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Les Arabes divisés sur la confrérie

May Al-Maghrabi, Mardi, 31 décembre 2013

Les Frères musulmans sont désormais qualifiés d'« organisation terroriste » par l’Egypte. Mais quelles en seront les implications dans les pays voisins ? Décryptage.

Les Arabes
Les pays arabes toujours pas tous décidés à considérer les Frères comme terroristes. (Photo : AFP)

Le ministre des Affaires étran­gères, Nabil Fahmi, a affirmé qu’il allait notifier la décision de l’Egypte, de classer les Frères musulmans organisation ter­roriste, aux 17 pays arabes signataires de l’Accord arabe sur la lutte contre le terro­risme, ainsi qu’à la Ligue arabe.

En vertu de cet accord rati­fié en 1998, tous les pays signataires s’engagent à ne pas financer, participer ou organiser des actes terro­ristes. Les pays signataires sont aussi appelés à ne pas abriter, former ou armer des terroristes sur leur territoire. L’article 4 de l’accord incite à la coopération entre les pays arabes en matière de sécuri­sation des frontières, pour éviter l’infiltration des élé­ments terroristes, et à échan­ger les informations qui pour­ront servir à combattre le ter­rorisme. Selon l’article 5, tout pays prévoyant un dan­ger terroriste doit informer les autres pays signataires de la nature et l’ampleur de ce danger.

Mais cette récente décision de l’Egypte sera-t-elle dans les faits respectée par les pays arabes, surtout ceux qui sont sous la coupe des Frères musulmans ou ceux qui les soutiennent ? Dans une pre­mière réaction, les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, ont déclaré leur soutien à l’Egypte dans sa lutte contre le terrorisme, l’appelant à divulguer et à poursuivre les éléments impliqués dans des actes de violence. Les Emirats arabes unis, également hostiles aux Frères musulmans, ont déjà déclaré qu’il n’y avait pas de place pour eux sur leur terri­toire. Sur un autre volet, le mouvement Fatah semble vouloir exploiter la décision égyptienne en sa faveur dans sa lutte contre son rival Hamas. Le Fatah a exhorté le Hamas à se séparer d’un mouvement devenu terro­riste, et à ne pas « faire endu­rer au peuple palestinien les répercussions d’une telle affi­liation ».

Des réactions cohérentes avec la position déjà hostile aux Frères de ces pays. Mais d’autres pays où les Frères détiennent les rênes du pou­voir, comme en Tunisie, en Turquie ou dans la bande de Gaza ne semblent pas s’en soucier. C’est ce que dévoile notamment la position du mouvement Hamas, qui a rejeté les appels à se séparer des Frères musulmans, décla­rant sa fierté d’y appartenir et adressant ses diatribes au régime égyptien. « C’est de l’absurdité et de l’ignorance que le pouvoir égyptien sanc­tionne un mouvement poli­tique pour son idéologie », a dénoncé Mahmoud Al-Zahar, cadre du mouvement Hamas. En Tunisie, le mouvement islamiste Ennahda a émis un communiqué qualifiant cette classification d’une « fuite en avant du gouvernement égyp­tien », qu’il a qualifié de « putschiste », et d’une agres­sion contre un parti politique qui s’est toujours engagé en faveur de la démocratie et du pacifisme.

« Calculs politiques »

Des réactions contradic­toires qui remettent en ques­tion la possibilité d’une coo­pération collective interarabe crédibilisant la décision de l’Egypte. Achraf Al-Chérif, politologue, explique que l’impact de cette décision ne se répercutera que partielle­ment sur les Frères musul­mans dans le monde arabe. « Les positions des pays arabes vis-à-vis des Frères Musulmans sont basées sur des calculs politiques et stra­tégiques. C’est pourquoi seuls des pays comme la Syrie, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis se réjouiront de la décision égyptienne qui leur donnera carte blanche dans leur lutte contre les Frères musulmans. Mais des pays comme le Qatar et la Turquie campe­ront sur leurs positions et refuseront toute coopération avec l’Egypte », estime Al-Chérif. En ce qui concerne la Jordanie, il estime que la situation est différente, car le mouvement est toléré et bien implanté dans la politique : « Le régime sera donc dans l’embarras et évitera de mettre de l’huile sur le feu en s’attaquant aux Frères ».

Adel Amer, expert en droit international, estime que la décision égyptienne n’est pas contraignante pour les autres pays arabes. « Le Qatar, prin­cipal allié des Frères musul­mans, ne va pas répondre aux demandes d’extradition des accusés en fuite sur son terri­toire, tels Al-Qaradawi, Assem Abdel-Magued et Tareq Al-Zomor. L’accord exige l’existence d’une déci­sion de justice pour extrader les terroristes réclamés par un pays. Par ailleurs, étant donné que cet accord a été ratifié dans le cadre de la Ligue arabe, le Qatar exige­ra l’approbation de tous les pays membres pour recon­naître la position de l’Egypte », explique Amer. Il ajoute qu’en cas d’obstina­tion de ces pays qui soutien­nent les Frères musulmans, l’Egypte peut avoir recours au Conseil de sécurité, à l’Onu, pour obtenir une condamnation contre ces pays. « La tâche du gouver­nement égyptien dans sa lutte contre le terrorisme ne sera donc pas facile. A ces pays qui abritent le terrorisme de reconsidérer leur position avant d’endurer un jour son atrocité », conclut-il. Même si les Frères d’Egypte sont désormais qualifiés de terro­ristes, les conséquences pour les mouvements qui s’en réclament et s’en inspirent seront minimes.

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