Vendredi, 29 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > Monde Arabe >

Syrie-Iraq : Nouvelle provocation de l’EIIL

Maha Salem avec agences, Lundi, 30 juin 2014

L’établissement d’un Etat Islamique et d’un calife a été annoncé en Iraq et en Syrie. Une déclara­tion qui plonge la région dans le chaos de plus en plus .

Syrie-Iraq
Photo: AP

La tension est montée d’un cran. Les djihadistes de l’Etat Islamique en Iraq et au Levant (EIIL), engagés dans le combat en Syrie et en Iraq, ont annoncé dimanche dernier le rétablissement du « califat ». Un régime politique islamique disparu il y a près d’un siècle. Dans un enre­gistrement audio diffusé sur Internet, l’EIIL, qui a changé de nom pour devenir « Etat islamique » tout court, a également désigné son chef Abou-Bakr Al-Baghdadi comme « calife » et donc « chef des musul­mans partout » dans le monde. Ce califat s’étendra de la région d’Alep, dans le nord de la Syrie, à celle de Diyala dans l’est de l’Iraq, sur les régions conquises par ce groupe dans ces deux pays, a annoncé dans l’enregistrement Abou-Mohamad Al-Adnani, porte-parole de l’EIIL. « Lors d’une réunion, la choura (conseil) de l’Etat islamique a déci­dé d’annoncer l’établissement du califat islamique et de désigner le cheikh djihadiste Al-Baghdadi calife des musulmans » a annoncé Adnani. Les mots « Iraq » et « Levant » sont supprimés du sigle EIIL, dont le nom officiel devient désormais « l’Etat islamique », a ajouté cheikh Adnani. Dans une menace à peine voilée, il a prévenu les musulmans qu’avec l’annonce du califat, il est désormais de leur devoir de prêter allégeance au calife.

Dans son avancée fulgurante depuis le 9 juin en Iraq, ce groupe djihadiste, qui bénéficie du soutien d’ex-officiers de Saddam Hussein, de groupes salafistes et de certaines tribus, a mis la main sur Mossoul et sur une grande partie de sa province Ninive (nord), sur des secteurs des provinces de Diyala (est), Salaheddine, Kirkouk et Al-Anbar (ouest).

En Syrie, il contrôle la majeure partie de la province de Raqa (nord), de larges parts de celle de Deir Ezzor (est), frontalière de l’Iraq, et de certains secteurs de celle d’Alep (nord). « Croyants, obéissez à votre calife et soutenez votre Etat qui devient plus fort de jour en jour grâce à Dieu. » S’adressant aux autres groupes djihadistes et isla­mistes, il a lancé : « Vous n’avez aucune excuse religieuse pour ne pas soutenir cet Etat. Sachez qu’avec l’établissement du califat, vos groupes ont perdu leur légitimité. Personne ne peut prêter allégeance au califat ». Le calife désigne depuis la mort du prophète Mohamad son successeur comme « émir des croyants » dans le monde musul­man. Après les quatre premiers califes qui ont régné après la mort du prophète, le califat a connu son âge d’or au temps des Omeyyades (661-750) et surtout des Abbassides (750-1517) avant de connaître sa fin avec le démantèlement de l’Empire otto­man, lorsqu’il est aboli en 1924. Apparu en Syrie en 2013, l’EIIL a été initialement bien accueilli par certains rebelles syriens, mais sa volonté d’hégémonie et les abus qui lui sont attribués ont poussé l’en­semble des coalitions rebelles à retourner leurs armes contre lui. La guerre entre rebelles et EIIL a fait près de 6 000 morts depuis janvier. « Rejetez la démocratie, la laïcité, le nationalisme et autres ordures de l’Occident. L’Occident et l’Orient se soumettront à vous », a poursuivi le porte-parole.

Ces déclarations ont été lancées pour menacer la communauté inter­nationale et arabe. « Ce discours a double face. D’abord, il vient au début du mois du Ramadan pour exploiter les sentiments des musul­mans pour les rejoindre et les aider. De l’autre côté, cette armée n’avance plus de la même vitesse, elle est frei­née alors elle cherche des moyens pour avoir du soutien », explique Mohamad Gomaa, analyste au Centre des études arabes au Caire l

Le calife mystérieux

Abou-Bakr Al-Baghdadi, le mystérieux chef de l’Etat Islamique en Iraq et au Levant (EIIL) désigné dimanche par son groupe « calife » de tous les musulmans, fait de plus en plus d’ombre au chef d’Al-Qaëda et pourrait bien être le djihadiste le plus influent au monde. Appelé désormais le « calife Ibrahim » (en référence à son véritable prénom), il a accepté cette désignation par allégeance. Né en 1971 à Samarra au nord de Bagdad, selon Washington, Abou-Bakr Al-Baghdadi aurait rejoint l’insurrection en Iraq peu après l’invasion conduite par les Etats-Unis en 2003, et aurait passé quatre ans dans un camp de détention américain. Les forces américaines avaient annoncé en octobre 2005 sa mort dans un raid aérien à la frontière syrienne.

Mais il est réapparu, bien vivant, en mai 2010 à la tête de l’Etat Islamique en Iraq (ISI), la branche iraqienne d’Al-Qaëda, après la mort dans un raid de deux chefs du groupe. Il a rebondi en élargissant ses activités à la Syrie voisine, rejetant ensuite l’ordre du chef d’Al-Qaëda, Ayman Zawahri, de se concentrer sur l’Iraq et de laisser la Syrie au Front Al-Nosra, un groupe djihadiste combattant contre le régime de Damas. En avril 2013, Baghdadi a annoncé une fusion entre l’ISI et les combattants d’Al-Nosra pour former l’EIIL, mais ces derniers ont refusé d’adhérer. Les deux groupes ont commencé à opérer séparément, avant de s’affronter directement à partir de jan­vier en Syrie. Très peu de détails ont filtré sur la personnalité de Baghdadi, ou sur l’endroit où il se trouve. Le mystère qui l’entoure contribue au culte de sa personnalité, et au sein de l’EIIL, il est salué comme un commandant et un tacticien présent sur le champ de bataille, contrairement à Zawahri, son ancien supérieur et actuel rival, sur qui il prend de plus en plus l’avantage dans les sphères djiha­distes. Si les combattants de l’EIIL sont majoritairement des Syriens en Syrie et des Iraqiens en Iraq, cette distinction lui vaut le soutien de nombreux djihadistes, probablement des milliers, venus de toute la région mais aussi d’Europe et au-delà.

L’opposition syrienne dissout son armée

En raison de l’avancée de l’armée de l’EIIL sur le terrain, le gouvernement de l’opposition syrienne en exil a dissous le Conseil supérieur militaire de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Cette instance de la rébellion modérée en Syrie est accusée de corruption. « Ce n’est pas la vraie raison. Mais l’opposition ne peut pas annoncer la vérité, alors elle les accuse de corruption. La première raison de cette décision c’est leur faiblesse et leur incapacité à affronter non seule­ment le régime syrien mais aussi l’armée de l’EIIL. En plus, plusieurs militants ont quitté l’ASL pour rejoindre l’armée de l’EIIL voyant que c’est le seul moyen pour menacer le régime syrien et le faire chuter. L’autre raison non annoncée est l’exigence de la communauté internatio­nale pour leur accorder des aides », explique Ayman Abdel-Wahab, analyste au Centre des études stratégiques et politiques d’Al-Ahram au Caire.

En effet, la décision est intervenue au moment de l’an­nonce par la Maison Blanche que le président Barack Obama a demandé au Congrès d’autoriser un budget de 500 millions de dollars pour entraîner et équiper l’opposi­tion modérée armée qui combat le régime de Bachar Al-Assad depuis plus de trois ans. Cette opposition est depuis un an dépassée sur le terrain, en influence et en armement par des djihadistes, surtout ceux de l’Etat Islamique en Iraq et au Levant (EIIL) qui mène depuis début juin une offensive fulgurante dans l’Iraq voisin, après s’être emparé d’une grande partie de l’est syrien. « Le chef du gouvernement provisoire, Ahmad Tohmé, a décidé de dissoudre le Conseil militaire supérieur et de déférer ses membres devant le comité de contrôle financier et adminis­tratif du gouvernement pour qu’ils fassent l’objet d’une enquête » selon un communiqué en ajoutant que le chef d’état-major, le général de brigade Abdellah Al-Bachir, est également limogé. Selon le texte, le gouvernement appelle les forces révolutionnaires effectives sur le terrain en Syrie à la formation d'un conseil de défense militaire et à une restructuration totale de l’état-major d’ici un mois.

Noyau de la rébellion luttant pour la chute du régime Assad, l’ASL est formée de soldats, officiers et généraux déserteurs rejoints par les civils ayant pris les armes après la répression brutale en mars 2011 par le régime d’un mou­vement de contestation réclamant des réformes. Mais cette principale composante de la rébellion a vu progressive­ment ses combattants rejoindre les rangs des islamistes et des djihadistes en grande partie venus de l’étranger via notamment la frontière poreuse de l’Iraq et qui sont mieux financés et armés. Militants et rebelles modérés ont sans cesse dénoncé l’inaction de la communauté internationale face à la machine de guerre du régime, les chancelleries occidentales, Washington en tête, ayant exprimé maintes fois leurs réticences à armer les insurgés par crainte de voir l’arsenal tomber aux mains des djihadistes. Mais le conflit en Syrie a changé de visage avec la montée des djihadistes de l’EIIL menaçant l’intégrité de l’Iraq, de la Syrie, mais aussi la sécurité des pays de la région, poussant l’adminis­tration Obama à réviser sa politique. Officiellement, le soutien américain aux rebelles se cantonne depuis le début du conflit dans une aide non létale pour un montant total de 287 millions de dollars, même si la CIA participe dans le cadre d’un programme secret à la formation militaire de rebelles modérés en Jordanie. Une information qui n’a été jamais affirmée ou niée.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique