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Le Kurdistan, un rêve à portée de main

Abir Taleb, Mardi, 08 juillet 2014

L’offensive sunnite a relancé la quête d’indépendance du Kurdistan iraqien. Elle a aussi et surtout permis aux Kurdes de reprendre leur politique de marchandage avec Bagdad.

Kurdistan
(Photo : Reuters)

Pendant que le premier ministre iraqien, Nouri Al-Maliki, s’évertue à se maintenir à son poste (voir colonne), que le chef de l’Etat Islamique (EI) — qui a proclamé un califat à cheval sur la Syrie et l’Iraq— réclame l’allégeance de tous les musulmans, et que les poli­tiques à Bagdad restent incapables de faire front commun pour sortir le pays du chaos, les Kurdes, eux, oeuvrent à concrétiser leur rêve d’in­dépendance.

Près d’un siècle après avoir tout perdu lors du démembrement de l’Empire ottoman, privés d’Etat souverain, éparpillés entre quatre pays, les Kurdes voient leur rêve d’indépendance se rapprocher subi­tement alors que les combats entre sunnites et chiites menacent l’Iraq d’implosion.

En effet, la situation en Iraq est d’autant plus critique que le prési­dent du Kurdistan iraqien, Massoud Barzani, a décidé d’organiser un référendum en vue de l’indépen­dance de cette région autonome, un mouvement vivement dénoncé par M. Maliki.

Fort de ses nouvelles « conquêtes » et profitant de l’affai­blissement de Bagdad, M. Barzani a en effet demandé au Parlement régional de fixer les modalités d’un référendum sur l’indépendance. Et il ne fait guère de doute que les Kurdes voteront l’indépendance à une écrasante majorité, comme ils l’ont fait lors d’un vote à valeur consultative en 2005.

Les cinq millions de Kurdes d’Iraq, qui jouissent d’une large autonomie de fait depuis le début des années 1990, ont accru de près de 40% la superficie de leur terri­toire, ces dernières semaines, à la faveur du repli des troupes ira­qiennes face à l’offensive des djiha­distes sunnites dans l’ouest et cer­tains secteurs du nord de l’Iraq. Ils se sont notamment emparés de champs de pétrole et de la ville de Kirkouk, qu’ils revendiquent comme capitale nationale.

La donne change même si les appels à un référendum sur l’indé­pendance du Kurdistan iraqien ne sont pas nouveaux.

Selon les analystes, la démarche de M. Barzani vise plutôt à obtenir davantage de gains, un premier pas en vue de l’indépendance. En effet, la menace d’un référendum d’indé­pendance dans un pays en plein chaos pourrait contraindre le gouver­nement fédéral de Bagdad à accorder des concessions à la région auto­nome. Selon des experts, il s’agit surtout d’un moyen de pression sur Bagdad dans la perspective d’une indépendance à plus long terme.

Car une indépendance rapide fait face à un certain nombre d’obstacles, notamment économiques. « La situation financière actuelle du gou­vernement régional kurde est très fragile », souligne ainsi Ayham Kamel, directeur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de l’Eu­rasia Group, cité par l’AFP. Pour l’instant, « pour les Kurdes il n’y a pas d’alternative à court terme aux aides dont ils bénéficient de la part de Bagdad », ajoute-t-il.

D’autant qu’Erbil doit faire face à d’importantes dépenses militaires pour maintenir à distance les insur­gés sunnites menés par l’EI.

Pressions

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Outre les difficultés économiques, les pressions venant de l’étranger ne sont pas négligeables. L’annonce d’un référendum d’indépendance a suscité des critiques américaines au moment où la communauté interna­tionale pousse les dirigeants iraqiens à s’unir. L’Iran, lui, soutient les chiites au pouvoir à Bagdad qui considèrent qu’une sécession des Kurdes masque leur volonté de s’em­parer illégalement d’une partie des richesses de l’Iraq

En revanche, l’hostilité de la Turquie, qui combat sa propre insur­rection kurde depuis des décennies, pourrait ne plus constituer l’obstacle qu’il fut à leurs rêves d’indépendance (voir sous-encadré). Cela dit, il est difficile de savoir si le Kurdistan ira­qien, autonome depuis 1991, serait prêt à troquer la domination de Bagdad contre l’influence d’Ankara.

Autant de facteurs qui pourraient bien persuader les dirigeants kurdes de ne pas risquer dès maintenant un tel pari. « Le peuple kurde est pour, mais la direction doit se demander si le moment est bienvenu », résume le vice-président du Kurdistan, Kosrat Rasul Ali, ancien commandant des peshmergas, cité par Reuters. « Si le climat politique n’est pas mûr, il vaut mieux attendre quelques années. Sinon, ce sera une mésaventure », dit-il, faisant écho à la prudence affi­chée par d’autres responsables.

Soutiens limités et finances insuffi­santes obligent, l’avenir pourrait bien confirmer que les annonces de M. Barzani sur l’indépendance n’étaient guère plus qu’un moyen de pression sur Bagdad. Et, comme depuis main­tenant une décennie, la seule menace d’une sécession peut offrir plus d’avantages aux Kurdes dans le sys­tème de marchandage politique ins­tauré à Bagdad avec les chiites et les sunnites après la chute de Saddam en 2003.

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