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La politique loin du campus

Samar Al-Gamal avec Gamila Abdel-Sattar, Mardi, 23 septembre 2014

En prévision de la rentrée, des mesures sont prises dans les universités pour éviter tout débordement. Les activités politiques sont désormais interdites...

EidLa politique loin du campus
(Photo : Mohamed Maher)

« Le président de l’université nous a dit que le camp avait un caractère politique et c’est pour cela qu’il a été annulé », raconte Ahmad Khalaf, président de l’union des étudiants à la faculté de sciences politiques, de l’Université du Caire. Les étudiants avaient prévu de partir pour un camp à la cité de la jeunesse dans le gouvernorat de Charm Al-Cheikh, pour discuter de la cohabitation entre les étudiants de tendances politiques opposées et des moyens de concilier sécurité et liberté au sein du campus. « Mais la veille du camp, on a été informé que le président de l’université, Gaber Nasser, a voulu réduire la durée du camp de 2 jours (2 au lieu de 4) en rejetant la participation de certains professeurs », raconte Khalaf.

Logistiquement, cela n’était pas possible et le camp a donc été annulé. A la même faculté de sciences politiques, toutes les activités ont été annulées, d’après Nourhane Al-Cheikh, professeur à la faculté et responsable de l’unité des études de la jeunesse. « Nous avions préparé une conférence sur l’économie de marché dans le cadre d’un projet lancé l’année dernière qui n’a rien à voir avec la politique, mais à la dernière minute on a été informé que tout genre d’activité est désormais interdit, même dans les facultés d’agronomie et de sciences », se plaint Al-Cheikh. Elle parle d’une décision orale qui a été transmise par le vice-président de l’université. Une rencontre avec le président de l’université était impossible.

« On nous a dit qu’il était en voyage ». Contacté par téléphone alors qu’il était à Assiout, en Haute Egypte, Gaber Nasser s’est abstenu de tout commentaire arguant qu’il était occupé. Beaucoup d’autres présidents d’université, à l’instar de celui d’Alexandrie, ont déclaré que désormais toute activité politique serait interdite (Lire page 5). Al-Cheikh se dit d’ailleurs favorable à cette mesure, mais fait la distinction entre les activités partisanes, liées aux partis politiques, qu’elle rejette et les activités « éducatives et culturelles ». « Malheureusement les responsables mélangent les cartes », dit-elle.

La décision d’interdire les activités politiques au sein du campus universitaire remonte à plusieurs semaines. Craignant de voir se répéter les événements malheureux de l’année dernière durant lesquels des échauffourées avaient eu lieu entre les étudiants pro-Morsi et la police, les autorités ont annoncé que toute activité politique au sein du campus serait désormais prohibée. Les manifestations de l’année dernière étaient d’une grande violence. Protestant contre la destitution de Mohamad Morsi, les étudiants islamistes avaient pris d’assaut les salles de cours, empêchant les étudiants d’y accéder. Plusieurs bâtiments ont été incendiés ou saccagés.

14 étudiants sont morts dans les confrontations et plusieurs dizaines ont été arrêtés et détenus, selon l’association Liberté d’opinion et d’expression. Par ailleurs, deux officiers avaient trouvé la mort, l'année dernière, lors d'une explosion devant l'Université du Caire. Et des centaines de policiers ont été blessés dans les affrontements, selon le ministère de l'Intérieur.

Eviter les troubles

Cette année, il n’est pas question que le même scénario se répète, affirment les autorités. La nouvelle année universitaire qui devait initialement commencer le 27 septembre a été reportée au 11 octobre. Et une série de mesures de sécurité sont prises pour « éviter les troubles » et assurer « le bon déroulement des cours ».

Selon Achraf Hatem, secrétaire général du Conseil suprême des universités, l’instance chargée de gérer les dossiers des universités, « aucun étudiant ne sera autorisé à entrer sur le campus sans sa carte universitaire de l’année 2014-2015, des caméras de surveillance seront postées sur les murs et sur les grilles d’un certain nombre d’universités et tout professeur ou étudiant qui se livre à la violence sera immédiatement renvoyé », martèle-t-il sur un ton ferme. Les manifestations sur le campus sont désormais interdites, selon le président de l’Université de Béni-Soueif.

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Devant l'Université du Caire, une voiture totalement incendiée. (Photo : Reuters)

Les étudiants ne cachent pas leur frustration face à ces mesures du gouvernement. Ils dénoncent aussi le projet d’une nouvelle charte estudiantine, qui réduirait les pouvoirs des unions étudiantes en « retirant la marge de liberté acquise depuis la révolution de 2011 ». La charte de 2005 élaborée sous Moubarak est suspendue. Les élections des unions étudiantes ont ainsi été tenues en mars 2013 selon une charte provisoire élaborée en 2012, qui faisait des unions un corps protecteur des étudiants et leur permettait de contribuer à la prise de décision dans les universités. Les unions étudiantes avaient présenté au Conseil suprême des universités un projet de nouvelle charte au temps du président par intérim, Adly Mansour, mais le texte est resté lettre morte.

Vif débat

Faut-il autoriser la politique à l’université ? La question est au centre d'un vif débat. Amina Rachid, membre du mouvement du 9 Mars pour l’indépendance des professeurs, critique les mesures gouvernementales. « La politique a toujours été présente à l’université. C’est à l’université que la lutte contre l’occupation britannique a commencé », dit-elle. Mais c’est surtout l’approche strictement sécuritaire qui est montrée du doigt. « C’est un retour aux méthodes d’antan où la police avait son mot à dire dans le choix des dirigeants universitaires, éliminant une expérience électorale très positive », s’insurge Madiha Doss, professeur à la faculté de lettres. Même son de cloche pour Ahmad Abd-Rabbo, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. « Les nouvelles mesures de sécurité ne constituent pas une solution », dit-il. Et d’ajouter: « Depuis 15 mois, l’ensemble du pays est géré par des mesures sécuritaires qui se sont avérées peu efficaces. La même équation s’applique à l’université. Aujourd’hui, le gouvernement cherche à restreindre les libertés et à mettre des barrières ».

Mais pour d’autres, ces mesures sont nécessaires, voire même insuffisantes! C’est notamment l’avis de Nourhane Al-Cheikh. Bien qu’elle soit opposée à toute ingérence de la sécurité dans le processus éducatif, elle pense que la sécurité doit être renforcée à l’intérieur du campus. « Les mesures administratives, comme l’interdiction de manifester, ne suffisent pas. La police doit revenir pour protéger les bâtiments et le personnel. On peut également recourir à des compagnies privées de sécurité et installer des portails électroniques. Depuis la fin de l’année universitaire, aucune démarche n’a été prise et je ne vois aucune caméra de surveillance à l’Université du Caire », dit-elle.

De nombreux étudiants s'étaient plaints l'année dernière de l'impossibilité de suivre les cours en raison des troubles. « Il n'y avait pas moyen d'assister au cours. Les étudiants islamistes faisaient tout pour nous en empêcher », explique Mona Sami, étudiante.

Mahmoud Al-Hawalawi, professeur à l’Université d’Alexandrie, qualifie les mesures gouvernementales de « raisonnables » car, selon lui, l’université ne « peut pas être un lieu de combat politique et de violence ».

Interrogé par une chaîne de télévision, le chef du gouvernement, Ibrahim Mahlab, a cherché à calmer les ardeurs en affirmant que les « libertés ne seront pas réprimées ». Mahlab, qui avait fait partie du mouvement des étudiants de 1968 et 1971 et qui était sorti en manifestation contre des décisions politiques sous Nasser et Sadate, a ajouté: « Nous acceptons toute activité tant qu’elle est disciplinée. Nous avons la plus grande marge de liberté dans nos universités ». L’article 21 de la Constitution contraint l’Etat à garantir « l’indépendance des universités ».

Le débat est loin d’être tranché et la tension semble se profiler à l’horizon. Des universités, comme celle de Béni-Soueif, de Aïn-Chams et de Hélouan, ont décidé de renvoyer immédiatement tout étudiant qui « porte atteinte au président verbalement ou par graffiti ». Abd-Rabbo propose l’instauration d’un dialogue entre les professeurs, les étudiants et le personnel administratif de l’université. « Il faut créer une unité de gestion de crise dans chaque faculté et libérer les étudiants arrêtés », dit-il. A bon entendeur !

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