C’est le troisième succès en une semaine pour l’armée iraqienne qui est parvenue, avec l’aide de miliciens chiites et de tribus sunnites locales, à briser samedi 15 novembre le siège, du groupe Etat Islamique (EI), de la principale raffinerie dans le nord du pays. Ce regain de terrain, également dû à la poursuite des bombardements par la coalition multinationale menée par les Etats-Unis, fait suite à la prise, la veille, de la ville stratégique de Baïji, à dix kilomètres de la raffinerie, ainsi qu’à l’évacuation mercredi 12 du barrage d’Adhaim (au nord de Bagdad), par l’armée iraqienne, également occupé jusqu’alors par Daech.
Ces heurts successifs, bien que significatifs, ne viennent pas pour autant déstabiliser l’organisation terroriste la « plus riche du monde ». Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamistes, basé à Beyrouth, déclarait en juillet lors d’une interview que l’Etat islamique finance ses activités « sur des fonds propres ». Cet autofinancement, (auquel s’ajoutent les quelques aides extérieures probablement originaires des pays du Golfe, mais difficilement dépistables), repose, selon lui, sur plusieurs secteurs : impôts, extorsions de fonds sur les territoires conquis, soutiens divers de populations locales, mais surtout sur l’exploitation de puits de pétrole, réelle poule aux oeufs d’or.
L’organisation contrôle, actuellement, une douzaine de sites pétroliers répartis sur son califat à cheval entre l’Iraq et la Syrie. La plupart de ces installations d’extraction, ainsi que les raffineries en Iraq datent de l’ère Saddam Hussein. On considère la capacité d’enrichissement de Daech à une somme avoisinant les deux millions de dollars par jour, très majoritairement grâce à cette manne pétrolière. En effet, le cabinet américain IHS a récemment évalué le rythme de production de l’Etat islamique à 50 000 barils de pétrole par jour, tout en estimant que celle-ci pouvait grimper jusqu’à 350 000 barils par jour, c’est-à-dire 7 fois supérieure à la cadence actuelle. Si ce rythme de production était atteint, la rente journalière pourrait, alors, se chiffrer autour de trente millions de dollars par jour. « Avoir un contrôle sur les raffineries est primordial pour l’EI, car l’argent du pétrole leur permet de se détacher de la tutelle des Etats qui les financent », explique Aymane Abdel-Wahab, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram,
La force du réseau mis en place par l’EI réside également dans le bas prix auquel il met en vente ses barils de pétrole, que l’IHS chiffre à 25 à 60 dollars l’unité. Beaucoup plus attractif que le prix du marché officiel qui avoisine actuellement les 85 dollars. En se basant sur un coût moyen de 40 dollars le baril, le cabinet américain jauge sa capacité d’enrichissement à 800 millions de dollars par an, uniquement grâce à la rente pétrolière.
Arme financière et stratégique
L’exportation de ce pétrole est rendue possible grâce à la clandestinité des réseaux tissés par l’organisation terroriste. En effet, selon Aymane Abdel-Wahab, les différents pays n’ont pas de scrupule à acheter le pétrole de Daech simplement parce que c’est moins cher. En septembre, le site d’information français Mediapart révélait une phrase prononcée devant des députés de la commission des affaires étrangères du Parlement européen, par Jana Hybaskova, ambassadrice de l’Union européenne en Iraq : « Malheureusement, des Etats membres de l’UE achètent ce pétrole », provoquant de vives réactions.
David Cohen, sous-secrétaire américain au Terrorisme et au Renseignement financier, mettait en garde, fin octobre, contre « les réseaux illégaux et en marge de l’économie formelle utilisés par l’Etat islamique pour acheminer le pétrole », alors que voit le jour une véritable croisade de la part des Etats-Unis pour identifier et sanctionner les acteurs, revendeurs comme acheteurs, de ce financement de Daech par le pétrole. Des ressortissants turcs et kurdes iraqiens, pourtant alliés directs des Etats-Unis dans la guerre contre l’Etat islamique, sont notamment dans le viseur du Trésor américain, qui les accuse directement de participer à cette contrebande clandestine à grande échelle. Le pétrole, en plus d’être une arme financière, est aussi l’une des armes stratégiques de Daech. Son contrôle lui a permis de se déplacer à faible coût lors de la conquête fulgurante de son territoire, lancée le 9 juin dernier.
En outre, le processus de tentative d’étatisation de Daech se poursuit : les responsables de l’organisation djihadiste déclaraient, via un communiqué rendu public le 13 novembre, vouloir frapper leur propre monnaie (pour revenir au dinar d’or, utilisé pour la première fois sous le calife ottoman au VIIe siècle). Ce processus s’exprime aussi dans la mise en place d’institutions et d’écoles. Néanmoins, comme le souligne Eckart Woertz dans un rapport intitulé « How Long Will ISIS Last Economically ? », publié le mois dernier par le Barcelona Center for International Affairs, les revenus de l’Etat islamique sont « importants pour un groupe terroriste, mais pas pour une organisation qui veut diriger un Etat et imposer sa loi sur un territoire étendu ».
Les Etats-Unis l’ont annoncé, après avoir commencé à bombarder les sites pétroliers le 24 septembre, ils s’attaquent désormais au porte-monnaie de l’organisation terroriste en tentant d’enrayer leur réseau de production et d’exportation de pétrole .
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