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L'Université d'Al-Azhar transformée en champ de bataille

Chérine Abdel-Azim, Mardi, 17 décembre 2013

Depuis la destitution de Mohamad Morsi le 3 juillet dernier, l'Université d'Al-Azhar est le théâtre d'accrochages réguliers entre les partisans de l'ex-président et la police. Reportage à Madinet Nasr où des affrontements ont éclaté cette semaine entre étudiants et forces de l'ordre.

Azhar
Face aux canons à eau, les manifestantes lèvent les doigts (Icône de Rabea). (Photo : Mohamad Abdou)

« Courez vite, courez vite, ils vont sortir les canons à eau », s’écrie une jeune fille qui porte le niqab en voyant une voiture de police s’approcher des manifestants qui commençaient à bloquer la rue Youssef Abbass. Cette scène d’accrochages entre les étudiants pro-Morsi de l’Université d’Al-Azhar et les forces antiémeutes est devenue quasi quotidienne. Depuis la destitution de Mohamad Morsi, les étudiants ne cessent de manifester, et la récente promulga­tion d’une loi sur le droit de mani­fester n’a pas mis fin à cet état de fait. C’est au sein même de l’Uni­versité d’Al-Azhar dans le quartier de Madinet Nasr qu’ils ont choisi de manifester ce jeudi. Pour la pre­mière fois, les étudiantes étaient plus nombreuses à manifester que les garçons. En ce jeudi 12 décembre, la rue Youssef Abbass qui sépare les deux bâtiments du campus est bloquée par les filles d’Al-Azhar, empêchant la circula­tion des voitures et des piétons.

L’usage des canons à eau par la police n’a pas mis fin aux manifes­tations. Les manifestantes scan­daient des slogans hostiles à la police et des accrochages n’ont pas tardé à avoir lieu. Face à l’obstina­tion des manifestantes, les forces de l’ordre utilisent des gaz lacrymo­gènes, et une fumée blanche se dégage. Mais les manifestantes reti­rent de leur sac des bouteilles de boissons gazeuses et s’aspergent le visage avec. Un moyen utilisé pen­dant la révolution du 25 janvier, qui permet de réduire l’effet de ces gaz.

Dans l’autre bâtiment du campus, un groupe d’autres dames et filles apparaît. Elles sont en colère contre le comportement des manifestantes. « Ces filles sont mal élevées. Elles ne respectent ni notre âge ni notre avis. Elles nous obligent à quitter nos bureaux par force et si on refuse, elles commencent à nous insulter et vont même jusqu’à retirer nos voiles pour nous obliger à par­tir », se plaint Soad, fonctionnaire à l’université qui courait, étouffée par l’odeur des gaz. Pour éviter l’effet des bombes lacrymogènes, il faut s’éloigner de 10 mètres environ jusqu’à la rue Moustapha Al-Nahass, parallèle à l’université. Là, des cen­taines de filles, munies de leurs valises, se sont évadées de la rési­dence des filles en pleurs. « Pourquoi font-elles cela ? Moi, je n’ai ni les moyens ni la possibilité de faire quotidiennement le dépla­cement dans mon gouvernorat pour éviter ces accrochages. Déjà, mon père s’est débrouillé difficilement pour payer les 250 L.E. des frais de séjour dans cette cité », crie Neama, jeune étudiante. Et d’ajouter : « Je ne comprends pas pourquoi elles ne veulent pas comprendre que Mohamad Morsi ne va jamais reve­nir au pouvoir. Pourquoi insistent-elles pour s’en prendre au peuple égyptien qui l’a destitué ? ». Avant de finir sa phrase, Neama est atta­quée par des filles qui commencent à lui crier dessus : « Dr Morsi est ton président et tu auras affaire à nous une fois qu’il sera de retour », lance l’une d’elles, qui n’hésite pas à gifler la jeune fille. Cette réaction violente de la part de la jeune fille, qui a disparu, a choqué les autres personnes présentes. « Désolée, tous les comportements de ces filles n’ont rien à voir avec les moeurs et les principes de l’islam. Les Frères se servent des universités pour créer une tension entre la police et le peuple », ajoute Doha, collègue de Neama en essayant de la calmer. Sur la route, le parebrise d’un camion de police est brisé, et deux soldats sont blessés lors d’autres accrochages mais cette fois-ci entre les garçons d’Al-Azhar et la police. Après une heure de pagaille, la police réussit à les disperser et la voie est enfin ouverte à la circulation. Les garçons décident de quitter les lieux tandis que les filles poursuivent leur ras­semblement à l’entrée de la cité universitaire. Elles essaient de pro­voquer les soldats soit en les insul­tant ou en levant les quatre doigts, (icône de Rabea). Mais en vain. Alors, elles commencent à jeter des pierres en direction des voitures de police. Les policiers, à leur tour, leur lancent des pierres. Des filles aux balcons de la cité se mettent à faire la même chose. « La victoire de Dieu est proche », s’écrie un groupe de filles qui venaient de ter­miner leur cours et qui ont rejoint leurs camarades. Héba, une voilée en dernière année de médecine, explique en ramassant quelques pierres : « Notre cause ne concerne plus le retour de Morsi. Notre but c’est la dignité humaine et le res­pect du citoyen ». Et elle poursuit sa marche. Au fur et à mesure que les filles terminent leurs cours, elles rejoignent leurs camarades.

Même si les partisans de la confré­rie occupent quotidiennement le devant de la scène à l’Université d’Al-Azhar, cette dernière est actuellement divisée en deux camps opposés. La grande majorité des étudiants et des professeurs refusent le comportement de ces protesta­taires.

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