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Les effets de déclarer la confrérie organisation terroriste

Mardi, 31 décembre 2013

En déclarant les Frères musulmans « organisation terroriste », le gouvernement intérimaire semble avoir mis un terme à toute possibilité de réconciliation avec ce groupe et à toute éventuelle participation de ses membres à des activités politiques légales, notamment les prochaines élections législatives et présidentielle, prévues dans la première moitié de 2014.

La décision du gouvernement, annoncée le 25 décembre, met la confrérie et ses membres sous la coupe de l’article 86 du code pénal définissant le crime de terrorisme et les lourdes peines encourues par les coupables. Elle élargit et renforce la répression des Frères musulmans et signifie qu’ils sont devenus des hors-la-loi. Tous ceux qui les financent, les soutiennent verbalement, par écrit ou par tout autre moyen, risquent également de lourdes peines. Le ministre de l’Intérieur, Mohamad Ibrahim, a ainsi indiqué que ceux qui participent aux marches de protestation organisées régulièrement par la confrérie contre le gouvernement intérimaire, l’armée et la police, risquent désormais 5 ans de prison. Ceux qui occupent des postes administratifs en son sein, la financent ou lui offrent des informations risquent des peines de travaux forcés. Il faut remonter aux années 1950, après l’attentat manqué contre le président Gamal Abdel-Nasser en 1954 attribué à la confrérie, pour retrouver une répression aussi féroce des Frères musulmans, qui se réclament d’un million d’adhérents. C’est cependant la première fois que la confrérie soit déclarée organisation terroriste.

La décision du gouvernement intervient au lendemain de l’attentat meurtrier le plus important depuis la destitution du président Mohamad Morsi le 3 juillet, contre la préfecture de police du gouvernorat de Daqahliya, à Mansoura dans le Delta, faisant 16 morts, essentiellement des policiers, et quelque 140 blessés. Bien que l’attentat ait été dénoncé par les Frères musulmans, qui ont nié toute implication, et revendiqué par Ansar Beit Al-Maqdes (les partisans de Jérusalem), un groupe terroriste basé au Nord-Sinaï, qui avait auparavant revendiqué l’attentat manqué contre le ministre de l’Intérieur en septembre dernier, le gouvernement a dressé un lien direct entre cet acte terroriste et la confrérie. Outre les accusations portées par le ministre de l'intérieur le 2 janvier, il estime que les Frères musulmans apportent une couverture et une légitimation politique aux attentats terroristes, en recrudescence depuis le renversement de Morsi.

L’attentat de Mansoura a été en quelque sorte la goutte qui fait déborder le vase. Soumis à des pressions publiques et politiques diverses et accusé d’hésitation, voire de faiblesse, le gouvernement intérimaire examinait la possibilité de déclarer la confrérie organisation terroriste depuis la décision prise le 23 septembre par le tribunal des affaires urgentes du Caire d’interdire l’« Association » des Frères musulmans — légalisée en mars 2013 sous Morsi — et les organes qui lui sont affiliés et de geler leurs avoirs, désormais gérés par une commission gouvernementale. Le verdict de la cour a été rendu à la suite d’une plainte déposée par le parti de gauche, le Rassemblement national progressiste et unioniste (Tagammoe), accusant les Frères musulmans de terrorisme et d’exploiter la religion à des fins politiques.

Le gouvernement a hâté sa décision après l’attentat du 25 décembre, mais l’a justifiée principalement par le verdict du tribunal, la violence dont ont fait usage des membres de la confrérie dans leurs protestations et les chefs d’accusation portés récemment devant les tribunaux contre les dirigeants des Frères musulmans, y compris Morsi, notamment l’incitation au meurtre et l’intelligence avec des forces étrangères (le Hamas palestinien, le Hezbollah libanais et les Gardiens de la Révolution islamique en Iran). Des accusations passibles de la peine de mort.

La décision du gouvernement est cependant contestée par des juristes qui l’estiment de nature administrative, facilement annulable par une décision de la Cour administrative, si les Frères musulmans décident de faire appel. Ils auraient préféré que la décision, pour être plus solide, soit fondée sur un arrêt de la justice déclarant la confrérie groupe terroriste, à partir de preuves irréfutables. D’autres juristes estiment au contraire que la décision fait partie des décisions dites « de souveraineté », portant dans ce cas sur la sauvegarde de la paix civile, et ne peut donc être revue et abrogée par la justice. Au-delà de ces considérations juridiques, la décision de déclarer les Frères musulmans organisation terroriste a été accélérée, à la suite de l’attentat de Mansoura, par les partisans de la manière forte contre la confrérie au sein du gouvernement. Les services de sécurité, qui avaient beaucoup perdu de leur influence politique après la chute de Hosni Moubarak en février 2011, semblent avoir poussé dans cette direction.

Après le peu de résultats de la stratégie des protestations de rue et le manque d’impact de celle des manifestations étudiantes, dont l’objectif est de perturber l’année universitaire, la confrérie semble opter de plus en plus pour des attentats ciblés contre des objectifs militaires et policiers. Les services de renseignements, dont ceux des pays occidentaux, estiment que les Frères musulmans auraient choisi, de connivence avec des groupes djihadistes basés au Sinaï, cette stratégie des attaques ciblées pour faire dérailler la feuille de route, annoncée par l’armée, et mettre en échec le gouvernement intérimaire.

Cette stratégie, si elle se confirme, marquerait l’ascendance des radicaux au sein du groupe, partisans de l’action clandestine. La décision du gouvernement devrait aussi agir en ce sens, en donnant prétexte et raison à ces derniers qui estiment que le gouvernement cherche à éradiquer les Frères musulmans. Dans le même temps, la multiplication des attentats meurtriers renforce le courant populaire partisan d’une exclusion de la confrérie. Ce qui réduit à néant toute chance de réconciliation avec ce groupe ou de sa réintégration dans la vie politique.

L’une des conséquences directes de cette radicalisation des positions, de la recrudescence des attentats et de la possible dégradation de la situation sécuritaire est l’affaiblissement des chances des candidats civils à la présidentielle et le renforcement des pressions politiques et populaires pour que le ministre de la Défense, Abdel-Fattah Al-Sissi, se porte candidat. Plus la situation sécuritaire se détériore et l’option militaire l’emporte, plus le besoin politique et populaire sera grand pour qu’un homme à poigne, un militaire, tienne les rênes du pouvoir.

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