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L’université pour tous !

Dina Bakr, Lundi, 01 septembre 2014

Peu de facultés sont ouvertes aux handicapés. Les responsables avancent l’absence de moyens et de formations du personnel, mais font preuve de peu de volonté d’ouvrir les universités à tous.

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Sur les 200  000 étudiants inscrits à l'Université du Caire, seuls 400 souffrant de handicap ont été admis. (Photo : Al-Ahram)

Aucun chiffre officiel ne peut préciser le nombre de bacheliers handica­pés inscrits à l’universi­té. Cependant, il existe quelques indices révélateurs. « Parmi les 200000 étudiants déjà inscrits à l’Université du Caire, 400 seulement sont handicapés », affirme Fathi Abbas, porte-parole de l’Université du Caire.

0,2% des étudiants seraient handi­capés, un chiffre peu révélateur. Le Conseil National des handicapés annonce que presque 10% de la population est handicapés et que leur nombre atteint 12 millions.

Autre chiffre: les aveugles auraient plus de chance que les sourds-muets d’accéder à l’université. Au cours des 40 dernières années, seuls deux sourds-muets sont sortis des univer­sités publiques égyptiennes: un ingénieur de la faculté des arts appli­qués et un médecin de l’Université de Aïn-Chams dans les années 1980.

La nouvelle Constitution stipule que les handicapés physiques ont droit à tous les services publiques, sans discrimination, y compris l’en­seignement supérieur. Mais la réalité est toute autre. Après le bac, le cal­vaire de l’accès à l’université com­mence.

A l’encontre des étudiants « nor­maux », il ne suffit pas d’avoir obte­nu un haut pourcentage au bac et d’avoir présenté ses papiers au bureau d’orientation. Un handicapé physique doit faire d’autres calculs, car certaines facultés refusent caté­goriquement qu’ils s’y inscrivent.

Un scénario qui se répète chaque année. Car, d’après la loi qui régle­mente le Conseil suprême des uni­versités, chaque faculté a le droit de fixer des conditions d’entrée spéci­fiques.

Résultat : la plupart des facultés comprenant des travaux appliqués comme la médecine, l’ingénierie ou les arts plastiques ferment leurs portes aux handicapés physiques. Car, d’après les doyens de ces facul­tés, cette tranche de la population est incapable de supporter le système d’enseignement dans ces facultés qui, selon eux, nécessitent certaines capacités physiques. Un point de vue à moitié vrai.

Certains handicapés physiques, souffrant par exemple de polio, ont des pourcentages élevés au bac et peuvent faire des études de méde­cine et d’ingénierie. « Nous avons deux professeurs pédiatres et deux professeurs généralistes qui souf­frent de polios. Mais par contre, ils ne peuvent pas se spécialiser en chirurgie, car un chirurgien peut se trouver obliger de rester debout à l’intérieur de la salle d’opération pendant 12 heures d’affilé », précise le Dr Ahmad Radi, doyen de la faculté de médecine à l’Université de Aïn-Chams.

« Je travaille dans le secteur depuis 25 ans et je n’ai jamais vu de handicapé venir présenter son dos­sier », souligne Magdi Abdel-Ghaffar, secrétaire de la faculté de médecine à l’Université du Caire.

Bras invalide: pas d’ingénierie

Mahmoud a un handicap de 60 % aux bras à cause d’un accident de la route. Il vient d’apprendre qu’il a été refusé de la faculté d’ingénierie. « J’ai toujours rêvé de devenir ingé­nieur, mais l’accident que j’ai eu l’année dernière m’a obligé à y renoncer ». Mahmoud se rappelle le commentaire du vice-doyen de la faculté, qui lui a dit que le dessin qui devait être fait en une demi-heure, il lui faudrait 4 heures pour le faire à cause de son handicap.

Mahmoud a donc opté pour la faculté de commerce. « Je sais que ça n’a rien à voir avec l’ingénierie, mais c’est pour ne pas me contenter du bac et pouvoir ensuite travailler », regrette-t-il, un peu amer.

Au fil des ans, les facultés de méde­cine et d’ingénierie ont appliqué des mesures très strictes et ont imposé leurs propres conditions en ce qui concerne l’admission des étudiants dans ces filières. Un comité médical tripartite dépendant du Conseil suprême des universités doit rendre un rapport pour confirmer le handicap de l’étudiant: dans la plupart des cas, le rapport annonce l’élimination de l’étudiant.

« Ils préfèrent avoir des étudiants en bonne santé, ce qui prive des étu­diants comme nous qui peuvent être plus compétents, mais qui sont, selon eux, inaptes à cause d’un handicap », s’indigne Khaled. Il a obtenu 97% au bac cette année, et il doit payer des sommes exorbitantes pour rejoindre une université privée.

Aujourd’hui, la plupart des handi­capés préfèrent éviter d’entrer dans ces labyrinthes et optent pour les facultés théoriques telles que les lettres, droit, langues, Dar al-oloum (arabe classique) ou service social.

La faculté de lettres de l’Université de Aïn-Chams, qui renferme 17 sec­tions, n’en possède que 4 sections ouvertes aux aveugles et aux handica­pés moteurs. « On ne comprend pas d’où provient la contradiction dans une faculté, des départements accep­tent notre admission, et dans une autre, des départements similaires nous refusent », explique Noha, aveugle, qui a voulu faire des études de sociologie à l’Université de Aïn-Chams. Mais on lui a imposé de choisir entre arabe, anglais, français ou Histoire.

Revoir la loi

Selon la loi nº 49 de l’année 1972, chaque section à l’intérieur de la faculté précise les conditions d’ad­mission des nouveaux étudiants. Ce n’est donc pas le rôle de l’administra­tion générale de la faculté. « Le conseil de chaque faculté accrédite les conditions prises par chaque sec­tion », précise Tareq Mansour, vice-doyen de la faculté de lettres à l’Uni­versité de Aïn-Chams.

« Si certaines universités acceptent des aveugles dans une faculté et d’autres non, cela est dû à la nature des études qui varient d’une univer­sité à l’autre. Les heures consacrées à la pratique et aux matières scienti­fiques ne sont pas les mêmes partout, même si la section porte la même nomination », justifie Tareq Mansour.

Malgré ces obstacles évidents, Adli Réda, conseiller médiatique auprès du ministre de l’Enseigne­ment supérieur, estime que les handi­capés doivent avoir leur place dans l’enseignement supérieur. « Il est évident que les étudiants aveugles ne peuvent filmer, alors, on les oriente vers la radio », dit-il, en citant des exemples d’aveugles qui sont deve­nus des stars de la radio égyptienne comme Chérine Magued et Tareq Abdel-Moez.

Si les aveugles rencontrent de nombreux obstacles dans l’ensei­gnement universitaire, les sourds-muets doivent, eux, avoir les moyens de se payer un interprète. Tamer Anis, sourd-muet et membre au Conseil national des handicapés, estime que l’Etat devrait faire de la langue des signes une langue offi­cielle pour la généraliser dans toutes les services administratifs. C’est notamment pour cette raison de tra­duction que de nombreuses facultés annoncent qu’elles ne sont pas prêtes à recevoir de sourds-muets. « Les enseignants doivent être for­més autrement pour qu’ils soient capables d’enseigner à des sourds-muets. Et ce, sans compter sur la nécessité de recruter des inter­prètes, ce qui dépasse de loin nos moyens », explique Achraf Abdel-Hafiz, doyen de la faculté de péda­gogie.

Consacrer un budget plus impor­tant à l’enseignement supérieur semble être la seule solution pour que toutes les tranches de la société puissent y avoir accès. Mais l’his­toire ne s’arrête pas là. Il faut avant tout prendre en compte les compé­tences de chaque étudiant pour per­mettre au plus grand nombre d’étu­diants de joindre les bancs de l’uni­versité.

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