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Dans le noir

Samar Al-Gamal, Mardi, 08 avril 2014

Les coupures d’électricité deviennent de plus en plus fréquentes sans qu’aucune solution à long terme soit envisagée. Corruption, pénurie de gaz naturel, manque de centrales et désintérêt pour les énergies renouvelables sont à l’origine de cette crise incurable.

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Les chuchotements et les rires des femmes permettent de se repérer tant bien que mal dans l’obscurité. A l’intérieur, une lampe rechargeable émet une petite lumière. « C’est la troisième coupure de courant aujourd’hui, lance Saïd Salah, un coiffeur de Doqqi. On n’arrive plus à travailler », dit-il en désignant ses clientes aux cheveux mouillés. « L’électricité arrive puis repart à n’importe quel moment du jour ou de la nuit ».

Le quartier n’échappe pas à la règle : les coupures sont presque quotidiennes depuis 3 semaines. L’exaspération des Egyptiens, qui croyaient que les coupures d’électricité, multipliées avant le 30 juin, allaient disparaître avec le départ du régime des Frères, ne cesse de monter. En réponse, le gouvernement leur demande de baisser leur consommation pour résoudre en partie la crise.

Deux hauts responsables du secteur de l’électricité ont tenu une conférence de presse conjointe en réponse à cette obscurité récurrente: Gaber Al-Dessouqi, président de l’Egyptian Electricity Holding Company, et Khaled Abdel-Badie de la Holding Company du gaz naturel EGAS.

Dessouqi a déclaré que le réseau électrique manque de 3000 à 4000 mégawatts (MW) par jour. Selon lui, la cause immédiate de cette chute est due au fait que certaines centrales sont hors service, actuellement en leur entretien, alors que d’autres ne sont pas fournies en combustible. Il a assuré que la situation allait s’améliorer progressivement. « Aujourd’hui, les choses s’améliorent et les travaux ont repris dans certaines unités », dit-il.

L’été va aggraver la crise

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(Photo : AP)

Mais l’aggravation de la crise est un signe de mauvais augure à l’approche de l’été. Le ministre du Pétrole, Chérif Ismaïl, estime que le courant sera coupé une heure et demie par jour en juin et juillet prochains. Le manque de MW a aujourd’hui plus que doublé par rapport à la moyenne des années précédentes, avec des centrales fonctionnant bien en dessous de leur capacité.

Selon l’Organisme de règlement du fonctionnement de l’électricité, les besoins de l’Egypte sont de 31000 MW. Le pays n’en produit qu’un peu plus moins de 29 000. Mais avec la pénurie actuelle, la production tourne seulement autour de 25 000.

Hafez Salmawy, président de l’organisme, précise que 75% de cette pénurie sont provoqués par le manque de gaz naturel, principal combustible utilisé dans le réseau électrique du pays. « L’Egypte est endettée face à son partenaire étranger, British Petroleum. Cette dette est estimée à 6 milliards de dollars, poussant nos partenaires à réduire la production de 6 milliards de pied cube par jour à 5,2 milliards », dit-il.

D’après Salmawy, même si cette dette est remboursée, le retour à une production normale nécessitera de temps pour atteindre, vers la fin de l’année, « au maximum 5,8 milliards de pied cube ». Le secteur de l’électricité consomme, à lui seul, environ 41% de la consommation totale en pétrole et gaz naturel du pays, d’après les chiffres avancés par le spécialiste en énergie, Amr Kamal Hammouda.

Nouvelles centrales

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Photo : Reuters

Le gouvernement a annoncé des plans pour augmenter la production d’électricité à travers l’importation de gaz naturel et de diesel à court terme et à travers la construction de trois nouvelles centrales à moyen terme. La construction devrait commencer cet été sur 3 nouveaux sites à Guiza, à Banha dans le Delta du Nil et à Aïn-Sokhna sur la mer Rouge, avec une capacité totale de 2400 MW.

Mais le gouvernement, dont le plan vise à réduire les périodes de coupure d’électricité d’ici l’été 2015, n’a pas précisé comment il entend alimenter ces centrales et où il allait chercher les fonds nécessaires à leur construction: lors des 6 derniers mois, le secteur a compté sur les aides des pays du Golfe pour environ 4 milliards de dollars. Alimenter trois nouvelles centrales reviendrait à environ 5 milliards de dollars annuels.

Pour importer du gaz naturel, l’Egypte doit payer trois fois plus cher que le prix auquel elle exporte son propre gaz. Amr Adly, directeur de l’unité de la justice économique et sociale au sein de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels, vient de dévoiler dans une étude récente que l’Egypte a perdu environ 10 milliards de dollars à cause de la corruption sur les contrats d’exportation de gaz sous Moubarak entre 2005 et 2010.

Au lieu de lancer des offres publiques d’achat, le gouvernement négocie avec différents partenaires pour lui fournir le gaz dont elle a besoin en 2014. Abdel-Badie, de EGAS, a déclaré que le gouvernement allait lancer un nouvel appel d’offres pour 2015, car il aurait besoin d’importer du gaz naturel pour les trois à cinq ans à venir, jusqu’à ce que le pays restaure ses niveaux de production antérieurs.

« Nous avions prévu une crise en 2017, elle a pourtant commencé en 2011 à cause du manque de fonds financiers. Une nouvelle pénurie interviendra en 2024 à cause de l’épuisement de nos réserves en gaz et en pétrole », avoue Salmawy, qui appelle à diversifier les sources d’énergie et à accorder une place beaucoup plus importante à l’énergie renouvelable, parts qui oscillent actuellement entre 0,2 à 0,9 % (lire page 5).

Mais à la place, le gouvernement d’Ibrahim Mahlab, en dépit de l’opposition des ministères du Tourisme et de l’Environnement, vient de décider de permettre aux usines d’importer du charbon pour combler la pénurie en gaz naturel et en mazout. Mahlab veut laisser les Egyptiens croire que « l’augmentation de la production d’électricité par le barrage d’Assouan et le détournement du mazout utilisé dans l’industrie vers la production d’électricité contribueront à améliorer la situation ».

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