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Présidentielle: Le duel

Samar Al-Gamal, Mardi, 01 avril 2014

Après maints reports successifs, le maréchal Sissi est officiellement candidat à la présidentielle prévue fin mai. Démissionnaire de l'armée, sa campagne ne prévoit ni meeting populaire, ni débat avec son rival. Sa victoire ne fait aucun doute.

Le duel

L’annonce est tout sauf une surprise. La candidature de l’ex-ministre de la Défense à la présidentielle est attendue depuis le référendum sur la Constitution, mi-janvier dernier.

Depuis, des responsables, ex-militaires, journalistes, sources anonymes annonçaient régulièrement que l’annonce sera officielle dans « une semaine, plutôt 48h, encore 48... ». Il devait aménager son départ et nommer son successeur, le chef d’état-major, le général Sedqi Sobhi, nommé ministre de la Défense et chef de l’armée. Le général Mahmoud Hégazi, beau-père du fils de Sissi, a, lui, été nommé chef d’état-major.

Treillis militaire, un jardin en arrière-plan, le maréchal Abdel-Fattah Al-Sissi annonce, lors d’une allocution télévisée, qu’il quitte l’armée pour briguer le poste-clé de l’Etat. Il aurait été plus judicieux qu’il troque son uniforme pour un costume civil avant un tel discours, comme le révèle un membre de son groupe de conseillers.

Dans ce discours qui mélange arabe classique et dialectal et qui se veut émotionnel, il lance : « Je me tiens devant vous aujourd’hui pour la dernière fois dans un uniforme militaire, après avoir décidé de quitter mes fonctions de ministre et de chef de l’armée, (...) pour récupérer l’Egypte et la construire ».

Il parle de « défis, de missions extrêmement difficiles, d’économie fragile, de chômage, de santé » et promet de « débarrasser l’Egypte du terrorisme » une fois élu au terme du scrutin prévu les 26 et 27 mai.

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Conformément au calendrier dévoilé par la Haute Comission Eléctorale (HCE), l’Egypte aura donc un nouveau président moins d’un an après la destitution de Mohamad Morsi. Un évincement dont Sissi fut l’architecte et qui l’a fait devenir la personnalité la plus populaire du pays. Il est donné grand favori du scrutin présidentiel où, à ce jour, il ne fera concurrence qu’avec un seul candidat, la figure de gauche et candidat à la présidentielle de 2012, Hamdine Sabahi. Les autres potentiels candidats se sont retirés, estimant que leur simple participation conférait une légitimité à un processus électoral considéré injuste.

Sabahi se dit pourtant candidat pour représenter « la révolution », et pour empêcher que le scrutin « se transforme en un référendum avec un seul candidat » ( lire entretien page 5).

Arrivé troisième derrière Mohamad Morsi et le candidat de l’Etat Ahmad Chafiq, Sabahi croit pouvoir faire la course vers le palais présidentiel en dépit de l’alignement des institutions de l’Etat sur son rival. Baheieddine Hassan, président du Centre du Caire pour les droits de l’homme, estime, en effet, qu’il est difficile d’imaginer que les institutions étatiques soient neutres dans cette course à la présidence. « Jusqu’à présent, le gouvernement n’a démontré aucune preuve d’impartialité », dit-il (lire page 4).

L’armée « loin de la politique »

Même si les forces armées affirment être loin des arènes politiques, la déclaration officielle de Sissi a été précédée par un communiqué officiel du porte-parole de l’armée, pour annoncer sa future intervention publique. La transcription de son discours a été publiée en arabe et en anglais sur la page officielle du porte-parole de l’armée, sur Facebook.

Bien avant, l’armée, qui a fourni tous les présidents d’Egypte, à l’exception de Morsi, avait mandaté Sissi pour se présenter à l’élection présidentielle. Le Conseil suprême des forces armées, réuni sous la direction du maréchal, avait affirmé dans un communiqué fin janvier que « la confiance populaire donnée au maréchal Sissi est un appel auquel il faut répondre ».

Aujourd’hui, des responsables en poste font partie de sa campagne, en violation de la loi électorale. Confiant de sa victoire, Sissi affirme ne pas faire de campagne électorale « classique ».

Le lendemain de son discours, la télé publique diffusait une vidéo dans laquelle apparaît Sissi saluant un groupe de personnes représentant son équipe de campagne. Aucun nom n’est dévoilé dans l’immédiat, mais les images révèlent des figures dont le chef de l’Union des étudiants, Mohamad Badrane, une professeur d’économie, Soad Kamel, et 3 membres de la campagne de 2012 de Amr Moussa, alors candidat à la présidentielle arrivé 5e.

Ahmad Kamel, porte-parole de la campagne de Moussa, trouve aussi sa place. Et d’après ce qu’il explique à l’Hebdo, l’équipe de Sissi serait répartie en 3 groupes. Le premier est une équipe de campagne électorale, dont le coordinateur est l’ancien ambassadeur d’Egypte auprès de l’Union européenne Mahmoud Karem. Le deuxième est un bureau politique qui travaille sur le programme (qui ne serait pas d’ailleurs traditionnel, mais plutôt une sorte de vision, « un projet d’Etat », comme il plaît aux partisans de Sissi de l’appeler) et dont les détails et calendrier incomberont au gouvernement. Par ailleurs, aucun détail n’a été fourni sur ce dit bureau, et ses membres restes inconnus, poussant les observateurs à croire qu’il s’agit d’un groupe de militaires.

Le troisième groupe est celui des conseillers, avec à leur tête l’écrivain et conseiller de Nasser, l’octogénaire Hassanein Heykal, Amr Moussa, des chercheurs à l’instar de Amr El Shobaki, un ancien proche de Mohamad ElBaradei, Abdel-Guélil Moustapha, le réalisateur Khaled Youssef et, paradoxalement, Moustapha Hégazi, actuel conseiller politique du président Adly Mansour, et le ministre de la Jeunesse Khaled Abdel-Aziz.

« Nous avons avancé certaines idées mais nous attendons le programme pour donner notre avis », dit l’un de ces conseillers sous couvert de l’anonymat. A ses yeux, Sissi incarne l’homme fort, capable de faire revenir la stabilité dans un pays secoué par des crises économiques et sécuritaires. Il croit à une version un peu amendée de celle des partisans de la réforme sous Moubarak, « le changement de l’intérieur », surtout « en l’absence d’alternative ».

Crises en série

Le futur président d’Egypte doit faire face à une crise économique majeure traduite par un recul des investissements et une quasi-absence de tourisme, recette principale du PIB avec le Canal de Suez et le transfert d’argent des Egyptiens travaillant à l’étranger.

Pour remettre l’économie d’aplomb, le pouvoir avait surtout compté sur les aides étrangères, notamment en provenance des pays du Golfe. L’Arabie saoudite, le Koweït et les Emirats arabes unis ont versé au Caire quelque 12 milliards de dollars sous forme de prêts et livraison d’hydrocarbures (lire article page 4).

L’assistance des pays du Golfe pourrait être un facteur tranchant pour la réussite de Sissi président. Une source diplomatique explique que des négociations sont en cours, notamment avec Abou-Dhabi, pour une assistance d’environ 20 milliards, une fois le maréchal élu. « Une sorte de plan Marshall pour secourir l’Egypte et garantir la stabilité du pouvoir de Sissi », explique cette même source.

Ce plan a déjà commencé avec l’armée: un géant émirati de la construction a ainsi lancé un projet d’un million de logements en Egypte, d’une valeur de 40 milliards de dollars, en collaboration avec l’armée. Il devrait s’achever d’ici 3 ans et servir les Egyptiens au revenu moyen, selon les déclarations officielles.

Le défi pyramidal qui se dresse devant Sissi est surtout la question sécuritaire: des groupes djihadistes ont multiplié les attaques contre les forces de l’ordre faisant plus de 200 morts en quelques mois. Sissi, alors ministre de la Défense et premier ministre adjoint pour les affaires sécuritaires, n’a pas été capable d’y mettre fin.

Pourtant, il ne fera pas campagne pour convaincre les Egyptiens de sa vision pour leur avenir, « pas de meeting populaire, ni débat avec son rival ». « Il n’en a pas besoin », annonce l’ex-militaire et proche du candidat, Sameh Seif Al-Yazal.

Selon lui, il s’agit d’une question de sécurité, car Sissi est « ciblé ». Déjà, la plupart des ministères, les locaux du Conseil des ministres ainsi haut d’environ 3 mètres... en attendant le futur locataire.

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