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A vélo contre le harcèlement des femmes

Dina Bakr, Lundi, 26 mai 2014

L'Institut suédois, le Conseil national de la femme, le groupe Go Bike et d’autres ONG ont mené l’initiative « Haro sur le harcèlement ». Par le vélo, ils revendiquent le droit de la femme de circuler tranquillement dans la rue.

A vélo contre le harcèlement des femmes
(Photo: Mohamad Moustapha)

Le parc Gabalayet al-asmak situé à Zamalek, au Caire, vient d’ouvrir ses portes. Deux heures avant l’ouverture prévue à 7h du matin, des groupes de jeunes à vélo, en scooter et en voiture s’y dirigent, pour participer à l’initiative « Ewqef al-taharoche » (haro sur le harcèlement), une initiative lancée par l’Institut suédois à Alexandrie en collaboration avec le Conseil national de la femme, Go Bike et l’initiative « Shoft taharoche » (j'ai vu un harcèlement).

Le soleil se lève, il souffle une brise légère dans le jardin. Un moment propice pour prendre sa bicyclette et pédaler en toute tranquillité sans être incommodé par la canicule. A l’entrée, 3 panneaux en bleu et blanc illustrent l’objectif de cette initiative : la photo d’une bicyclette dont l’une des roues porte l’image d’un garçon qui tripote une fille, et sur l’autre on peut lire le slogan de l’initiative « Haro sur le harcèlement ».

A vélo contre le harcèlement des femmes
« J'ai vu un harcèlement » l'une des initiatives qui défendent le droit de la femme à circuler librement dans la rue. (Photo: Mohamad Moustapha)

Cette initiative a choisi comme symbole le vélo, afin de montrer que la femme a le droit de circuler en toute sécurité dans la rue, utilisant le moyen de transport de son choix. Et surtout pour insister sur le principe d’égalité entre les deux sexes. « L’Institut suédois voit que le harcèlement est un sujet prioritaire non seulement au Moyen-Orient, mais aussi en Europe. Le harcèlement existe aussi bien en Suède qu’en Egypte. Pour le continent européen, il est subi dans les lieux du travail, et pour le Moyen-Orient, cela se passe dans la rue », explique Walid Mansour, coordinateur des programmes à l’Institut suédois.

Tous les participants s’apprêtent à faire une petite randonnée dans le quartier de Zamalek. Environ 500 bicyclettes sont alignées comme dans un parc d’exposition, des plus chères à celles bon marché. Des photos-souvenirs sont prises avec les organisateurs et participants. « On est motivé pour changer cette culture rétrograde à l’égard de la femme. Mes amies en ont assez de cette situation. Elles rêvent de pouvoir se déplacer librement, sans craindre le regard des autres qui ne comprennent rien à la notion de liberté », explique Anochka Ezzat, de l’Université internationale Misr pour les sciences et l’une des fondatrices du groupe de cyclistes Go Bike. « Un jour alors que je circulais à vélo, j’ai été choquée d’entendre une personne âgée lancer des insultes aux responsables de l’Etat qui ont autorisé les femmes à circuler à bicyclette. Je me suis retournée et je lui ai demandé ce qu’il voulait dire par là. Il m’a répondu : j’ai voulu attirer ton attention pour te draguer », relate Anochka, pour qui cette situation n’était pas la plus embarrassante. En effet, il lui arrive souvent de ne pas oser répondre aux différentes insultes ou grossièretés qui fusent sur son passage.

« Instaurer une nouvelle culture »

Cécilia Sternemo, vice-directeur de l’Institut suédois, distribue des t-shirts, des casques et sacoches en tissu qui portent le slogan de l’initiative. « Le sport, l’art et la musique sont des outils très efficaces pour transmettre un message. La bicyclette est un moyen de transport non polluant, elle est amie de l’environnement. De plus, accorder de l’importance aux deux roues peut instaurer une nouvelle culture, celle du respect d’autrui et peu importe le sexe de celui qui conduit un vélo », souligne Sternemo, qui ajoute que l’Institut prend le sujet du harcèlement au sérieux, car par exemple en Suède, les filles sont exposées à des troubles psychiques et vont même jusqu’au suicide.

Un camion arrive chargé de bicyclettes pour ceux qui n’en disposent pas, afin d’avoir l’opportunité de participer à cette petite balade à Zamalek. Chacun doit montrer sa carte d’identité pour en obtenir une.

A vélo contre le harcèlement des femmes
Du plus jeune au plus âgé, tout le monde a participé à l'initiative « Haro sur le harcèlement ». (Photo: Mohamad Moustapha)

Etre libre dans la rue est une revendication commune des participants, tous âges et sexes confondus. La tournée commence par les rues Brésil, Aboul-Feda, en passant par la corniche où se trouve l’Opéra, puis un retour au parc. « Nous avons fait un petit tour dans les environs, pour nous assurer que rien ne bloque la circulation dans le quartier et voir s’il n’y a pas de travaux dans une rue, car si c’est le cas, on change d’itinéraire », explique Mohamad Sami, coordinateur du groupe Go Bike, en ajoutant que ce sont surtout les chauffeurs de microbus qui causent des problèmes aux femmes. « Ce sont des harceleurs déguisés en chauffeurs. Il faut les châtier sur une place publique », intervient l’une des participantes.

Des médecins, professeurs, comptables, ingénieurs, femmes et jeunes font partie de cet événement, ainsi que des membres de groupes comme Go Bike, Wheelers, GBI et Cycling Republic Egypt pour lutter contre le harcèlement, qui est une discrimination envers la femme. « J’aimerais que la femme puisse se déplacer tranquillement dans les rues sans être importunée », souhaite Mahitab, employée dans une banque.

Aux alentours du parc, le nombre de participants augmente. Ils papotent dans une atmosphère joviale. « Les hommes sont venus participer à cet événement pour défendre ce droit des femmes à circuler seule en toute liberté, sans avoir besoin de quelqu’un pour les protéger. La femme a le droit de choisir le moyen de transport qui l’arrange sans être importunée », explique Ahmad Saqr, comptable. Il insiste sur la nécessité d’implanter cette culture de circuler à bicyclette.

Exercices d’échauffement

Des appels diffusés par haut-parleur invitent les participants à former 5 rangées pour les filles et 5 pour les garçons. Amira, monitrice d’aérobic, appelle le groupe à faire quelques exercices d’échauffement. Tout le monde suit le rythme de la musique. Qu’elles soient enrobées ou minces, les filles ne se soucient guère des regards car ici, personne n’osera les toucher ni leur lancer un mot déplacé

A vélo contre le harcèlement des femmes
(Photo: Mohamad Moustapha)

Quelques minutes plus tard, Mohamad Sami prend la parole et donne quelques notions de sécurité aux participants. « Nouez vos lacets, si vous portez des pantalons larges glissez-les dans vos chaussettes, et le plus important, ne devancez pas le chef de groupe ».

La randonnée a commencé pour un trajet de 8,5 km. « Lorsque j’ai lancé des appels aux jeunes femmes et filles sur Facebook, leurs parents ont vu cela d’un mauvais oeil », rapporte Iman Al-Séragui en tenant le guidon de son vélo. Elle se demande pourquoi les gens n’admettent pas qu’une fille soit à bicyclette. « Cette initiative fait partie d’une série de campagnes qui auront pour objectif de lutter contre le harcèlement », indique Azza Kamel, présidente du Centre du développement des moyens de communication et l’une des responsables de l’initiative « J'ai vu un harcèlement ».

Elle accueille avec optimisme la promulgation de la nouvelle loi qui a durci les peines de harcèlement sexuel et qui est, selon elle, le fruit d’énormes efforts déployés par la société civile. D’après cette loi, le harceleur peut être condamné à 5 ans de prison et une amende de 30 000 L.E. « Il faut que les femmes profitent de cette loi qui leur garantit leurs droits d'oser porter plainte. A partir de là, on pourrait promouvoir l’utilisation du vélo comme moyen de transport », a lancé Sékina Fouad, écrivain et féministe, suite à la promulgation de la nouvelle loi.

Des voitures de secours suivent les vélos dans les rues de Zamalek. Des points d’arrêt sont prévus pour ceux qui désirent prendre une pause ou boire de l’eau ou un jus. Vers midi, les voitures commencent à envahir la rue et la circulation devient plus dense. Il est temps pour les cyclistes de revenir au point de départ. « C’est vrai que nos rues ne sont pas conçues pour les trajets à vélo. Mais c’est toujours mieux pour une femme de circuler à vélo que de marcher à pied ou de prendre un bus où elle risquera d’être tripotée », conclut Mohamad Sami .

Activités en série pour changer les esprits

Du 15 au 23 mai, plusieurs actions ont eu lieu en faveur de l’initiative « Haro sur le harcèlement » au Caire et à Alexandrie. Deux marathons, des réunions, ateliers, débats avec des jeunes âgés entre 18 et 30 ans, afin de lutter contre le harcèlement en recrudescence en Egypte, se sont tenus. « Nous avons pris pour exemple l’expérience de l’organisation libanaise Abaad qui s’est adressée directement aux hommes pour trouver une solution au phénomène du harcèlement. La stratégie a été de les impliquer en tant que partenaires et non en tant que responsables du harcèlement », explique Brigitta Holst-Alani, ambassadrice et directrice de l’Institut de Suède à Alexandrie. Cette collaboration s’est enrichie en invitant différents responsables à l’exemple des cheikhs des Waqfs, des officiers de police affectés au secteur des droits de l’homme et des représentants du ministère de la Justice. Ils ont évoqué ce phénomène et ont insisté sur le rôle des médias dans la sensibilisation de la société.

Par ailleurs, les activistes et participants ont demandé à ce que le rôle de la police soit plus efficace, car souvent, elle prend à la légère les plaintes des femmes harcelées. « Le défi est de changer les mentalités, surtout quand le sujet est lié au corps de la femme, et de ne pas considérer celle qui porte plainte comme la responsable du harcèlement. Il arrive souvent que les officiers de police fassent sentir à la femme qui porte plainte qu’elle leur fait perdre du temps alors que leur rôle est de la protéger », explique Asser Matar, responsable de la communication à l’Institut suédois. Selon ce dernier, l’Egypte occupe la deuxième place mondiale en matière de harcèlement. Les statistiques indiquent que 90 % des femmes en Egypte en ont été victimes .

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