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L’avenir des djihadistes du Sinaï

Ismail Alexandrani, Mardi, 20 janvier 2015

L’avenir des groupuscules djihadistes dans le Sinaï sera décidé par le maintien de leur unité et de leurs capacités, mais aussi par la réussite de la politique sécuritaire adoptée par l’Etat. Analyse.

L’avenir des djihadistes du Sinaï
Les opérations de l'armée dans le Sinaï se poursuivent. (Photo:Reuters)

Il y'a un an, presque jour pour jour, le groupe djihadiste, né au Sinaï, Ansar Beit Al-Maqdes, avait réussi à cibler le département de la sécurité de Daqahliya à Mansoura. Le mouvement s’apprêtait à mener 3 autres opérations de grande envergure en janvier 2014. Ainsi, l’année a commencé par des missiles Grad contre la ville israélienne d’Eilat, puis le mouvement est parvenu à cibler pour la première fois un avion militaire égyptien dans le nord de la péninsule, parallèlement à l’attaque à la voiture piégée contre le département de la sécurité à Bab Al-Khalq au Caire.

L’affrontement est la stratégie adoptée par Ansar Beit Al-Maqdes. Le groupe a défié les mesures de sécurité en bravant les opérations militaires élargies que l’armée avait entamées le 7 septembre 2013, ou encore en bravant les mises en garde de la police, telle la fameuse déclaration du ministre de l’Intérieur à la veille de l’anniversaire de la révolution du 25 janvier, « qu’il s’approche celui qui veut tenter ». Les affrontements quasi quotidiens dans le Sinaï entre l’armée et les membres d’Ansar Beit Al-Maqdes sont sans relâche, mais les médias ne s’intéressaient qu'aux grandes opérations ou à celles dont parlent les autorités.

En février, le groupe a ciblé un bus touristique dans le sud de la péninsule tuant 4 Coréens et blessant 33 autres, la plupart de nationalité coréenne. En mars, le mouvement publie un communiqué pour annoncer la mort de son dirigeant, Tewfiq Mohamad Farig, dans un combat avec l’armée. Un coup qui n’aura pas sensiblement touché les capacités organisationnelles du mouvement, comme en témoigne leur expansion géographique jusqu’à l’oasis de Farafra et jusqu’au fin fond du nord-ouest du pays.

L’année 2014 s’acheva sur le mouvement prêtant allégeance à l’EI (Daech) peu de jours après avoir mené sa plus grande opération contre le poste de contrôle de Karm Al-Qawadisse dans le nord-est du Sinaï. C’était la dernière semaine d’octobre. A ceci s’ajoutent des rapports publiés par la presse selon lesquels d’anciens militaires auraient rejoint les rangs de la filiale de Daech, dite « l’Etat du Sinaï ».

En contrepartie, les sources sécuritaires parlent du succès des services des renseignements dans l’avortement de plusieurs opérations importantes qui visaient Le Caire et d’autres agglomérations urbaines. Mais sans plus de précision. De manière générale, la couverture assurée par les médias de l’Etat reste assez faible par rapport à la documentation visuelle qu’offre « l’Etat du Sinaï », dans laquelle le mouvement revendique la responsabilité de certaines attaques.

Quatre facteurs sont à prendre en considération avant d’évoquer l’avenir de ces mouvements djihadistes. Il s’agit des implications de l’allégeance prêtée à Daech, de la capacité de recrutement de « l’Etat du Sinaï » à l’intérieur et en dehors du Sinaï, d’éventuels conflits inter-djihadistes et du pari sur la réussite des plans sécuritaires.

« Fossé moral »
Les sources proches des mouvements affirment que nombre de jeunes Egyptiens ayant combattu dans les rangs du front Al-Nosra en Syrie ont rejoint ultérieurement l’EI. Ils seraient en contact permanent, depuis deux ans, avec les djihadistes en Egypte. La décision des autorités de restreindre le voyage des Egyptiens entre 18 et 40 ans en Turquie et en Libye traduit la crainte d’un afflux de combattants qui se déplacent avec des visas touristiques. Grâce à ses capacités économiques assurées par sa mainmise sur des gisements pétroliers, Daech est en mesure de financer des djihadistes égyptiens, en plus du soutien logistique et de l’expertise avancée en matière de combat et de fabrication d’explosifs qu’il peut leur fournir.

Il est ainsi fort probable que les opérations de la « branche égyptienne » de Daech prennent de l’ampleur, notamment dans la Vallée du Nil, ciblant notamment les intérêts diplomatiques et financiers des pays membres de la coalition contre Daech. Des « victoires » qui permettraient aux djihadistes d’alléger la pression sécuritaire contre le mouvement dans le Sinaï, tout en recrutant de nouveaux membres parmi les islamistes mécontents.

A l’intérieur du Sinaï, le mouvement fait face à de véritables difficultés pour recruter des militants, surtout à cause du rejet des habitants locaux, gravement touchés par la guerre qui l’oppose aux forces de l’ordre.

Pour la grande majorité des habitants du Sinaï, les djihadistes sont des mercenaires motivés par l’argent plus que par la religion. Plusieurs dirigeants djihadistes sont connus pour avoir cumulé les richesses grâce à leurs activités dans le trafic humain, l’enlèvement d’Africains et la contrebande. La présence d’idéologues parmi eux n’est pas suffisante pour combler le fossé moral qui les sépare des habitants, même si ces derniers payent leur part dans les violations commises par les forces de sécurité.

Quant aux conflits inter-djihadistes, il semble que le conflit entre Al-Qaëda et le front Al-Nosra d’une part, et Daech de l’autre, continue à influencer la scène djihadiste.

Il y a quelques jours, un communiqué publié par une nouvelle organisation djihadiste qui se donne le nom de la Brigade de Rabat essaye de briser le monopole d’Ansar Beit Al-Maqdes (aujourd’hui Wélayet Sinaï) sur l’activité djihadiste dans le Sinaï. Les rédacteurs du communiqué auraient tenu à ne pas entrer en conflit avec Wélayet Sinaï et n’ont pas non plus taxé l’armée égyptienne d’apostasie. Le communiqué s’est achevé sur une note de mise en garde contre d’éventuelles séditions faisant allusion à ce qu’il est convenu d’appeler parmi les djihadistes « la sédition du Levant », à savoir le conflit entre Daech et Al-Qaëda. Cependant, il est probable que les conflits inter-djihadistes se poursuivent dans la péninsule, parallèlement avec une concurrence enragée entre Agnad Masr et la branche de Wélayet Sinaï dans la Vallée du Nil, afin de prouver chacun son efficacité dans l’achèvement des opérations au Caire et dans le Delta. Reste la question relative à la performance sécuritaire et à la capacité des appareils à éradiquer le terrorisme. Et il semble que le renforcement des mesures sécuritaires (fermeture du pont Al-Salam reliant les deux rives du Canal de Suez, création d’une zone tampon le long de la frontière avec la bande de Gaza, couvre-feu, …) n’a pour l’instant ni affecté les djihadistes ni réduit la violence de leurs attaques. Alors que les appels lancés à l’intention de l’Etat pour ménager la population du Sinaï, afin de s’assurer leur soutien, restent peu suivis .

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