Al-Ahram Hebdo : Votre parti a obtenu la majorité aux législatives du 26 octobre, et pourtant c’est un jeune parti récemment crée. Comment interprétez-vous cela ?
Béji Caïd Essebsi : Nidaa Tounès est un parti qui croit en la démocratie, et qui respecte ses règles. Et nous souhaitons que toutes les autres formations politiques fassent de même. Nidaa Tounès a été créé après la révolution de 2011. Nous l’avons formé car nous avions constaté qu’il existait à l’époque un déséquilibre sur la scène politique tunisienne. Les premières élections qui ont suivi la révolution, et qui avaient consacré la victoire du parti islamiste Ennahda à plus de 90%, avaient en effet prouvé ce déséquilibre. Aujourd’hui, le peuple tunisien est plus mature. Les résultats des législatives de la semaine dernière, en sont la preuve. Nous avons obtenu 85 sièges sur un total de 217. Et nous nous attendions à ce résultat. Depuis les événements de 2011, nous souhaitions participer au processus démocratique, mais c’était impossible en raison de la domination des islamistes. Je voudrais aussi vous préciser que la démocratie ne se limite pas à la tenue d’élections. Il s’agit aussi de créer un environnement favorable au transfert de pouvoirs.
— Après les législatives, quelles sont les coalitions envisageables ?
— Avant même la tenue des élections, nous, à Nidaa Tounès, nous avons décidé de ne pas gouverner seuls. Et ce, même si nous obtenons la majorité absolue. Nous allons donc traiter avec ceux qui comme nous, partagent les mêmes idéaux démocratiques. Nous sommes ouverts à toutes les forces politiques proches de nous, et qui oeuvrent à préserver l’identité tunisienne. D’ailleurs, c’est le fait que Ennahda se soit accaparé seul le pouvoir aux lendemains de la révolution, qui a provoqué le mécontentement des Tunisiens. Et c’est ce qui a été à l’origine de l’échec des deux gouvernements d’Ennahda, et du recul économique que la Tunisie a connu ces dernières années. D’autant plus qu’Ennahda a tenté de revenir sur les acquis de l’époque de Bourguiba et d’étouffer la société civile. Nous ferons tout pour que la Tunisie reste un Etat de gouvernement civil. Ceci ne signifie en aucun cas que nous sommes contre l’islam. Nous sommes toujours prêts à discuter et à négocier avec toutes les autres parties ayant des idéaux différents aux nôtres. Nous ne les considérons pas des adversaires mais des concurrents. D’ailleurs, le chef d’Ennahda m’a appelé pour me féliciter, ce qui crée un climat démocratique positif et je l’en remercie.
— Passons désormais aux présidentielles. Etes-vous d’accord avec le terme « président de consensus » et si oui, pouvez-vous être ce président ?
— Il s’agit là d’une proposition faite par Ennahda et je ne suis pas du tout d’accord. C’est anti-constitutionnel. Le président doit être choisi par le peuple et non pas faire l’objet d’un consensus entre les partis politiques.
— Certains vous accusent d’être un symbole de l’ancien régime, voire de l’époque de Bourguiba …
— Pour ce qui est de Bourguiba, nul ne peut nier les acquis de l’ancien président en commençant par l’indépendance de la Tunisie. Après l’indépendance, nous étions tous très enthousiastes pour mettre en place le projet de Bourguiba. Un projet qui a entre autres, permis de mettre fin à l’analphabétisme, et de libérer la femme. Et ce sont justement les acquis de ce projet qui ont favorisé le succès de la révolution tunisienne et de l’expérience démocratique en Tunisie. Bourguiba a créé une large classe moyenne et c’est cette classe qui a fait la révolution. Le projet de Bourguiba aurait pu tout à fait réussir s’il n’y avait pas eu des difficultés économiques.
L’ancien président Habib Bourguiba avait pour objectif de mettre sur pied un Etat de gouvernement civil moderne, de favoriser le développement de la société par le biais de la promotion de l’éducation et de la santé et de libérer la femme. Tout compte fait, il a réussi. Et il suffit que la Tunisie sache ce qu’est le concept d’Etat. Après tout, les hommes et les gouvernements changent, l’Etat reste. Aussi, Bourguiba était réaliste et savait comment agir avec l’islam politique. Et il a su préserver l’identité tunisienne. Malgré tout cela, à l’époque de Bourguiba, j’ai quitté mon poste de ministre des Affaires étrangères car je pensais que le changement était devenu nécessaire. Bourguiba avait ses défauts: il est resté trop longtemps au pouvoir et n’était pas démocratique. Cela dit, il était patriote, intègre, non corrompu et il a passé la moitié de sa vie en prison pour défendre sa cause: l’indépendance de la Tunisie.
Lorsque Zine El Abidine bin Ali a pris le pouvoir, il a promis de répondre aux revendications de la classe politique. Comme cela n’a pas été fait, j’ai quitté la scène politique un an seulement après l’arrivée au pouvoir de Bin Ali ,et je suis resté plus de 20 ans loin de toute activité politique, jusqu’à la révolution de 2011. On ne peut pas nier qu’il existe de nombreux politiciens ayant occupé des postes sous Bin Ali, et qui sont tout à fait intègres et qui ont servi la Tunisie.
— Sur quoi se base votre campagne pour les présidentielles ?
— Je me suis porté candidat parce que j’estime que j’ai un programme national qui me permet de tenir les rênes du pays. Je pense qu’il faut d’abord tourner la page du passé et aller en avant. Je mise sur les jeunes générations qui représentent l’avenir de la Tunisie. Ma politique est basée sur le pragmatisme et le réalisme politique. Pour ce qui est du siège présidentiel, il ne m’apportera rien de plus, si je suis élu. Le prochain président a des prérogatives précises, dictées par la Constitution, et il ne dirigera pas le pays seul.
— Etes-vous optimiste quant à l’avenir de la Tunisie ?
— Bien sûr. La Tunisie surpassera cette période difficile et sera à tous les Tunisiens. Le temps de l’oppression est passé et les Tunisiens n’accepteront plus de dictateur.
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