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Vivre au sein de deux sociétés, Minya en Haute-Egypte et la Caroline du Nord aux Etats-Unis, totalement en contraste, fut un choc pour moi. Ces deux ans et demi de bourse universitaire ont forgé ma vision. J’étais pressé de rentrer en Egypte pour réaliser de façon concrète ce que j’avais appris, au profit de mon pays en développement », se rappelle Khallaf Al-Chazly, sociologue, professeur à l’Université de Minya, qui a été choqué en faisant la comparaison entre deux mondes, deux sociétés qui n’ont rien de commun. Dans les années 1980, l’absence d’électricité dans beaucoup de villages en Haute-Egypte et le rythme accéléré de la technologie dans tous les domaines aux Etats-Unis l’ont marqué (selon ses propos c’est comme si l’on faisait la comparaison entre une tortue et une fusée). Il se souvient des grandes bibliothèques étalées sur 8 étages avec des ouvrages concernant tous les domaines de la vie. «
On peut facilement se perdre si on ne suit pas les panneaux d’orientation. Des magazines et des périodiques scientifiques qui rafraîchissent et actualisent les connaissances », se souvient Al-Chazly des efforts qu’il a déployés pour rattraper le retard.
Mais, le plus grand défi a été de garder l’équilibre entre ce qu’il a découvert et ses convictions en tant que personne pieuse, conservatrice et attachée à sa terre natale. « Chaque jour, je m’efforçais de reporter mon retour pour revoir ma famille », relate ce sudiste, qui éprouvait de la nostalgie pour les détails les plus futiles, comme par exemple manger un sandwich de foul pimenté et bien chaud. Une fois de retour en Egypte, Khallaf a dû s’accommoder pour reprendre sa manière de vivre dans sa ville natale, Minya, conscient des difficultés à rompre avec ce cercle vicieux d’admiration pour le progrès à l’étranger. Khallaf a obtenu un doctorat en sociologie de développement. Aucun lien entre ce qu’il a étudié et la réalité sur le terrain. « Mes études rendent uniquement service à mes élèves et ceux qui désirent comprendre la société dans laquelle on évolue », dit-il d’un air déçu, en faisant la comparaison avec ce qui se passe aux Etats-Unis. Là-bas, les décideurs attendent les résultats des recherches sociales pour mettre en application la politique adéquate à la période en cours. Il cite l’exemple de Samuel Huntington, écrivain américain, qui a écrit Le Choc des civilisations, dont George Bush le père, ex-président américain, s’est inspiré. La comparaison entre les deux sociétés est flagrante. « J’ai travaillé comme expert auprès de nombreuses ONG égyptiennes. Mais j’ai découvert que même ce secteur n’accorde pas assez d’importance aux études effectuées par les sociologues. Il s’agit souvent de business et d’une manière de collecter des fonds sous le nom de recherches sociales », s’indigne Khallaf.
Aujourd’hui, il préfère se contenter de son titre de professeur de sociologie espérant que la vision de la société à l’égard des sociologues changera. « Les choses sont en train de changer depuis la révolution du 25 janvier 2011, l’Egyptien ne pourra plus se taire face à l’injustice. La culture de la résistance et la liberté de penser ont envahi l’esprit égyptien. Nous sommes certains que la soumission et le despotisme n’ont plus raison d’être », souligne Al-Chazly. Pour lui, la femme qui a joué un rôle primordial durant la révolution sera un moteur de changement. « Dans notre société, la femme doit travailler sur elle-même. C’est elle qui pourra anéantir ce machisme qui existe dans la société. On doit commencer par éduquer la femme qui, elle, éduquera ses enfants sur l’égalité entre les deux sexes », dit-il.
Le slogan de la justice sociale, scandé durant la révolution, continue de préoccuper ce sociologue. « Les droits des pauvres gens doivent passer en priorité pour le nouveau gouvernement. Cette catégorie doit avoir cette chance de travailler et subvenir à ses besoins essentiels. Ceux qui travaillent dans le domaine du tourisme sont en chômage forcé à cause de l’insécurité qui règne dans le pays et les éleveurs n’ont plus d’argent pour nourrir leurs animaux », dit Khallaf, tout en appelant à se débarrasser de ce discours élitiste qui sème la zizanie.
Il est 11h40, c’est l’heure de la prière. Il arrête son discours et demande aux professeurs de le suivre dans son bureau pour prier. « Je n’oublie pas de prier pour que l’Egypte retrouve sécurité et stabilité », dit-il avec un sourire plein d’espoir.
Il se présente comme étant un amalgame de deux cultures qui peuvent paraître contradictoires. Lui, qui possède des idées ouvertes vis-à-vis de la femme, ne peut s’empêcher d’être un Oriental.
Khallaf est heureux d’avoir 3 filles, l’une pharmacienne, une autre ingénieur et la troisième poursuit ses études à la faculté de tourisme et d’hôtellerie. Il aurait bien voulu avoir un garçon pour qu’il soit un soutien pour ses soeurs, mais Dieu n’a pas exaucé son voeu. « Je suis un homme oriental et de surcroît du sud. Et ces idées conservatrices me traversent l’esprit de temps en temps », conclut-il.
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