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Beauté d’une âme, laideur d’un cinema

Yasser Moheb, Mardi, 22 avril 2014

Le film controversé Halawet Roh (beauté de l’âme), interprété par la chanteuse libanaise Haïfaa Wahbi, vient d’être interdit de diffusion en Egypte, après l’intervention du premier ministre égyptien, suscitant une nouvelle levée de boucliers contre la censure.

Beauté d’une âme, laideur d’un cinéma
Le regard que portent les jeunes gens, comme les adultes, sur Roh (Haïfaa Wahbi) se fait importun.

Plus de 6 mois après le début de son tournage, deux semaines après sa sortie dans les salles, le film Halawet Roh (beauté de l’âme) n’en finit pas de provoquer la controverse. Le premier ministre égyptien vient d’annoncer la suspen­sion du film, jugé « obscène » en raison de ses scènes osées. « Toutes les salles de cinéma doi­vent retirer le film des salles jusqu’à ce que le comité de censure du ministère de la Culture tranche », selon l’avertissement du cabinet égyptien, publié mercredi dernier.

Héroïne du film, l’actrice et chanteuse liba­naise Haïfaa Wahbi affichait des robes aux décolletés ravageurs dans la bande-annonce de l’oeuvre et multipliait les attitudes sensuelles, ce qui a fait tirer la sonnette d’alarme dans les milieux conservateurs, dont la majorité s’est déclarée contre le film, avant même sa projec­tion. Ces scènes ont provoqué également une vague de critiques dans plusieurs médias, cou­ronnée en plus d’une pétition avancée par le Conseil National égyptien pour l’Enfance et la Maternité (CNEM), estimant, quant à lui, que le film représente « un danger moral » et qu’il pourrait « influer d’une façon négative sur la morale publique ». Un refus basé, d’après eux, sur l’objection contre une scène où l’adolescent protagoniste, Sayed — âgé de 14 ans — rêve de sa dulcinée Roh qu’il attend dans son lit, alors que celle-ci s’apprête à cette rencontre charnelle en essayant de doubler son charme corporel.

« Selon la loi 26/2008, tout abus des enfants dans des oeuvres artistiques ou publiques est strictement inacceptable », déclare le CNEM dans son communiqué. Une polémique est alors en train de s’amplifier en Egypte à la suite de cette suspension. Plusieurs critiques et artistes s’élèvent contre la décision, et menacent même de recourir aux poursuites judiciaires. « Aucun responsable, même si c’était le premier ministre, n’a le droit ni de décider l’arrêt de diffusion d’une oeuvre artistique, ni de restreindre notre liberté d’expression », annoncent les dizaines d’artistes membres de Gabhat Al-Ibdaa (Front de la créativité) dans un communiqué publié sur Internet. Ceux-ci soulignent qu’il aurait dû sou­mettre le sujet au ministère de la Culture qui, lui, pourrait s’adresser à l’Organisme de cen­sure pour obtenir une interdiction.

Beaucoup de bruit pour rien

Si l’on est clairement contre toute décision de suspendre une oeuvre artistique, étant donné qu’elle porte la vision de ses créateurs, on est également contre ce goût assez osé et bien tri­vial, présenté gratuitement sous le label de courage ou de nouveauté. Le film est basé sur la simple idée de la femme séductrice, attisant la passion et l’envie de son entourage. Une idée déjà présentée dans plusieurs films, depuis Samara ou Tamr Henna dans le cinéma égyp­tien, jusqu’au film italien Malena, avec la sublime Monica Belluci, dont le sujet est presque le même que Halawet Roh : celui d’une femme séductrice qui, une fois le mari absent, est aux prises de son entourage qui essaye de la dévorer, dont entre autres un adolescent.

La pénible heure et demie que l’on passe en compagnie de Roh Haïfaa Wahbi plastique­ment émérite — confirme que le jeune Sameh Abdel-Aziz a malheureusement perdu le goût prometteur révélé dans ses deux films précé­dents, Cabaret et Al-Farah (les noces), quoiqu’on aime ces deux films ou pas.

Monotone au possible, parfois guindée, peu crédible, exorbitante, et souvent bêtement vul­gaire, l’évocation du cinéma que nous impose le film a de quoi dégoûter.

Même le charme de Haïfaa Wahbi, repoussé volontairement pour être mis en valeur, n’opère plus dans la seconde partie du métrage, alors que le drame est censé se nouer. Le film est donc plus un simple prétexte à montrer Haïfaa Wahbi sous tous les angles, alors que la réali­sation est dénuée de créativité, que de présen­ter toutes les références sexuelles d’une femme, tandis que le scénario est presque inexistant.

Un parfait étalage de clichés qui déforme tout pour tout : aucun personnage n’est louable ni même positif dans ce film. A part une petite fille, trop secondaire, qui aime le petit héros, tous les caractères du film s’avèrent corrom­pus, rudes, égoïstes ou malintentionnés.

Arrivé à la moitié du film, on se demande où le réalisateur a voulu en venir et ce qu’il veut faire : est-ce une comédie, une tragédie, un film de charme, on ne sait pas trop ! Le regard que portent les jeunes gens, comme les adultes, sur Roh (Haïfaa Wahbi) se fait importun, infâme, tout comme celui du metteur en scène, inca­pable d’élever son actrice au-dessus de la condi­tion d’objet, jusqu’à une finale qui, voulant aller vers la tragédie ou le mélodrame, plonge encore plus dans le cliché et l’abaissement.

Il n’y a vraiment rien pour sauver le film. Pas même une interprétation exorbitante, avec une Haïfaa Wahbi quasi muette, qui ne mâche qu’une dizaine de phrases seulement tout le long de l’oeuvre. Bref, Halawet Roh souffre autant de son scénario stéréotypé que de sa réalisation atone, réduisant le film à une expo­sition creuse sur la sculpture physique d’une star. Un produit final sans âme, ni aucune importance pour devenir, du jour au lende­main, sujet d’une polémique, suite à la suspen­sion — quoique provisoire — de sa projection. L’affaire en restera donc là .

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