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Makram M. Ahmad: « La situation risque de dégénérer s’il n’y a pas de volonté politique de combattre ces mouvements »

Propos recueillis par May Al-Maghrabi, Mardi, 13 novembre 2012

L'écrivain et journaliste Makram Mohamad Ahmad, auteur d’une série d’entretiens dans les années 1990 avec les dirigeants des mouvements djihadistes, craint que l’arrivée des islamistes au pouvoir ne soit la raison de la résurgence de ces mouvements

Makram Mohamed Ahmad
Makram Mohamed Ahmad

Al-Ahram Hebdo : L’Egypte a témoigné récemment de plusieurs incidents armés. S’agit-il d’un retour des djihadistes, d’anciennes cellules terroristes qui sont réactivées ?

Makram Mohamad : Il s’agit bien sûr de ce qui reste des groupes djihadistes qui ont fait subir à l’Egypte le terrorisme dans les années 1980 et qui ont refait une apparition timide au début des années 2000. Après la révolution, leur réapparition a été favorisée par l’instabilité sécuritaire et politique que l’Egypte a connue. Ces groupes sont armés et reçoivent un entraînement militaire quasi régulier par des groupes djihadistes palestiniens et des membres d’Al-Qaëda, qui s’infiltrent dans le Sinaï à travers les tunnels. Parmi ces groupes djihadistes figurent Ansar al-sunna, Al-Djihad, Al-Tawhid, Ansar al-djihad, Le Salafisme djihadiste ou encore Choura al-moudjahidine. Mais ces groupuscules ne disposent pas d’une structure unifiée de commandement comme c’est le cas d’Al-Qaëda.

— S’ils sont liés, comme vous le dites, à des mouvements anciens, qu’est-ce qui a encouragé leur émergence aujourd’hui ?

— La prospérité de l’islam politique après la révolution a donné un coup de fouet à ces groupes. Le régime au pouvoir justifie leurs actes criminels et leur offre tacitement un soutien politique. La tête du régime s’adresse à ces groupes fondamentalistes en des termes comme « mes chers fils », comme on l’a vu lors du discours du président les appelant au dialogue, à Assiout, fief des dijhadistes. Mais quel laxisme ! Faute d’une prise de position ferme, ces cellules resurgiront avec force, et cela encouragera les mouvements les plus radicaux chez les pays voisins à faire du Sinaï une nouvelle base pour leurs activités terroristes. La situation est dangereuse et risque de dégénérer si la volonté politique de combattre ces mouvements djihadistes reste absente. Ce serait même pire que dans les années 1980.

— Mais Gaza a toujours existé à la frontière sans provoquer cette expansion des djihadistes ...

— La région du Nord-Sinaï a longtemps été une passerelle pour les armes qui transitent vers la bande de Gaza. La nature géographique du Nord-Sinaï, qui est une combinaison de montagnes désertiques élevées et de plaines côtières habitées, rend cette région propice pour abriter des bandes terroristes. Le fait que l’Etat a négligé systématiquement le Sinaï et n’a jamais pris au sérieux les problèmes de ses habitants en a fait une terre fertile pour toutes sortes de crimes et pour le terrorisme. Pendant et dans la foulée de la révolution, l’absence de contrôle sur la région a permis aux extrémistes de se réorganiser et d’accumuler une quantité impressionnante d’armes lourdes et automatiques.

— Quel serait leur objectif ?

— Ces groupuscules refusent de se limiter à l’action religieuse et à la prédication, et font du djihad armé le cœur de leur activité. Les salafistes djihadistes sont favorables à la lutte armée pour renverser les régimes arabes et instaurer l’Etat islamique. C’est leur but ultime, et ils cherchent à le concrétiser coûte que coûte. La situation est devenue encore plus alarmante avec le retour en force du courant takfiri, qui juge apostat tout courant qui s’oppose à ses idées. Ces gens sont prêts à utiliser la force armée, même contre les civils.

— Mais l’Egypte est aujourd’hui sous un régime islamiste. Comment ces mouvements justifient-ils leur lutte ?

— Le discours modéré adopté par les Frères musulmans sur la charia et l’identité civile de l’Etat est jugé trop mou par les djihadistes, et il ne correspond en rien à leurs convictions idéologiques qui leur dictent de lutter pour renverser les régimes arabes « impies » et pour instaurer des Etats islamiques. Chacun de ces courants prétend incarner le seul véritable islam et critique les autres courants de manière virulente. Toute personne ne partageant pas leur vision est purement et simplement jugée apostat. Cette division islamiste sur le concept même de l’Etat islamique et sur l’application de la charia met en relief le danger d’une islamisation de l’Etat.

— Ces divergences entre les différents courants djihadistes ne pourraient-elles pas retarder leur action ?

— Aussi divergents qu’ils paraissent, Frères musulmans, salafistes ou djihadistes ne sont que les différentes faces d’une même monnaie. Leur noyau idéologique reste la démolition de l’Etat civil moderne pour instaurer un Etat théocratique. Si les Frères musulmans sont plus politisés que les autres courants, c’est que cela leur permet de manœuvrer pour atteindre leur but. La tactique des salafistes est différente : salafistes de prédication et djihadistes se complètent et se partagent les rôles. En définitive, les nuances entre les différents mouvements islamistes ne minimisent en rien leur danger et leur aspiration à un Etat islamique fondamentaliste:

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