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Khallaf balance entre deux cultures

Dina Bakr, Lundi, 16 décembre 2013

Khallaf Al-Chazly,

« Vivre au sein de deux socié­tés, Minya en Haute-Egypte et la Caroline du Nord aux Etats-Unis, totalement en contraste, fut un choc pour moi. Ces deux ans et demi de bourse universitaire ont forgé ma vision. J’étais pres­sé de rentrer en Egypte pour réaliser de façon concrète ce que j’avais appris, au profit de mon pays en développement », se rap­pelle Khallaf Al-Chazly, sociolo­gue, professeur à l’Université de Minya, qui a été choqué en fai­sant la comparaison entre deux mondes, deux sociétés qui n’ont rien de commun. Dans les années 1980, l’absence d’électricité dans beaucoup de villages en Haute-Egypte et le rythme accé­léré de la technologie dans tous les domaines aux Etats-Unis l’ont marqué (selon ses propos c’est comme si l’on faisait la comparaison entre une tortue et une fusée). Il se souvient des grandes bibliothèques étalées sur 8 étages avec des ouvrages concernant tous les domaines de la vie. « On peut facilement se perdre si on ne suit pas les pan­neaux d’orientation. Des maga­zines et des périodiques scienti­fiques qui rafraîchissent et actualisent les connaissances », se souvient Al-Chazly des efforts qu’il a déployés pour rattraper le retard.

Mais, le plus grand défi a été de garder l’équilibre entre ce qu’il a découvert et ses convic­tions en tant que personne pieuse, conservatrice et attachée à sa terre natale. « Chaque jour, je m’efforçais de reporter mon retour pour revoir ma famille », relate ce sudiste, qui éprouvait de la nostalgie pour les détails les plus futiles, comme par exemple manger un sandwich de foul pimenté et bien chaud. Une fois de retour en Egypte, Khallaf a dû s’accommoder pour reprendre sa manière de vivre dans sa ville natale, Minya, conscient des difficultés à rompre avec ce cercle vicieux d’admiration pour le progrès à l’étranger. Khallaf a obtenu un doctorat en sociologie de déve­loppement. Aucun lien entre ce qu’il a étudié et la réalité sur le terrain. « Mes études rendent uniquement service à mes élèves et ceux qui désirent comprendre la société dans laquelle on évo­lue », dit-il d’un air déçu, en fai­sant la comparaison avec ce qui se passe aux Etats-Unis. Là-bas, les décideurs attendent les résul­tats des recherches sociales pour mettre en application la politique adéquate à la période en cours. Il cite l’exemple de Samuel Huntington, écrivain américain, qui a écrit Le Choc des civilisa­tions, dont George Bush le père, ex-président américain, s’est ins­piré. La comparaison entre les deux sociétés est flagrante. « J’ai travaillé comme expert auprès de nombreuses ONG égyp­tiennes. Mais j’ai découvert que même ce secteur n’accorde pas assez d’importance aux études effectuées par les sociologues. Il s’agit souvent de business et d’une manière de collecter des fonds sous le nom de recherches sociales », s’indigne Khallaf.

Khallaf Al-Chazly

Aujourd’hui, il préfère se contenter de son titre de profes­seur de sociologie espérant que la vision de la société à l’égard des sociologues changera. « Les choses sont en train de changer depuis la révolution du 25 jan­vier 2011, l’Egyptien ne pourra plus se taire face à l’injustice. La culture de la résistance et la liberté de penser ont envahi l’es­prit égyptien. Nous sommes cer­tains que la soumission et le despotisme n’ont plus raison d’être », souligne Al-Chazly. Pour lui, la femme qui a joué un rôle primordial durant la révolu­tion sera un moteur de change­ment. « Dans notre société, la femme doit travailler sur elle-même. C’est elle qui pourra anéantir ce machisme qui existe dans la société. On doit commen­cer par éduquer la femme qui, elle, éduquera ses enfants sur l’égalité entre les deux sexes », dit-il.

Le slogan de la justice sociale, scandé durant la révolution, continue de préoccuper ce socio­logue. « Les droits des pauvres gens doivent passer en priorité pour le nouveau gouvernement. Cette catégorie doit avoir cette chance de travailler et subvenir à ses besoins essentiels. Ceux qui travaillent dans le domaine du tourisme sont en chômage forcé à cause de l’insécurité qui règne dans le pays et les éleveurs n’ont plus d’argent pour nourrir leurs animaux », dit Khallaf, tout en appelant à se débarrasser de ce discours élitiste qui sème la ziza­nie.

Il est 11h40, c’est l’heure de la prière. Il arrête son discours et demande aux professeurs de le suivre dans son bureau pour prier. « Je n’oublie pas de prier pour que l’Egypte retrouve sécu­rité et stabilité », dit-il avec un sourire plein d’espoir.

Il se présente comme étant un amalgame de deux cultures qui peuvent paraître contradictoires. Lui, qui possède des idées ouvertes vis-à-vis de la femme, ne peut s’empêcher d’être un Oriental.

Khallaf est heureux d’avoir 3 filles, l’une pharmacienne, une autre ingénieur et la troisième poursuit ses études à la faculté de tourisme et d’hôtellerie. Il aurait bien voulu avoir un garçon pour qu’il soit un soutien pour ses soeurs, mais Dieu n’a pas exaucé son voeu. « Je suis un homme oriental et de surcroît du sud. Et ces idées conservatrices me tra­versent l’esprit de temps en temps », conclut-il.

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