Jeudi, 25 avril 2024
Al-Ahram Hebdo > Visages >

Monica Hanna : L’urgence pour le patrimoine

May Sélim, Mardi, 04 février 2014

Lauréate du prix SAFE Beacon 2014 pour ses efforts dans la préservation du patrimoine égyptien, Monica Hanna est une archéologue passionnée. Depuis 2011, elle dénonce les nombreux pillages, montrant du doigt les malfaiteurs.

Monica Hanna
Monica Hanna (Photo: Bassam Al-Zoghby)

Deux heures après l’at­tentat à la bombe contre la direction de la sécurité au Caire, à la fin de janvier dernier, Monica Hanna se précipite avec les membres de l’Egypt’s Heritage Task Force (la force pour la surveillance du patri­moine et des antiquités) vers le Musée d'art islamique situé à proxi­mité. Celui-ci a été gravement endommagé par l’explosion. Malgré le danger existant, les forces de l’ordre sur place, les alarmes et les sirènes, elle sent la nécessité, voire l’obligation d’agir rapidement. Il fal­lait à tout prix recenser les pertes et tenter de sauver ce qui restait.

L’archéologue et académicienne, Monica Hanna, a toujours été pré­sente pour défendre son héritage et celui des siens. Depuis 2011, elle a pris la mission d’informer autrui sur ce qui se passe à travers les réseaux sociaux. Aujourd’hui, c’est la mobi­lisation générale. Sur Facebook, elle réclame les plans du musée, cherche à détecter les raisons de la fuite d’eau, menaçant le bâtiment, etc. Le soir même de l’attentat, elle publie — avec les membres de la campagne — un rapport pour mettre les choses au point : les dégâts ne dépassent pas les 30 %.

Hanna mène un travail volontaire, en marge de tout organisme officiel ou gouvernemental. La campagne Egypt’s Heritage Task, elle l’a lan­cée avec d’autres il y a juste quelques mois, afin de sensibiliser la population quant à l’importance du patrimoine. Ils veulent surtout dénoncer les multiples pillages, de plus en plus fréquents. « La cam­pagne regroupe parmi ses dirigeants Omneya Abdel-Bar, Yasmine Dorghami, moi et d’autres per­sonnes. Elle est basée sur les inspec­teurs d’antiquités qui n’arrivent pas à se faire entendre … On tente alors de faire parvenir leurs voix à une plus grande échelle. Parfois, ils signalent des pillages sur des sites archéologiques à proximité de chez eux, mais ne savent pas quoi faire. Chaque jour, on reçoit 7 ou 8 plaintes », explique Monica Hanna, qui croit en la force de la société civile pour la protection du patri­moine national. « Malheureusement, les citoyens ont longtemps vécu avec l’idée que les sites archéologiques, les antiquités et les monuments his­toriques ne leur appartiennent pas, qu’ils sont propriété de l’Etat. Par ailleurs, les archéologues eux-mêmes vivaient dans un monde isolé … Ils se prenaient pour des experts et donc personne n’avait le droit de parler des antiquités sauf eux. De quoi élargir le fossé entre les petites gens et leur patrimoine. Le système entier nécessite une vraie réforme. Et le gouvernement doit placer les antiquités sur son agenda comme une priorité », estime Hanna.

Avec d’autres, Monica Hanna a aussi lancé, il y a un an et demi, la campagne Soreq (c’est volé) laquelle vise à recenser les pièces et les objets volés, en publiant leurs pho­tos sur Internet. « A travers les deux campagnes, on essaye de réduire ou stopper le trafic de vente des anti­quités. C’est une manière de divul­guer les pièces volées et de réclamer leur retour. Avant la révolution, le trafic des antiquités égyptiennes existait, mais clandestinement et dans un cadre limité. Après la révo­lution, la situation a empiré », sou­ligne-t-elle.

Le problème s’aggrave faute de sécurité et de stabilité politique. « Le nombre de pièces égyptiennes qui circulent sur le marché interna­tional a augmenté. C’est devenu presque une marchandise abondante au point d’en abaisser les prix », dit-elle. Monica éclate de rire, vu l’absurdité de la situation …

Les efforts de l’archéologue com­mencent toutefois à porter leurs fruits. Après le vol du musée de Mallawi, au sud du Caire, son équipe a publié les photos de quelques objets, et certaines pièces ont été récupérées. Le public est de plus en plus avide de comprendre et de contribuer à la protection de son patrimoine. Plusieurs campagnes sous le nom de Safe ont été ainsi lancées à Port-Saïd, à Dahchour et en d’autres provinces. « La société civile est indispensable. Le gouver­nement n’a pas le choix. Il doit prendre en considération les mesures des ONG travaillant sur le terrain, car il existe de nombreuses défaillances », souligne-t-elle sur la défensive.

Lorsque Hanna décide de rendre publique une affaire de vol, elle risque de le payer de sa vie … « Un ami étranger m’a conseillé de me calmer, m’avertissant que je ris­quais le gros », lance-t-elle. Et d’ajouter : « A cause de mes conflits continus avec le ministère d’Etat pour les Affaires des antiquités, c’est parfois difficile de poursuivre mon travail d’archéologue. Je me retrouve souvent dans le conflit éthique/carrière ». Monica Hanna est souvent accusée de suivre des « directives étrangères » ou de ne pas être très compétente. Parfois, elle a été même dénoncée à la police. Des voleurs d’antiquités ont essayé de tirer sur elle … Peu importe. « Mes parents sont originaires de Haute-Egypte. Je passais mes vacances d’été dans le sud du pays et donc j’avais l’habitude des coups de feu. (Là-bas, il était parfois ques­tion d’acte de vandalisme ou de vendetta). Je n’ai pas peur. Pour moi, le concept de sécurité person­nelle n’existe pas », relate-t-elle

L’archéologue s’adresse ensuite à ceux qui l’empêchent de poursuivre sa mission : « On me considère comme une femme qui dérange. Je m’en fiche. Toutes ces personnes ne sont éternelles, elles vont bientôt nous quitter. Mais les antiquités, elles restent à jamais ».

Une passionnée, une femme obsti­née ? Oui, depuis son âge tendre. Encore étudiante au Ramsès College, une visite bouleversa sa vie : celle du Musée égyptien de la place Tahrir. « Comme tous les petits tur­bulents, je ne suivais pas sérieuse­ment la visite guidée. En flânant, je suis tombée sur le laboratoire de l’embaumement, et c’est là que j’ai rencontré le professeur Nasri Eskander et ses assistants, qui res­tauraient la momie de Thoutmôsis III », se souvient-elle. Depuis, la petite Monica a appris à revenir sou­vent au musée : « Chaque samedi après l’école, je prenais le métro dans le sens inverse de mon chemin régulier. Je passais au musée et allais directement au laboratoire. Souvent Nasri Eskander me donnait un torchon jaune pour essuyer les outils ». Ces visites lui procuraient un plaisir immense.

A l’Université américaine du Caire, elle commence par polytech­nique pour obéir à son entourage. Deux mois plus tard, elle change de discipline et opte pour l’archéologie. « Ma pro­motion regroupait 4 étu­diants. Un grand avan­tage car c’était presque des leçons particulières que nous recevions », dit-elle.

Une fois diplômée, elle est embauchée au minis­tère d’Etat pour les Affaires des antiquités, afin de collaborer avec la mission finlandaise. Il fallait recenser les antiquités dans le Sinaï, à Port-Saïd et dans la province d’Al-Charqiya. Cela, dans l’objectif de créer une plateforme mise à jour.

Deux ans plus tard, elle quitte ce poste : « J’ai découvert que les res­ponsables du ministère avaient un vrai complexe du khawaga (croire en la supériorité des Occidentaux). Ils préfèrent avoir recours à un archéologue étranger plus qu’à un Egyptien, même si ce dernier avait suivi le même cursus ou la même instruction ». De quoi la révolter. « Je n’apprenais rien de nouveau. Pourquoi donc rester en poste ? », se demande-t-elle.

Elle a travaillé ensuite au bureau du Centre de la documentation du patrimoine, de la Bibliotheca Alexandrina. Puis, elle est acceptée par l’Université italienne de Pise pour parfaire sa formation en archéologie : « Il s’agissait d’une bourse offerte aux étudiants interna­tionaux. J’ai envoyé mon CV et les documents, de manière individuelle. Pise est l’une des plus grandes et plus anciennes universités du monde. C’est là où le savant italien Ippolito Rosellini donnait ses confé­rences avant que Champollion ne le fasse en France. En plus, l’Italie est un pays riche de monuments et d’an­tiquités. Personne ne se lasse de visiter ses musées ».

Entre-temps, elle participe aux différents projets de fouilles et tombe amoureuse d’un égyptologue italien. En une seule année, elle passe par trois cérémonies de mariage : une au bureau de l’ambas­sade d’Egypte en Italie, une deu­xième dans la région d’origine de son époux et une troisième en Egypte. « Dany a rapidement conquis le coeur de mes parents. Les Italiens nous ressemblent beaucoup. Parfois, j’ai l’impression d’avoir épousé un homme de la Haute-Egypte », plaisante-t-elle.

Avec une carrière en Europe, d’abord en Italie, ensuite en Allemagne (Université Humboldt), Monica Hanna ne pensait pas reve­nir en Egypte. Et puis, février 2011 arrive : « Le jour de la chute de Moubarak tout a changé pour moi. Un espoir est né au fond de mon coeur : le retour en Egypte devenait possible ». Suivant les nouvelles du pays de près, elle rassemblait toutes les informations nécessaires sur le vol des antiquités durant et après la révolution.

En même temps, elle continuait son projet de fouilles, sur la rive ouest de Louqsor, pour l’Université Humboldt. Quelques va-et-vient et elle décide de rentrer au pays défini­tivement. « Je devais défendre mon héritage. Je suis égyptienne et je dois défendre mes droits, les proté­ger tant que possible. Comment pourrais-je enseigner à mes étu­diants la préservation du patrimoine alors que je n’arrive pas à protéger le mien ? Je suis dans la trentaine, si le vol des antiquités se poursuit, je ne trouverai plus rien à enseigner », prévient-elle.

Monica Hanna est consciente de sa force, de ses capacités. Elle le dit clairement : « Je fais du bruit ». Elle tire les sonnettes d’alarme, pour mettre en garde le monde entier …

Aujourd’hui, elle achève un ouvrage sur les antiquités égyp­tiennes en cette période post- révo­lutionnaire. Il sera publié par l’Uni­versité Humboldt, au bout de cette année sabbatique. Sans même avoir l’autorisation du ministère d’Etat égyptien pour les Affaires des anti­quités, elle a décidé de poursuivre son chemin : « Les voleurs ne pren­nent pas d’autorisations eux, non ? Ils pénètrent sur les sites en toute aisance ». Elle rit bruyamment, avant de conclure : « Au lieu de pré­server les antiquités, ce sont elles qui nous protègent. Car c’est à tra­vers le patrimoine qu’on arrive à comprendre les choses autour de nous, à cerner pas mal des secrets de la vie » .

Jalons

2004 : Diplôme en égyptologie et chimie de l’archéologie de l’Université américaine du Caire.
2006 : Etudes à l’Université italienne de Pise.
2009 : Mariage.
2010 : Doctorat.
2012 : Retour en Egypte après la révolution.
Avril 2014 : Prix SAFE Beacon.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique