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Amir Wahib : je dévoile une réalité cachée mais familière

Propos recueillis par Alban de Ménonville, Mercredi, 26 mars 2014

Après deux expositions à New York, Amir Wahib poursuit son travail sur la distorsion de la réalité. L’artiste, qui place le progrès au centre de ses oeuvres, explique comment il s’intéresse à l’invisible à partir du visible. Entretien

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Amir Wahib

Al-Ahram hebdo : On dit que votre dernière exposition reflétait une réalité trompeuse, pourquoi ?

Amir Wahib : Les buildings que j’ai peints ne rentraient pas dans le cadre des toiles. J’opère une distorsion qui reflète une réalité : je reproduis des immeubles, mais d’un point de vue qui n’existe pas. Laissez- moi expliquer : le bâtiment de la police à New York est très long. Si bien que, quel que soit l’angle où l’on se place, on ne peut pas l’apercevoir dans sa globalité. Je change la vision, je tords ou distords le bâtiment pour le faire apparaître en entier dans mes toiles. Malgré tout, le bâtiment peint reste familier à ceux qui ont l’habitude de passer devant le vrai bâtiment. Ils le reconnaissent immédiatement mais ne savent pas dire de quel point de vue il est peint. Je dévoile une réalité cachée, invisible aux passants, mais pourtant familière.

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Le Paramount.

— Si vous vous êtes intéressé à ces bâtiments de New York, c’est pour une raison particulière …

— J’ai recensé toutes les horloges de Manhattan. Pendant des semaines, j’ai méthodiquement arpenté les rues du quartier, rues qui sont d’ailleurs organisées à la manière d’un échiquier, ce qui m’a facilité le travail. Pour chaque horloge que je voyais, je faisais des croquis, prenais des photos … Pour un gratte-ciel sur lequel se trouvait une horloge, j’ai pris 70 clichés : d’abord les 3 premiers étages, puis les 3 suivants et ainsi de suite. Pour d’autres bâtiments, je faisais des croquis, car la photo n’est pas toujours adaptée à ce que je fais.

— Pourquoi les horloges ?

— Parce que pour moi, elles reflètent la perfection de l’être humain. Elles sont à la fois complexes et uniques.

— Une fois recensées, qu’avez-vous fait de ces horloges ?

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Le bâtiment Con Edison.

— J’en ai sélectionné quelques-unes, puis j’ai commencé à peindre. En tout, cela m’a pris un an de travail acharné pour 21 toiles. Sans compter les repérages, je mets 50 à 80 heures à peindre une toile. Le repérage a aussi été très long. Certaines horloges sont invisibles de la rue. Je suis passé devant un bâtiment qui s’appelle le « Clock building ». J’ai demandé au gardien pourquoi il s’appelait ainsi et il m’a répondu qu’il y avait une gigantesque horloge sur le toit. Après avoir insisté, il m’a laissé monter et j’ai pu faire quelques croquis de cette horloge. Personne ne peut deviner que cette horloge existe.

— Les horloges sont une partie de votre travail, mais vous vous intéressez aussi aux bâtiments …

— Pour moi, les bâtiments reflètent la lutte de l’Homme pour mieux vivre. Il n’y a pas si longtemps, on vivait encore dans des abris. Les bâtiments sont une recherche du confort : l’électricité, le gaz, la télé … Ils sont le fruit d’un dur travail et reflètent ceux qui y vivent. Un peu à l’instar des chaises ou des fauteuils : le président américain a sa propre chaise, comme le pape. Les chaises reflètent la position des gens.

— Revenons à votre travail de distorsion. Par quoi ou par qui avez-vous été influencé ?

— Tout est parti d’une idée : « Clock in the city ». Le but était de montrer ce qui existe mais que l’on ne voit pas. Dans l’une de mes toiles, on reconnaît Times Square : tous les éléments y sont mais d’une manière à la fois étrangère et habituelle. Dans une ville comme New York, les rues n’offrent pas suffisamment de recul pour capturer l’ensemble d’une place ou d’un building. Mon travail sur les perspectives était central pour cette exposition. Il s’agissait de les modifier pour faire rentrer un immeuble de 60 étages dans une toile où le recul face à l’immeuble est relativement faible. Il y a à la fois de nombreux détails et une vue d’ensemble dans mes toiles. Dans une autre toile, je montre les deux côtés d’un immeuble. C’est un immeuble qui fait un angle. Donc, soit on voit une façade, soit l’autre. Mais ce n’est pas possible de voir les deux façades en même temps … sauf si l’on regarde ma toile.

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