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Les craintes de Riyad et de Tel-Aviv

Hana Afifi, Lundi, 16 mars 2015

L'accord potentiel entre l'Iran et le groupe 5+1 inquiète les alliés de Washington au Proche-Orient.

Les craintes de Riyad et de Tel-Aviv
Manifestations à New York contre le discours de Netanyahu dénonçant l'accord nucléaire potentiel avec l'Iran. (Photo:Reuters)

Si l’agenda est respecté, un accord sur le nucléaire iranien devrait être scellé entre l’Iran et les pays du P5+1. Mais un tel accord, s’il est conclu, accentuera les craintes des alliés de Washington dans la région, qui se sentent menacés par l’Iran. Il s’agit des pays du Golfe et Israël. De Tel-Aviv à Riyad, l’interrogation est presque la même : L’Iran deviendra-t-il un allié régional des Etats-Unis ? Quelles actions faut-il prendre si un accord est conclu ? « Un accord nucléaire entre l’Iran et le groupe P5+1 ressemblerait plus à une trêve », affirme Ahmad Abd-Rabo, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. Ainsi, l’enrichissement de l’uranium s’arrêtera pour une certaine durée pour se poursuivre plus tard, ce qui inquiète Israël, qui veut que l’Iran arrête complètement son programme nucléaire. Même si l’alliance américano-israélienne est robuste, selon les analystes, Israël ne cache pas sa frustration. Lors d’un discours au Congrès américain le 2 mars dernier, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, avait déclaré que le régime iranien menaçait Israël et le monde entier, en dénonçant le « très mauvais accord » nucléaire avec l’Iran qui renferme, selon lui, « des concessions qui laisseraient l’Iran avec un vaste programme nucléaire ». Car en effet, « il est difficile que l’Iran accepte un accord qui arrête complètement le processus d’enrichissement », estime Mohamad Abbas, spécialiste des affaires iraniennes. « Si l’Iran peut diminuer l’enrichissement de l’uranium à 5 % aujourd’hui, il peut l’augmenter plus tard », explique-t-il. Et d’ajouter qu’Israël « veut maintenir son statut de seule force nucléaire au Moyen-Orient tout en refusant de signer le traité de non-prolifération des armes nucléaires ».

Les pays du Golfe qui ne sont pas engagés dans cette compétition nucléaire se sentent menacés politiquement par un rapprochement américano-iranien. Un rapprochement avec l’Iran chiite toucherait surtout le statut de l’Arabie saoudite en tant que leader régional « sunnite ». La crainte persiste malgré la visite du secrétaire d’Etat, John Kerry, le 5 mars en Arabie saoudite, pour faire le point sur les négociations nucléaires avec le nouveau souverain saoudien. Selon Mohamad Ezz Al-Arab, spécialiste des affaires du Golfe, cette visite avait pour objectif de rassurer Riyad que son alliance avec Washington ne serait pas affectée. Mais la crainte saoudienne persiste. « L’accord, s’il est conclu, entraînera une levée des sanctions imposées à l’Iran, ce qui permettra à Téhéran de se positionner sur la scène politique internationale », constate Abbas. Il affirme que l’entente entre Téhéran et Washington sur les questions régionales, notamment en Syrie et au Yémen, où s’affrontent sunnites et chiites soutenus respectivement par l’Arabie saoudite et l’Iran, est perçue comme une grande menace par Riyad. En effet, une entente entre l’Iran et les Etats-Unis donnerait à Téhéran un avantage au détriment de l’Arabie saoudite dans ses zones de conflit. Les monarchies du Golfe sunnites, avec parfois des populations à majorité chiite, craignent aussi une déstabilisation de leur pouvoir si Téhéran se réconcilie avec son ennemi d’antan. « Car un tel accord signifierait implicitement la reconnaissance de l’Iran en tant que force régionale par l’Occident, même si celui-ci ne deviendra pas l’allié de l’Iran au déterminent des pays du Golfe et d’Israël ». Abbas refuse de parler d’ « allié ». Abbas préfère parler d’entente plutôt que d’alliance, concernant les événements en Syrie, au Yémen ou encore en Iraq.

Le spécialiste des affaires du Golfe, Yousri Al-Azabawi, trouve que le mot « allié » est approprié pour l’avenir, et croit que « les Etats-Unis préparent l’Iran pour qu’il soit leur allié stratégique dans la région ». Abd-Rabo explique, quant à lui, qu’Obama ne veut pas quitter le pouvoir sans une victoire, surtout après l’échec en Iraq et en Afghanistan. Pour lui, la position des Etats-Unis est « compliquée », vu qu’Israël dispose d’une influence sur la politique interne des Etats-Unis. Washington soutient également financièrement et militairement Israël. Si l’accord a lieu après les élections israéliennes, Tel-Aviv exercera des pressions à travers le lobby israélien aux Etats-Unis et les médias, afin de le saboter. « Je pense que de telles pressions porteront leurs fruits », dit Abd-Rabo. Selon lui : « Le nouveau roi en Arabie saoudite n’est pas traditionnel, et il semble qu’il peut accepter l’accord tout en continuant à manoeuvrer avec les Etats-Unis ». Ezz Al-Arab estime que la consolidation des relations de l’Arabie saoudite avec la Turquie et avec le parti réformiste yéménite (bras politique des Frères musulmans) au Yémen, font partie de ces manoeuvres.

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