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Taux d'intérêt : la difficile équation

Dahlia Réda, Lundi, 01 septembre 2014

Anticipant la hausse des prix de l'énergie, la Banque Centrale d'Egypte (BCE) a augmenté les taux d'intérêt sur les dépôts bancaires. Une décision qui risque de freiner la croissance et compromettre la réduction du déficit budgétaire.

Taux
Hicham Ramez a cherché à maintenir le niveau des réserves monétaires à l'équivalent de trois mois d'importation. (Photo : Reuters)

Réduire les taux d’intérêt pour booster la croissance ou les aug­menter pour contrer une inflation en hausse? La BCE doit faire des choix difficiles. Le comité des politiques monétaires auprès de la Banque a anticipé la hausse des prix de l’énergie en augmentant les taux d’intérêt indicateurs. Ceux-ci sont passés de 8,25% à 9,25% pour les dépôts d’une nuit auprès de la BCE, et de 9,25% à 10,25% pour les crédits d’une nuit. L’objectif est d’arriver à un taux d’intérêt positif (plus élevé que celui de l’inflation). Pendant 2 ans, les taux d’intérêt sur les dépôts ont été stables. Mais face à l’inflation galopante, leur rendement n’était plus satis­faisant.

La hausse des taux d’intérêt vise aussi à inciter les dépositaires à ne plus économiser en billets verts, freinant ainsi le phénomène de la dollarisation. La BCE veut ainsi com­battre la dépréciation de la livre, qui a perdu environ 12% de sa valeur depuis le départ de l’ancien gouverneur de la BCE Farouq Al-Oqda.

Deux risques

Or, cette décision comporte deux risques : restreindre la croissance toujours fragile et compromettre la politique financière du gou­vernement visant à réduire le déficit budgé­taire. L’augmentation des taux d’intérêt peut freiner la croissance, car elle entraîne une hausse du coût de l’emprunt, que ce soit pour financer la création d’entreprises ou pour financer l’achat de biens de consommation.

Le déficit budgétaire sera la seconde victime de la BCE. Le gouvernement paie presque le quart de ses dépenses en intérêts sur la dette publique qui se chiffre à 1,7 trillion de L.E. Une hausse de 1% du taux d’intérêt peut, à elle seule, creuser le déficit budgétaire de 17 mil­liards de L.E.

Or, en gros, plusieurs analystes trouvent que la BCE a réussi à diminuer les risques. Salwa Al-Antari, ex-directrice des recherches auprès de la banque Al-Ahly, argue que la hausse des intérêts ne va pas freiner la croissance, puisque 1 % du taux d’intérêt sur les dépôts bancaires, qui représentent 1,3 trillion de L.E., génèrent 13 milliards de L.E. en paiements d’intérêt en un an. Un montant qui sera distribué aux clients qui vont à leur tour s’en servir pour acheter des biens de consommation. Pour elle, « cet argent sera dépensé sur la consomma­tion, fait qui pourrait sortir le marché de la récession et garantir une hausse de la crois­sance ».

La première décision de Hicham Ramez en arrivant à la BCE a été d’augmenter les taux d’intérêt sur les certificats d’investissement dans 2 banques, à savoir la Banque Misr et la banque Al-Ahly, qui détiennent 50% des dépôts bancaires sur le marché. Ainsi, il a réduit la marge de profit des banques (diffé­rence entre les taux d’intérêt sur les dépôts et ceux sur les crédits). Une marge estimée trop grande par plusieurs banquiers, qui a fait que les banques ont cumulé des profits exagérés. Ahmad Adam, expert auprès de la banque ABC, rappelle que la décision de Ramez a permis d’augmenter les liquidités perdues des banques au cours des 2 années qui ont précédé son arrivée. Les banques privées ont suivi l’exemple des deux grandes banques publiques et ont augmenté elles aussi leurs taux d’intérêt sur les certificats d’investissement. « Ce fait a encouragé les clients de la classe moyenne à redéposer leur argent dans les banques, assu­rés de leurs rendements mensuels élevés », commente-t-il. Adam explique que grâce à cette mesure, les dépôts ont progressé de 20% cette année, contre 12% l’année précé­dente. « Sa décision était le signe d’un revire­ment de la politique des taux d’intérêt infé­rieurs, adoptée par son prédécesseur Farouq Al-Oqda », souligne-t-il.

Les réserves en devises de l’Egypte, en chute libre, étaient un autre dossier épineux hérité par Ramez. Ce dernier a été nommé à la tête de la BCE à un moment où la pénurie du dollar battait son plein, faisant chuter les réserves en devises aussi bien que la L.E.

La politique de Farouq Al-Oqda était de sacrifier les réserves en devises pour stabi­liser le taux de change du dollar contre la monnaie nationale. Par contre, Ramez a refusé de fixer la valeur de la L.E. En revanche, il n’a puisé dans les réserves que pour importer les denrées alimentaires de première nécessité et les produits pétro­liers. Il a encouragé le gouvernement à s’endetter de l’extérieur et à accepter les aides, pour maintenir les réserves à un niveau équivalent à 3 mois et demi d’im­portation. Salwa Al-Antari affirme que Hicham Ramez a donné la priorité aux importations des produits alimentaires et aux produits intermédiaires du secteur industriel. « Ainsi, les importateurs des produits luxueux ont dû chercher le billet vert auprès des bureaux de change », explique-t-elle, en notant que c’est ainsi qu’il a réussi à limiter l’érosion des réserves.

Une inflation difficile à juguler

La BCE ne publie aucun document pour expliquer l’objectif de sa politique moné­taire. Cependant, celle-ci est détectable à travers les mesures prises par la Banque. Depuis l’arrivée de Ramez, la politique de la BCE est la stabilisation du marché des changes. Dorénavant, elle visera à contenir une inflation difficile à juguler.

Selon Monsef Morsi, analyste du secteur bancaire, la décision du gouvernement d’aug­menter les prix de l’énergie entraînera une vague inflationniste. Il salue la rapide inter­vention de la BCE en augmentant les taux d’intérêt pour absorber ce choc. « La crédibi­lité qu’a vite acquise Ramez va l’aider dans sa mission», affirme Morsi. Il ajoute: « C’est la première fois que nous avons un banquier central qui possède une vision à moyen terme, qui agit avant que la situation ne se détériore, en anticipation et non pas en réaction ».

Est-ce qu’il réussira ce nouveau défi? Rien ne peut l’assurer. Même si les choix de Ramez semblent parfaitement logiques à court terme, les deux prochaines années jugeront de leur efficacité. Celle-ci sera mesurée par le taux de croissance et d’inflation.

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