Vendredi, 29 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > Egypte >

La présidentielle, et après  ?

Najet Belhatem, Mardi, 13 mai 2014

Si la présidentielle égyptienne est jouée d’avance, plusieurs questions surgissent quant à la stabilité, à la stratégie du tout sécuritaire et à la démocratie.

« Malgré la simplicité apparente de l'élection présidentielle qui se déroulera entre deux candidats seulement et qui sera tranchée dès le premier tour à la lumière de l’immense popularité de l’un d’eux— et sans avoir recours à la fraude, contrairement à l’habitude égyptienne — il apparaît néanmoins que l’après-élection et l’annonce de la victoire de Sissi sont d’une grande complexité. Car ce mandat présidentiel sera crucial: les nouvelles décisions nous mèneront-elles à bon port ou seront-elles un chemin de non-retour ? ». Voilà comment l’académicien de gauche, Khalil Kelfat, analyse la situation dans un long article publié sur le site de l’institution de recherches Al-Héwar Al-Motamadden (Modern Discussion).

Pour l’auteur, l’institution militaire s’est cette fois-ci rattrapée, contrairement à la précédente élection présidentielle où elle avait fait un très mauvais choix en avançant la candidature d’Ahmad Chafiq face à Mohamad Morsi. « L'élection entre ces deux derniers n’était pas jouée d’avance, mais une chose était sûre: la victoire de l’un ou de l’autre s’annonçait comme un cauchemar. Le premier à cause du refus populaire attendu et le deuxième à cause de la probabilité de voir les Frères musulmans réaliser leur projet de créer un Etat théocratique », dit-il.

Face aux développements que connaît l’Egypte depuis la révolution du 25 janvier 2011, l’institution militaire a adopté, selon l’auteur, une seule attitude: « Eviter la guerre civile à tout prix. Et de là a découlé une liquidation stratégique de la révolution. Eviter la guerre civile d’abord, en lâchant Moubarak par un coup d’Etat militaire sous la pression de la révolution. Ensuite, en s’alliant avec les Frères musulmans contre la révolution pour éviter que ces derniers ne s’allient avec elle contre l’Etat. Troisièmement, en déclarant Mohamad Morsi président, et quatrièmement, en écartant ce dernier ».

Kelfat avance que l’institution militaire a fait des choix contre sa volonté pour éviter le pire, à savoir la guerre civile. « Or, en ce qui concerne le quatrième point, à savoir la mise à l’écart de Morsi, il a été un choix délibéré qui s’est reposé sur la vague révolutionnaire de juin après l’avoir aidé à se répandre et à prendre de l’ampleur. Il ne faut pas simplifier les choses et incriminer l’armée pour ses alliances avec les Frères musulmans au nom des principes, car le principe premier dans ce contexte c’est éviter la guerre civile coûte que coûte », a-t-il ajouté.

La donne salafiste

Quant à l’alliance de Sissi avec les salafistes, Kelfat prédit « qu’une confrontation n’est pas exclue dans l’avenir avec la montée grandissante de leur force, pour ne pas avoir à affronter tous les courants islamistes en même temps. Le régime a choisi de s’allier avec eux, malgré les mauvais antécédents avec ces courants sous Nasser et Sadate », avance Kelfat. Pour lui, entre une dictature théocratique et une dictature aux allures civiles, le choix est vite fait au profit de cette dernière. D’autant plus que, selon lui, le monde regorge de dictatures aux différents aspects !

Dans le camp des jeunes, surtout ceux épris par l’élan révolutionnaire, les analyses sont plus critiques et ne voient dans ce qui se passe que de la poudre aux yeux. Pour eux, le pire ce n’est pas une guerre civile, mais les réseaux de corruption qui gangrènent le pays.

Mahmoud Ezzat écrit sur le site Qol, un site d’informations alternatives qui vient d’obtenir le prix de la Deutsche Welle pour le journalisme alternatif : « Cher Abdel-Fattah, le plus grand pas dans votre carrière est de demander à vos conseillers une image réelle de cette jeune génération qui représente une part énorme du peuple que vous allez gouverner. Ces jeunes ont fait la révolution. Vous ne pouvez pas éteindre leur colère en usant de la sévérité. Il est difficile de les convaincre que sauver le pays passe par une simple pacification de la société, tout en laissant les choses telles qu'elles. Ils savent que le tout a rapport avec une profonde corruption des institutions de l’Etat ».

Que fera la confrérie ?

Dans le quotidien Al-Watan, l’analyste Emad Adib revient sur la tournure que prendra l’affrontement entre l’Etat et la confrérie. « Après les déclarations de Sissi disant qu’il n’y aura pas de place pour les Frères durant son mandat, il est clair que le sort des Frères est scellé. Il ne leur reste qu’à se rendre ou à combattre le régime. L’objectif premier des Frères musulmans sera de transformer la période Sissi en enfer. Je crois qu’ils useront de nouvelles tactiques dont la confrontation indirecte, à savoir exploiter les manifestations estudiantines, les protestations ouvrières et les plaintes du public face aux coupures d’électricité, d’eau et au manque d’essence ou de gaz ».

Le journaliste Hani Chukrallah s’inquiète dans un article publié par le quotidien Al-Ahram de la stratégie du tout sécuritaire à l’égard de la confrérie. « J’ai deux remarques, la première est que cette stratégie va mener au résultat contraire de celui escompté, à savoir la stabilité. Elle va, à mon sens, mener à l’anarchie, à la violence et à des troubles permanents. La deuxième est que certains, parmi ceux qui soutiennent cette stratégie, ne recherchent pas la stabilité, mais plutôt la restitution du régime policier de Moubarak. Ces derniers nous appellent à nous référer à la réussite de Nasser dans sa lutte contre les Frères musulmans. Mais cantonner le bilan de Nasser à la liquidation sécuritaire des Frères est une grave insulte au leader et à son époque. Car avant de terrasser les Frères musulmans sécuritairement, il les a terrassés politiquement et intellectuellement. Les adeptes du tout sécuritaire peuvent-ils se vanter, ne serait-ce de 1%, de cet exploit? Ces adeptes du tout sécuritaire se réfèrent également à la lutte anti-terroriste dans les années 1990 qui a mis en échec le terrorisme. Mais nous nous demandons : sommes-nous prêts pour une décennie de violence et de contre violence? Qu’en est-il de la stabilité, du tourisme, des investissements ? Et devons-nous oublier que la plus importante conséquence de la victoire sur le terrorisme c’est la transformation des appareils sécuritaires en bourreaux qui agissent en dehors de la légalité et qui ont été la colonne vertébrale du régime Moubarak ? ».

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique