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Le patrimoine massacré

Dalia Farouq, Lundi, 02 mars 2015

La destruction du Musée de Mossoul est venue s'ajouter aux massacres commis par Daech contre la culture et l’humanité.

Le patrimoine massacré
Les djihadistes de l'EI ont démoli les statues à coups de matraque.

Le monde entier a été choqué jeudi 26 février par une vidéo diffusée par l’Etat Islamique (EI) montrant des djihadistes en train de détruire des statues et des sculptures antiques du Musée de Mossoul dans le nord de l’Iraq. Ainsi, l’Unesco a convoqué le jour même une réunion de crise du Conseil de sécurité des Nations-Unies appelant à sauver le patrimoine mésopotamien. « Cette attaque est bien plus qu’une tragédie culturelle, c’est également une question de sécurité parce qu’elle alimente le sectarisme, l’extrémisme violent et le conflit en Iraq. Ainsi, j’ai immédiatement contacté le président du Conseil de sécurité pour lui demander de convoquer une réunion d’urgence sur la protection du patrimoine iraqien en tant qu’élément faisant partie intégrante de la sécurité du pays », a précisé la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, dans un communiqué publié après la diffusion de la vidéo. Elle a également indiqué que ces destructions étaient une violation de la résolution 2199 adoptée par le Conseil de sécurité de l’Onu début février pour tenter d’empêcher le trafic des antiquités volées en Iraq et en Syrie, et qui sont considérées comme une source-clé de financement pour le groupe EI.

Pour sa part, Haïdar Al-Abadi, le premier ministre iraqien, a assuré que « les barbares de Daech ne se sont pas contentés de détruire les antiquités inestimables de Mossoul, mais ils ont aussi pillé une grande partie de la collection antique du musée, afin de les vendre pour financer leurs crimes terroristes ». Le ministre a promis de poursuivre ces pièces et d’empêcher leur sortie du territoire iraqien. Toutes les pièces sont, en effet, énumérées et portent des marques caractéristiques. « C’est un crime contre l’humanité. Ces trésors sont irremplaçables. Une statue détruite ne peut pas être remplacée. C’est une vraie grande perte pour le patrimoine mondial tout entier. Ce n’est pas moins grave que la démolition des Bouddhas de Bamiyan par les Talibans en Afghanistan en 2001 ou le pillage du Musée national de Bagdad lors de l’invasion américaine de l’Iraq en 2003 », déplore Abdel-Halim Noureddine, professeur d’archéologie à l’Université du Caire. En effet, les terroristes de Daech ont vandalisé les collections du Musée de Mossoul, deuxième plus important d’Iraq, qui possède des objets inestimables remontant aux périodes assyrienne et hellénistique datant de plusieurs siècles avant l’ère chrétienne. Ils ont eu également recours à un perforateur pour défigurer un imposant taureau ailé assyrien en granit, sur le site archéologique de la porte de Nergal à Mossoul. Ce taureau a un jumeau, exposé au British Museum de Londres. Pour sa part, Mamdouh Al-Damati, ministre égyptien des Antiquités, s’est dit indigné et a offert l’expertise de son ministère pour la restauration des antiquités de Mossoul.

« Se débarrasser des idoles »

Si le monde entier déplore la destruction de ces monuments, le groupe Daech a affirmé que ces pièces antiques « étaient des idoles adorées il y a des siècles en dehors d’Allah ». C’est ce qu’a déclaré dans une vidéo un combattant de Daech. Et d’ajouter : « Le prophète nous a ordonnés de nous débarrasser de ces statues et de ces reliques ». Les islamistes fondamentalistes prônent, en fait, la destruction des monuments ainsi que des sites sacrés au nom d’une lutte contre l’idolâtrie et d’une doctrine de l’intercession excluant tout monument ou objet dans le rapport à Dieu. En fait, même chez les religieux les plus traditionnels, ce qui pouvait être considéré comme une idole du temps du prophète Mohamad fait désormais partie du patrimoine. Dar Al-Iftaa en Egypte assure que la destruction des antiquités n’a pas de source dans la charia. Par contre, la protection de ces antiquités n’est pas interdite par les préceptes de l’islam. « Ce sont des idées anormales et ignorantes. Ces antiquités existaient dans les pays conquis par les compagnons du prophète Mohamad. Il n’ont guère réfléchi à les détruire comme les Pyramides et le Sphinx en Egypte qui étaient là bien avant la conquête arabe de l’Egypte par Amr Ibn Al-Ass. Celui-ci était l’un des grands compagnons du prophète Mohamad et il n’a rien dit à propos de ces antiquités millénaires », explique Dar Al-Iftaa dans un communiqué de presse.

En outre, ce n’est pas la première violation de Daech contre la culture et le patrimoine à Mossoul. Depuis quelques semaines, l’Etat islamique a pillé la Bibliothèque de Mossoul et a brûlé des milliers de livres et de manuscrits rares. Cette bibliothèque possède des oeuvres datant, pour certaines, de plus de 5 000 ans avant Jésus-Christ. Cet acte s’inscrit dans une volonté de détruire tous les vestiges de l’histoire du pays. Qu’il s’agisse de poésie, de littérature, de philosophie et même d’ouvrages scientifiques. Certains de ces ouvrages, d’une valeur inestimable, ont fini en cendres. Toutefois à Mossoul, le 24 juillet 2014, les djihadistes de l’EI avaient détruit la tombe du prophète Jonas, lieu de pèlerinage musulman. Le sanctuaire du prophète Seth et plusieurs autres sites religieux de Mossoul ont également été attaqués par des membres de l’EI.

Hatra et Nimrud, en danger

Des archéologues ont fait part également de leur crainte de voir les djihadistes du groupe EI s’en prendre à d’autres sites historiques dans les régions sous leur contrôle en Iraq après la destruction de trésors préislamiques du Musée de Mossoul. Selon Irina Bokova, certaines statues détruites dans la vidéo venaient de l’ancienne cité de Hatra, classée sur la liste du patrimoine culturel mondial de l’Unesco, à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Mossoul. Les villes de Hatra et de Nimrud, inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco, toutes deux au sud de Mossoul dans le nord de l’Iraq, sont particulièrement en danger, selon elle. « Ce n’est pas fini, et la communauté internationale doit intervenir », martèle Abdel-Amir Hamdani, un archéologue iraqien de l’Université Stony Brook de New York. Et d’ajouter : « Ils ont prévenu les gardiens qu’ils allaient détruire Nimrud ». Hamdani, qui avait auparavant travaillé au département des antiquités iraqiennes, affirme que c’est l’une des plus importantes capitales assyriennes. On y trouve des bas-reliefs et des taureaux ailés. « S’ils arrivent à attaquer et à détruire Hatra, ce serait un véritable désastre », se lamente l’archéologue.

En fait, Hatra se trouve sur un territoire contrôlé par l’EI. Selon l’Unesco, « ce qui reste de la ville, particulièrement les temples où les architectures grecques et romaines se mêlent à des décorations orientales, atteste de la grandeur de la civilisation ».

Outre la destruction des trésors archéologiques montrée dans la vidéo de jeudi, des membres de l’EI ont aussi fait exploser une mosquée du XIIe siècle à Mossoul car, selon M. Fethi, « elle renfermait une tombe d’une personne vénérée, ce qui constitue un acte d’idolâtrie pour les djihadistes ».

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