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Ahmad Ban : Il faut un Etat de droit pour contrer l’extrémisme 

Rasha Hanafy, Mardi, 30 septembre 2014

Pour Ahmad Ban, spécialiste des mouvements islamistes, contrer l'Etat Islamique (EI) passe par davantage de liberté et un renforcement du rôle d'Al-Azhar en tant qu'institution modérée loin de la tutelle de l'Etat.

Il faut un Etat de droit pour contrer l’extrémisme 

Al-Ahram Hebdo : D’après vos recherches sur les mouvements islamistes, pouvez-vous nous dire sur quoi est basée l’idéologie des groupes extrémistes armés comme l’Etat Islamique (EI) ?

Ahmed Ban: Les groupes extré­mistes armés ne sont pas nés aujourd’hui. Leur idéologie est fondée sur des interprétations erronées des versets du Coran sans prendre en considération leur contexte. Leur objectif est de mettre fin aux régimes arabes pour ensuite faire face à Israël. Raison pour laquelle ils sont contre tous les régimes arabes et les considè­rent comme mécréants. Les moyens dont ils se servent pour terroriser les habitants de la région sont inspirés de certains récits faibles racontés à pro­pos des conquêtes. Certains de ces récits racontent des détails sans fonde­ment, notamment lors des conquêtes du Maghreb par Tareq Ibn Ziyad. On dit qu’il décapitait ses adversaires, faisait bouillir leurs cadavres et ordon­nait à ses soldats de les manger. Il envoyait ensuite une personne pour raconter ces détails aux gens, afin de les terroriser de manière à ce qu’ils ne lui résistent pas. Mais il n’y a pas de preuve que cette histoire est vraie dans les livres d’histoire islamique. En outre, cette façon de terroriser les gens ne relève pas de l’islam, d’après les ouvrages qui ont été écrits depuis l’époque du prophète et des compa­gnons. Ces groupes armés basent leur légitimité également sur certaines fatwas du théologien Ibn Taymiya, émises contre les tatars alors qu’ils attaquaient la région et détruisaient les pays. Les fatwas diffèrent les unes des autres selon l’endroit, l’époque et les raisons. Mais ces groupes ne s’inté­ressent pas au contexte.

Ahmad Ban
Ahmad Ban

— Y a-t-il d’autres exemples de l’utilisation de la religion à des fins politiques ?

— Les conflits pour le pouvoir ont commencé après l’an 36 de l’hégire. Jusqu’à cette époque, les califes gouvernaient en se basant sur la choura (consultation) et le choix libre des musulmans. C’est à partir des Omeyyades qu’on a vu apparaître la transmission héréditaire du trône et les conflits pour le pouvoir. Dans tous ces conflits, chaque partie prenait les versets coraniques qui soutiennent son point de vue et justifient ses actes. En fait, le recours à la religion pour arriver au pouvoir est très ancien. Raison pour laquelle nous devons revoir tout ce qui a été rédigé sur l’histoire islamique, ainsi que tout ce qui a été attribué aux grands théologiens pour purifier l’histoire de tout ce qui est faible et sans preuve.

— Comment expliquez-vous l’expansion rapide de l’Etat islamique au cours des derniers mois ?

— Tout d’abord, il faut savoir que l’EI n’est pas né par hasard. Dans l’histoire moderne, il fait partie des groupes de ce qu’on appelle l’islam politique ou les groupes islamistes. Ces groupes ont vu le jour avec la création de l’organisation des Frères musulmans en 1928. A l’époque, l’Egypte était occupée par la Grande-Bretagne qui a essayé de créer des problèmes entre chrétiens et musulmans. Mais les Anglais ont échoué en 1919, ils ont donc contribué à créer l’organisation des Frères. Le but déclaré était de lutter contre l’athéisme. Mais ils voulaient en fait entraver l’instauration d’un Etat national en Egypte. Ils pensaient qu’un tel Etat n’était pas en leur faveur. C’est à partir de 1940 que Hassan Al-Banna a décidé de former des milices armés sous prétexte de combattre les forces d’occupation et les juifs. On peut dire que cette date est le début de l’apparition des groupes armés qui utilisent la religion pour arriver au pouvoir. C’est à partir de cette date qu’on a commencé à voir les explosions, les voitures piégées et la violence.

— Mais l’EI, Boko Haram, Al-Qaëda et bien d’autres groupes n’appartiennent pas à la confrérie ...

— Non. Mais tous ces groupes armés ont emboîté le pas aux Frères musulmans. Après 1940, on a vu des mouvements comme le Djihad et la Gamaa Islamiya. Ensuite, il y a eu la naissance d’Al-Qaëda en Afghanistan, qui est devenue en 1979 un terrain d’action pour ces terroristes avec une finance saoudienne, américaine et égyptienne durant la période d’hostilité avec l’ancienne Union soviétique. Après la défaite de la Russie, il y a eu le retour de ces combattants à leurs pays. Il y a eu l’assassinat de Sadate, ensuite l’Algérie a vécu une période sombre dans les années 1990, puis il y a eu l’explosion des deux tours du World Trade Center, aux Etats-Unis, et l’attentat en Ethiopie. Nous sommes aujourd’hui devant des groupes transfrontaliers.

— L’expérience des Frères et la défiguration du patrimoine religieux sont-elles les seules raisons qui ont mené à l’apparition de l’idéologie extrémiste ?

— Il y a également l’échec de l’Etat et de ses différentes instances. Les ministères de l’Education à titre d’exemple n’ont pas présenté de éducation basée sur la critique et la réflexion. Les ministères de la Culture n’ont pas joué leur rôle pour diffuser le savoir et la diversité culturelle. Les ministères de l’Information se sont transformés en instrument de mobilisation en faveur des régimes. Même Al-Azhar, considéré comme une référence de l’islam modéré, n’a pas purifié le patrimoine religieux de tout ce qui défigure la religion. Le rôle de cette instance a reculé à cause de la domination des conservateurs et le fait de se plier devant les différents régimes depuis l’époque de Mohamad Ali.

— Afin de faire face à cette idéologie extrémiste, le gouvernement en Egypte a déclaré laisser quelques tribunes aux salafistes. Pensez-vous qu’il s’agisse là d’une solution pour éradiquer l’extrémisme armé ?

— Non. Je pense qu’il ne s’agit pas de solution, mais on tourne dans le même cercle. C’est comme si on leur avait donné une opportunité pour se cacher. Le discours de ces groupes de salafistes n’est pas différent de celui des extrémistes. En fait, fonder l’Etat sur des bases religieuses affaiblit l’Etat et ne résout pas le problème. Je crois qu’une vision intégrale de la part des dirigeants en Egypte est absente. L’EI et d’autres groupes extrémistes armés ne sont que des instruments pour remodeler la région en faveur des grandes puissances. Pour faire face à ces groupes extrémistes armés, il faut instaurer un Etat civil démocratique. Il faut un Etat de droit pour contrer l’extrémisme. Il faut lancer un vrai discours national, permettre un grand partenariat politique qui rassemble tout le monde sans interdiction sous des prétextes économiques ou au nom de la guerre contre le terrorisme, et impliquer les jeunes dans ce processus pour qu’ils puissent travailler sur la sensibilisation des gens. Sinon, nous serons face à une nouvelle révolution.

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