de sites comme celui d’Arak, qui fonctionne à l’eau lourde, et le site enterré de Fordow. Mais les discussions continuent au niveau politique avec au centre les dates et mécanismes de la levée des sanctions imposées contre l’Iran. Il y a « toujours des différences notables sur les sanctions », a déclaré Zarif à la télévision ira­nienne, avant de s’envoler pour Lausanne.

Téhéran voudrait une levée, en une seule fois, des mesures punitives prises ces der­nières années par l’Onu, les Etats-Unis et l’UE, qui l’étouffent économiquement (lire page 13). L’Iran ne veut apparemment pas compter sur le juste engagement du président Barack Obama, qui ne peut que lever qu’une partie des sanctions, le reste relevant de l’auto­rité du congrès.

Lors d’une première dans les relations avec Téhéran, voire dans les relations étrangères américaines, 47 sénateurs républicains ont publié, la semaine dernière, une lettre ouverte aux dirigeants iraniens, les mettant en garde contre tout accord sur le nucléaire iranien avec l’administration du président Barack Obama, sans approbation au Congrès par une majorité significative.

« Le prochain président pourrait révoquer ce genre d’accord d’un simple trait de plume et les futurs membres du Congrès pourraient en modifier les termes à tout moment », aver­tissent-ils dans leur lettre.

« Le président Obama quittera ses fonctions en janvier 2017, alors que la plupart d’entre nous seront toujours en fonctions bien au-delà, peut-être pour des décennies », souli­gnent-ils dans la lettre signée également par la plupart des candidats, à l’investiture républi­caine à la présidentielle de 2016.

Maintenir le statut quo
Les sénateurs ne seraient pas les seuls à s’opposer, farouchement, à un éventuel accord avec l’Iran. « Les opposants sont paradoxalement plus nombreux et l’image est beaucoup plus compliquée que l’on pense », explique Mostafa Al-Labbad, prési­dent du centre Al-Charq pour les études régionales et stratégiques. Ils citent Israël, les pays du Golfe, la Turquie et les radicaux en Iran, différents lobbys américains qui, tous, préféraient maintenir le statut quo face à d’autres forces au sein de chaque pays qui opte pour le contraire. Ainsi, aux Etats-Unis, s’opposent les républicains à Obama et le lobby juif soutient la position du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, qui a toujours fait de la menace de l’Iran un enjeu de politique intérieure.

« Il y a aussi le lobby des armes face au lobby de l’agriculture. Le premier veut éviter tout accord pour continuer à alimenter les pays du Golfe en armement, et le second veut la levée des sanctions pour exporter des produits agricoles à l’Iran », explique Al-Labbad. Les pays arabes du Golfe, qui comptent sur les Américains comme alliés et protecteurs face aux Iraniens, craignent sur­tout un revirement de ce rôle. « Un accord irano-américain placerait Washington aux yeux des pays du Golfe comme médiateur et non plus allié », ajoute-t-il.

La Turquie, non plus, ne voit pas d’un bon oeil une telle entente qui, officieusement, « légalise » les interventions iraniennes dans les pays de la région, surtout les frontaliers de la Turquie en Iraq ou en Syrie. « Ankara ne veut pas se retrouver encerclé par l’Iran et perdre aussi dans la foulée sa position d’en­trée économique de l’Occident vers l’Orient », a-t-il dit.

A l’intérieur de l’Iran, certains ne veulent pas, non plus, que cet accord voie le jour. La Garde républicaine qui domine l’économie veut tout sauf perdre des privilèges accumulés depuis des années, au déterminent d’une ouverture de l’Iran sur le monde, et les plus durs sont hostiles à la politique de détente avec la communauté internationale du président iranien, Hassan Rohani, pour obtenir la levée des sanctions qui ont fait chuté le PIB iranien de 25 % au cours des trois dernières années.

Pourtant, Kerry, comme Zarif, ont laissé planer l’optimisme avant leur rencontre. Zarif a espéré parvenir à des « solutions durant les prochains jours ». « Finissons-en » avec ce dossier du nucléaire iranien qui empoisonne la communauté internationale, a dit Kerry de son côté.

Grands chapitres
En cas d’accord politique, d’ici au 31 mars, le 5+1 et Téhéran sont convenus de finaliser le 30 juin/1er juillet tous les détails techniques de ce règlement général. Ce document fixerait les grands chapitres pour garantir le caractère pacifique des activités nucléaires iraniennes. Il établirait aussi le principe du contrôle des infrastructures de Téhéran, la durée de l’ac­cord et le calendrier d’une levée graduelle des sanctions.

« Mais ce processus risque facilement de succomber aux pressions extérieures », avoue le chercheur égyptien spécialiste des affaires iraniennes, même s’il reconnaît que les pays de la région, hostiles à cet accord, « ne peuvent pratiquement pas faire grand-chose ». C’est pourquoi il ne s’attend pas bientôt, en dépit de l’optimisme des diplomates, à une issue finale. « Peut-être un petit paquet d’entente qui sou­lagerait en partie les sanctions, pas plus. Cela serait accepté par l’Iran, conscient qu’Obama est sa dernière chance. C’est tellement com­plexe, tellement subtil, qu’il faut rester quand même très prudent », avait annoncé le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius.

Pourtant, avec ou sans accord, les rapports dans la région sont désormais voués à changer, pensent les experts. Une entente avec les amé­ricains signifierait un boom économique en Iran, avec des investissements dans le secteur pétrolier (lire page 13), une reconnaissance occidentale du rôle de Téhéran dans la région et la recherche, du côté des Arabes, d’une protection alternative aux Américains.

L’absence d’une influence arabe sur les dos­siers régionaux pousserait Obama, comme le croit Al-Labbad, « à chercher à remplir ce vide en créant un nouvel axe qui s’opposerait à l’Iran, pas nécessairement militaire. Un axe qui englobe le Pakistan, la Turquie, l’Arabie saoudite et l’Egypte » .

Chronologie
Depuis le début de la crise nucléaire iranienne en 2002, l'Iran et l'Occident alternent sanctions et négociations.


2002 :
Décembre : Les Etats-Unis diffusent des images satellites de deux installations nucléaires à Natanz et à Arak et accusent Téhéran de les utiliser à « des fins militaires ».
2003
Août : L’agence découvre des traces d’uranium enrichi à des taux bien supérieurs aux besoins civils.
Septembre : L’Agence Internationale de l’Ener­gie Atomique (AIEA) donne à l’Iran jusqu’au 31 octobre pour prouver qu’il ne met pas au point l’arme nucléaire.
Octobre : Une semaine avant la fin de l’ultima­tum, l’Iran cède aux exigences de l’AIEA et s’en­gage à une coopération « totale » avec l’agence.
2004
Novembre : Sous la pression de La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni (UE-3), l’Iran annonce une suspension temporaire de 6 mois de l’enrichissement de l’uranium.
2005
Août : Le président conservateur, Mahmoud Ahmadinejad, nouvellement élu, reprend les activi­tés d’enrichissement de l’uranium à Isphahan.
2006
Avril : Téhéran annonce avoir pour la première fois enrichi de l’uranium à 3,5 %.
Décembre : Le Conseil de sécurité adopte la résolution 1767 interdisant la vente de tout maté­riel qui puisse contribuer aux activités de l’Iran dans les domaines nucléaire et balistique.
2009
Octobre : Rencontre entre le groupe des 5+1 et l’Iran, à Genève. Il s’agit des premières négocia­tions directes entre Washington et Téhéran.
Décembre : Ahmadinejad annonce l’enrichisse­ment à 20 % de l’uranium.
2012
Janvier : L’UE décide d’un embargo pétrolier contre l’Iran, celui-ci entre en vigueur six mois plus tard.
2013
Juin : Deux jours après son investiture, le prési­dent Hassan Rohani se dit prêt à des « négocia­tions sérieuses » sur le nucléaire.
Septembre : Le président iranien assure, depuis la tribune de l’Onu à New York, que l’Iran ne représente « pas une menace ». Rohani s’entre­tient au téléphone avec le président américain Barack Obama, premier échange à ce niveau depuis 1979.
Octobre : Au cours d’un nouveau round de négociations à Genève entre l’Iran et le groupe 5+1, Téhéran se dit disposé à accepter le prin­cipe d’inspections-surprises de ses sites nucléaires.
Novembre : A Genève, un accord intérimaire est conclu. Le texte prévoit comme date butoir le 20 juillet 2014 pour un accord définitif.
2014
Juin : Des négociations à Vienne butent sur le refus de Téhéran de réduire le nombre de centri­fugeuses.
Juillet : Le 5+1 et l’Iran repoussent de quatre mois la date butoir du 20 juillet.
Novembre : A défaut d’un accord définitif, les négociateurs décident de reconduire l’accord intérimaire de Genève jusqu’au 30 juin 2015.
2015
Janvier : Les négociations reprennent à Genève.

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