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Baisse du pétrole : Les gagnants et les perdants

Gilane Magdi, Mardi, 21 octobre 2014

La baisse des prix du pétrole qui dure depuis trois mois a des répercussions sur plusieurs pays producteurs de la région. Les importateurs, Egypte en tête, pourraient en profiter.

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L'Arabie saoudite dit aux marchés pétroliers  : accoutumez-vous à des prix plus bas. (Photo : Reuters)

Une guerre politique avec le pétrole comme arme prend forme. La région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) compte à la fois des pays importateurs et de grands exportateurs de brut et de ses dérivés. Des intérêts conflictuels qui risquent de provoquer de nouvelles tensions, tout en faisant de l’Arabie saoudite le pays vedette de la région.

Les prix du pétrole poursuivent leur chute libre. Selon le rapport mensuel de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), publié le 10 octobre, le prix du baril a chuté passant de 94,17 dollars à 81,16 dollars, soit 13% de moins, du 1er au 16 octobre 2014, avant de légèrement augmenter à 83,17 dollars le 17 octobre. Ceci après une première chute de 11% au cours des mois précédents.

De même, le baril de brent de la mer du Nord pour livraison en novembre a enregistré son niveau le plus bas depuis le 1er décembre 2010. Même tendance pour le Light Sweet Crude (WTI) qui avait clôturé la semaine dernière à 83,59 dollars, son niveau le plus faible depuis le 3 juillet 2012.

« Le marché du pétrole est frappé par une faible demande par rapport à l’offre. Cette tendance a été renforcée par le ralentissement de la performance économique dans la zone euro », indique le rapport de l’Opep. La chute des prix risque de continuer l’année prochaine. Pour les pays membres de l’Opep, la demande chuterait de 30 à 29,2 millions de barils/jour en 2015 par rapport à 2014 à cause du recul prévu de la demande des principaux consommateurs, notamment les pays européens (14% de la demande mondiale). En revanche, la production des pays non membres de l’Opep augmenterait de 1,24 mb/j, pour atteindre 57,16 mb/j.

Les perdants de la région MENA sont les pays exportateurs. Les pertes diffèrent toutefois d’un pays à l’autre, selon la dépendance de chaque pays par rapport aux revenus pétroliers et la force de sa monnaie face au dollar. Face à un billet vert fort, certains pays seront doublement perdants.

« Les pays du Golfe, dont la monnaie nationale est liée au dollar, vont subir une chute dans leurs revenus en monnaie nationale résultante de la baisse des cours de l’or noir et de la hausse des prix du dollar », selon l’analyse de la Deutsche Bank publiée cette semaine par l’agence britannique Reuters. En fait, la chute des prix du pétrole est couplée d’une hausse du dollar d’environ 3% au cours des trois derniers mois. Le même rapport souligne cependant que l’économie saoudienne peut tolérer cette baisse des revenus sans recourir à des restrictions budgétaires, grâce notamment à de larges réserves en dollar.

Mais les pays du Golfe dépendent de l’or noir pour financer leurs dépenses publiques. Selon les chiffres du Fonds Monétaire International (FMI), le Koweït vient à la tête des pays qui dépendent principalement des revenus pétroliers (85% de ses revenus), suivi par l’Arabie saoudite (80%), Oman (60%), le Qatar (50%), Bahreïn (35%) et enfin les Emirats arabes unis (32%).

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Au cours des trois derniers mois, les prix du pétrole de l’Opep ont baissé de 11  % pour atteindre 95,98 dollars le baril fin septembre, contre 107,89 dollars fin juin. Cette tendance à la baisse s’est prolongée en octobre avant de connaître une légère hausse le 17 octobre.

Pour sa part, l’agence de notation Fitch Epica a souligné dans son analyse publiée le 15 octobre que ces pays peuvent supporter la baisse des prix à court terme, mais que les répercussions sur les divers secteurs économiques seraient importantes à long terme. « Une baisse prolongée des prix du pétrole obligerait les gouvernements de réduire leurs dépenses, ce qui aurait des répercussions sur le secteur privé et se traduirait par une baisse des profits pour la plupart des banques au sein du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) », explique l’institution internationale. « Les avantages financiers fournis aux citoyens sous forme d’augmentations salariales et de subventions peuvent également être affectés », prévoit aussi l’institution. Fitch estime que le prix d’équilibre budgétaire, c’est-à-dire le prix qui empêche un déficit budgétaire pour le baril (brent), varie parmi les six membres du CCG: Bahreïn (127 dollars), Oman (103 dollars), Arabie saoudite (94 dollars), Emirats arabes unis (71 dollars), Qatar (72 dollars) et Koweït (52 dollars), donc certains pays sont déjà hors de leur zone de confort.

Quant aux autres pays producteurs comme l’Iran ou l’Algérie, ils seront largement affectés aussi bien au niveau économique que politique. Ce sont des économies à grandes populations au sein d’une région troublée par des aspirations de justice sociale. Faute de ressources, la contagion de révolution peut facilement arriver à leurs frontières. Des analystes craignent que cette baisse des prix du pétrole ne soit une arme politique visant à déstabiliser certains pays. C’est ce que note l’écrivain américain Thomas Friedman, spécialiste du Proche-Orient, dans son article publié le 15 octobre au Newsweek Times. En utilisant le terme « guerre du pétrole », Friedman est catégorique: « L’Arabie saoudite et les Etats-Unis ont déclenché une guerre des prix en vue d’inonder les économies russe et iranienne dans leurs déficits budgétaires ». « N’est-il pas bizarre que 5 pays producteurs (la Libye, l’Iraq, le Nigeria, la Syrie et l’Iran) soient incapables d’approvisionner les marchés internationaux en pétrole à cause des turbulences internes, et paradoxalement, le prix du baril baisse sous la barre des 90 dollars ? », se demande-t-il. Une théorie qu’il défend, en soulignant que l’Arabie saoudite, premier exportateur mondial, n’a pas opté pour une réduction de la production pour freiner la baisse des prix.

Les pays importateurs bénéficiaires

Si les pays exportateurs restent les perdants de cette baisse des prix à court ou à long terme, la question est complètement différente pour les pays importateurs. Il s’agit notamment des pays arabes tels que l’Egypte, la Tunisie, le Maroc, la Jordanie et le Liban, et les grands consommateurs mondiaux comme les Etats-Unis, les pays européens et certains pays asiatiques. L’Egypte vient à la tête des pays gagnants avec une réduction prévue de sa facture d’importation (voir encadré). L’impact est presque le même pour la Tunisie. « La baisse des prix du pétrole aura des répercussions positives sur les budgets 2014 et 2015. Le gouvernement tunisien est en train de réviser ces budgets à la lumière des nouvelles données », a déclaré cette semaine le gouverneur de la Banque Centrale de ce pays. Or, cet impact positif pourrait être mitigé dans la mesure où la baisse des prix du pétrole limiterait la capacité des pays du Golfe à soutenir, en termes d’aide et d’investissements, les économies de leurs alliés de la région, dont l’Egypte, la Jordanie ou le Liban. Le 22 novembre, les membres de l ’Opep, qui fournissent au monde plus du tiers du brut, se réuniront pour discuter de la baisse des prix. Si leur décision penche pour une réduction de la production, l’Arabie saoudite peut se permettre de s’en désengager... pour des raisons politiques.

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