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Présidentielle  : le duel des priorités

May Al-Maghrabi, Mardi, 20 mai 2014

A quelques jours de l’élection présidentielle, le rapport de force entre les deux candidats en lice se précise. Tandis que Sabahi table sur le vote des révolutionnaires, Sissi cherche à recueillir les voix des Egyptiens mécontents des conditions économiques et aspirant à la stabilité.

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A quelques jours du scrutin, les partisans des deux candidats se mobilisent et chaque camp fourbit ses armes. (Photo : Reuters)

Comment se présente le rapport de force entre les deux candidats à la présidentielle à quelques jours du scrutin? Qui va voter pour Hamdine Sabahi et qui va voter pour Abdel-Fattah Al-Sissi? Sabahi est-il seulement un décor démocratique ? L’élection présidentielle sera-t-elle une balade de santé pour le maréchal ? Des questions que les Egyptiens ne cessent de se poser à l’approche des élections prévues les 26 et 27 avril. Abdel-Fattah Al-Sissi reste pour beaucoup d’Egyptiens le « héros » qui a sauvé l’Egypte des Frères musulmans et qui saura restaurer l’ordre dans le pays. Alors que Sabahi est souvent présenté comme « le candidat de la révolution » qui remettra celle-ci sur les rails. Selon Mona Mahmoud, du Courant populaire, Sabahi connaît la réalité des gens du peuple et leurs problèmes, comme la pauvreté, alors que Sissi pense uniquement en termes de sécurité et de terrorisme. A quelques jours du scrutin, les partisans des deux candidats se mobilisent et chaque camp fourbit ses armes. Pour Mahmoud Badr, du mouvement Tamarrod, qui soutient le maréchal : « L’Egypte a besoin d’un homme fort et expérimenté capable de gérer un pays tourmenté par trois ans de chaos.

Dans ce domaine, Sabahi n’a pas l’expérience de Sissi. Il serait injuste de présenter Sissi comme l’ennemi de la révolution. Au contraire, c’est lui qui a sauvé la révolution de janvier détournée par les Frères. A maintes reprises, il a souligné son respect aux deux révolutions du 25 janvier et du 30 juin et a promis de ne pas dévier de la démocratie ». Deux points de vue représentatifs de la division de la rue sur les priorités de la phase actuelle. Selon les observateurs, c’est en fonction de leurs priorités que les blocs électoraux en faveur des deux candidats vont se forger. « De nouveau, l’Egypte se retrouve à un carrefour, analyse le politologue Gamal Abdel-Gawad : achever la révolution de 2011 dont le slogan était pain, dignité humaine et justice sociale ou se tourner vers la stabilité qu’incarne le maréchal Abdel-Fattah Al-Sissi». Selon lui, Sissi semble soigneusement calibré pour répondre à la soif des Egyptiens qui recherchent la stabilité et qui veulent mettre une croix sur les transformations rapides survenues depuis la chute du président Moubarak au début de 2011. Quant à Sabahi, il parie sur les voix des jeunes qui veulent encore réaliser les idéaux pour lesquels ils ont manifesté en 2011, et capitalise sur les craintes d’un retour au pouvoir despotique. Dans ce contexte, Abdel-Gawad trouve quela candidature de Sabahi est davantage une candidature de témoignage qu’un véritable challenge: « Sabahi n’a reçu que le soutien du parti Al-Dostour, fondé par le prix Nobel de la paix Mohamad Al-Baradei, les socialistes révolutionnaires et la Coalition socialiste. Il ne peut guère rechercher des voix au-delà d’une frange de la jeunesse révolutionnaire. Personne n’imagine que Sissi peut ne pas être élu ».

Pourtant, Ahmad Abd-Rabou, politologue, rejette l’hypothèse que la présidentielle soit jouée d’avance en faveur de Sissi. Il reconnaît que le maréchal jouit d’une immense popularité auprès de la majorité de l’opinion publique, largement hostile aux islamistes. Sans compter, les milieux laïques et salafistes qui lui donnent également leur soutien. Mais il peut compter sur les voix des chrétiens, qui se sentaient intimidés sous le pouvoir des Frères musulmans et qui voient en lui un rempart contre leur retour au pouvoir, alors que Sabahi ne formule pas de position claire vis-à-vis des Frères musulmans. Il mise aussi sur les voix des classes riches comme sur les classes défavorisées, lasses du chaos et de la mauvaise situation économique. Ces classes voient en lui « l’homme fort » qui pourra restaurer la sécurité. Parmi les partis politiques qui soutiennent Sissi figure l’opposition de l’ère Moubarak comme le Néo-Wafd, le Rassemblement et le Parti nassérien.

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A quelques jours du scrutin, les partisans des deux candidats se mobilisent et chaque camp fourbit ses armes. (Photo : Ibrahim Mahmoud)

De nouveaux partis créés suite à la révolution le soutiennent aussi comme le Parti des Egyptiens libres, le parti salafiste Al-Nour et le parti de la Conférence fondé par Amr Moussa. Des personnalités publiques appartenant aux deux camps de la révolution et à celui de l’ancien régime sont aussi derrière lui. Le réalisateur Khaled Youssef, l’écrivain Hamdi Qandil, Amr Moussa, Ahmad Chafiq et Moustapha Bakri, des personnalités dont les tendances sont divergentes mais qui voient en Sissi l’homme de la période apte à gérer la situation actuelle. « Ces données poussent plusieurs analystes à croire que la présidentielle est jouée d’avance en faveur de Sissi et que Sabahi est un faire-valoir plutôt qu’un vrai challenger. Toutefois, il existe d’autres facteurs qui peuvent bouleverser cette donne. Tout d’abord, le bloc électoral en faveur de Sissi s’est crispé au fil des mois au vu de certaines pratiques à l’égard des jeunes de la révolution qui ont brisé la coalition du 30 juin. Des jeunes craignent que cette stabilité envisagée ne soit rétablie au prix des libertés. S’opposant au retour des militaires au pouvoir et agacé par le spectre de voir l’ancien régime se rétablir, ce courant constitue un bloc électoral important qui s’est manifesté lors du référendum sur la Constitution, qui a été boycotté par une majorité de jeunes », estime Abd-Rabou.

C’est pourquoi il n’exclut pas que Sabahi puisse créer la surprise comme lors des élections de 2012 lorsqu’il est arrivé troisième. Des considérations partagées par les partisans de Sabahi, ce militant de longue date, plusieurs fois incarcéré, qui, selon eux, peut satisfaire les revendications de la révolution. « Ceux qui ont participé à la révolution et qui sont désespérés de voir que finalement un militaire va succéder à un militaire vont se rassembler derrière Hamdine Sabahi. D’autant plus que sa candidature vise à empêcher que l’élection ne se transforme en une forme de cérémonie d’allégeance ou un plébiscite. Une perspective qui symboliserait la défaite de la démocratie », plaide Maasoum Marzouq, porte-parole de la campagne de Sabahi. « L’Egypte est lasse des slogans et aspire à retrouver la stabilité, à relancer l’économie et à avoir une véritable démocratie institutionnelle basée sur le pluralisme et l’alternance au pouvoir. A cette période critique où le terrorisme et les complots sont à leur comble, seul le maréchal Sissi peut satisfaire ces aspirations. Il dispose de la volonté et de l’expérience qui lui permettront de relever le défi et c’est pourquoi le parti a opté pour son soutien pour le bien du pays », réplique Mohamad Aboul-Ela, président du Parti nassérien. Une polémique que seuls les Egyptiens peuvent trancher.

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