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Les séniors aussi se séparent

Dina Bakr, Lundi, 03 décembre 2012

Une récente étude statistique gouvernementale révèle que le taux de rutpures conjugales après la cinquantaine atteint les 7 %. Une augmentation jamais observée qui dénote une évolution des mentalités, en particulier chez les femmes.

les seniors

« j’assumais tous les besoins de ma famille en nourriture, vêtements et frais scolaires. Mon mari n’était qu’un décor social pour dire aux gens que j’avais un homme dans ma vie, mais il n’assumait aucune responsabilité », lance Soheir, 54 ans, enseignante et divorcée depuis 2 ans. Son ex-mari était convaincu de lui accorder un privilège en la laissant travailler.

D’après lui, elle devait lui remettre son salaire en guise de remerciement pour lui avoir donné l’autorisation d’être une femme active. Soheir vit à Ismaïliya, une ville du litoral, s’habille avec goût et avec un grand respect pour les autres. Après avoir passé 25 ans avec un conjoint avare, elle a choisi de le quitter pour alléger ses fardeaux, d’autant plus qu’elle n’éprouvait plus rien pour lui. « J’avais besoin d’économiser. Je suis arrivée à un âge où l’on doit prendre soin de sa santé. Mon expérience m’a forgé l’esprit. J’ai compris l’importance de faire, moi aussi, des calculs et vivre en paix le reste de mes jours », commente Soheir, qui ne cesse de mettre en garde ses deux filles contre un mauvais choix de mariage.
Le divorce dans la cinquantaine, après avoir passé environ une trentaine d’années de vie en couple, devient fréquent dans le pays, toutes classes confondues. L’Organisation centrale des statistiques vient de révéler que le pourcentage de divorce après l’âge de 50 ans a atteint 7 %.
« Ce genre de séparation s’appelle le divorce tardif. Et bien qu’il commence à se faire remarquer dans notre société, on ne peut toujours pas le considérer comme un phénomène. C’est le divorce avant l’âge de 30 ans qui est en sorte le plus répandu : il atteint les 40 % », explique Afaf Al-Sayed, activiste et présidente d’une ONG dénommée Héya (elle).
Afaf pense que les femmes ayant atteint la cinquantaine et qui prennent une telle décision sont des femmes actives, gagnant bien leur vie et qui sont donc assez indépendantes pour se passer de l’argent de leur mari. D’après Afaf, celles qui demandent le divorce à cet âge-là sont plus conscientes de leurs droits, surtout en matière de liberté. Une fois leurs enfants devenus adultes, elles commencent à faire le bilan de leur vie de couple et à se rendre compte des défauts de leur mari.
« Aujourd’hui, la femme est exposée à de multiples sources d’informations qui peuvent éveiller sa conscience. Prenons l’exemple des chaînes privées qui diffusent des programmes abordant les problèmes de la famille et du statut personnel, des films et feuilletons qui relatent des histoires de femmes et de couples qui lui ressemblent. Elle ne peut s’empêcher de faire une comparaison avec la sienne et d’évaluer ses échecs. Elle n’hésite plus à prendre des décisions pour changer sa vie », analyse Sawsane Al-Sayed, professeur de psychologie au Centre national des recherches sociales.
En effet, revendiquer la liberté signifie que l’on veut mettre fin aux souffrances, car à un âge avancé, la femme n’a plus la force d’accepter les mêmes injustices sans protester.


Soif de liberté
Soad, 53 ans, mère de 3 enfants, était souvent maltraitée par son mari. « Frapper est le seul langage qu’il connaît. Il me donnait des coups de poing et des coups de pied. Les 5 dernières années, juste avant notre séparation, il était sans travail et il était devenu de plus en plus agressif. Il consommait même de la drogue », relate-t-elle. A chaque fois, Soad quittait le domicile conjugal pour se réfugier chez ses parents. Ces derniers lui ont toujours conseillé de rentrer, faute de moyens de la nourrir, elle et ses trois enfants.
Un jour, lors d’une dispute avec son mari, ce dernier lui avait cassé une jambe. Alors, Soad s’est posé une question : « Que dois-je encore attendre pour le quitter ? Et pourquoi encore accepter autant d’humiliation à mon âge ? ». Elle raconte alors son expérience : « Le bureau des plaintes du Conseil national de la femme m’a permis d’intenter un procès de divorce, un service gratuit qu’il offre aux femmes maltraitées par leur mari. J’ai obtenu ma liberté en un temps record (6 mois seulement) car j’avais ramené tous les témoins et documents qui prouvaient le calvaire que je subissais quotidiennement ».
Soad est aujourd’hui concierge dans une école. Elle touche un salaire de 200 L.E. en plus des 120 L.E. perçues par le ministère des Affaires sociales comme aide pour les femmes divorcées. Cela lui a permis de louer une pièce dans un quartier populaire où elle mène une vie sereine avec ses trois enfants. En effet, l’action déployée par les ONG féministes dans les quartiers populaires a changé les mentalités des femmes. Elles ont appris, malgré l’analphabétisme, à réclamer leurs droits. Et si certaines sont forcées de demander le divorce pour maltraitance, d’autres ne supportent plus d’être trompées par leur mari.
Awatef, 63 ans, divorcée depuis 3 ans, a du mal à croire ce qui lui est arrivé. « J’ai beaucoup soutenu mon mari dès le début. Je l’ai encouragé à prendre des cours d’alphabétisation. Je l’ai présenté à mes directeurs au travail pour qu’il puisse avoir un emploi. Et un peu plus tard, je lui ai monté un projet pour qu’il soit patron de lui-même », regrette-t-elle. Elle pensait que son homme serait reconnaissant. L’argent a coulé à flot entre ses mains.
« J’ai repeint notre appartement et j’ai même acheté une nouvelle chambre à coucher. Un jour, il m’a demandé de lui prêter de l’argent de ma retraite pour soi-disant monter un autre projet. Mais en vérité, cet argent, il voulait s’en servir pour se remarier », raconte Awatef. Et d’ajouter :« Après tous ces sacrifices, il m’a dit qu’il ne voulait plus de moi et il m’a mise à la porte sans même me donner la chance de ramasser mes affaires ! ». Awatef a donc été obligée à recommencer sa vie à zéro. Elle vit maintenant chez sa soeur où elle ne se sent pas la bienvenue.
Ce genre de divorce est très répandu dans les quartiers populaires, avec des hommes qui veulent soudainement se prouver qu’ils sont désirables. « Ils sont capables de se marier avec une femme bien plus jeune qu’eux. Mais ce genre de mari ne tarde pas à se rendre compte qu’il a été injuste envers sa première femme », analyse Hanaa Abou-Chahba, psychologue.


Ne plus accepter d’injustice
Azza Korayem, sociologue, explique pour sa part que ce sont souvent les pressions exercées par les familles qui empêchent les femmes de demander le divorce. « Car dans beaucoup de familles, divorcer surtout en ayant des enfants mariés signifie tout simplement la honte. Jadis, la grande famille avait son influence et son mot à dire. Le père, le frère et l’oncle contrôlaient directement ou indirectement la vie de couple », explique Azza Korayem. Avec le temps, le poids de la famille s’est estompé, ce qui a encouragé beaucoup de femmes à ne plus accepter d’injustice et d’humiliation.
Ehsan, 70 ans, ne supporte plus de mener sa vie d’esclave. « Je n’avais même pas le droit de déjeuner avec mon mari, je mangeais les restes et j’étais devenue une bonne à tout faire », se rappelle-t-elle. Elle a finalement décidé de demander le divorce. Depuis, elle est hébergée chez son fils aîné. « Si je n’avais pas trouvé où aller, je me serais réfugiée au cimetière là où mon père est enterré », dit-elle. Pour Ehsan, mieux vaut vivre avec les morts que dans l’humiliation. Pourtant, elle n’a pas échappé aux critiques provenant de son entourage, elle qui vient de Haute-Egypte. « La société voit d’un mauvais oeil la femme qui demande le divorce à cet âge. Pour une société de machos, la femme est une chose et non pas un être humain », explique Afaf Al-Sayed.
Quant aux femmes les plus aisées, elles n’ont pas les mêmes contraintes en réclamant le divorce. « Notre problème de vie, c’est qu’on ne parvient pas à s’entendre autour d’un point de vue commun. On a beau discuter, personne ne peut convaincre l’autre de son opinion », répète une gynécologue dont le mari est médecin.
Ce couple a réalisé qu’il ne s’apportait plus rien. Il a divorcé en silence, dans le respect mutuel, tout en continuant à prendre soin de l’éducation des enfants. « La femme doit se confier à son mari, lui dire ce qu’elle ressent et non pas refouler ses sentiments. La femme doit déployer tout son effort pour sauver son ménage et éviter ce moment d’explosion inattendu », confie Sawsane Al-Sayed, qui conseille aux femmes de ne jamais terminer la journée avant d’avoir réglé les problèmes conjugaux, quand il y en a. Le dialogue permet de mieux se comprendre et de régler les problèmes les plus graves.
Azza Soliman, présidente de l’établissement des procès de la femme, attribue la cause du divorce tardif, surtout dans les classes aisées, aux longues années de silence conjugal. « Les conjoints doivent oser aborder tous les problèmes concernant leur couple, y compris la relation intime, pour éviter une séparation tardive », conseille Azza.
Même si le taux de divorce tardif ne dépasse pas les 7 %, c’est la preuve qu’un certain changement est en train de s’opérer. Et surtout que le statut de « divorcée » ne pèse plus sur les femmes.
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