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Ces partis au sort incertain

Amira Samir, Lundi, 09 décembre 2013

La nouvelle Constitution, qui doit encore être adoptée par référendum, bannit les partis politiques à référence religieuse. Une dizaine de partis sont ainsi concernés.

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Le destin d'une dizaine de partis religieux sera remis en cause par la Constitution. (Photo : Reuters)

Selon l’article 54 du projet de la nouvelle Constitution, « les citoyens ont le droit, sur simple notification, de créer des partis politiques qui ne doivent pas faire référence à la religion, être fondés sur celle-ci ou même exercer des activités religieuses. Un parti politique ne peut être créé sur la base de discriminations entre les citoyens sur la race, l’origine, la religion ou la situation géographique ».

Cet article interdit désormais « la formation de partis sur des bases religieuses, ce qui est très important pour fonder une société démocratique. Et c’est l’un des principes de la période transitoire », explique Nasser Amin, représentant du Conseil national des droits de l’homme au sein du comité des 50, chargé de rédiger la nouvelle Constitution. En effet, l’article 6 de la Constitution suspendue de 2012, stipulait qu’un « parti politique ne peut être créé sur la base de la discrimination entre les citoyens, sur la race, l’origine ou la religion », et la différence entre les deux textes est importante.

Si l’interdiction des partis formés sur des « bases religieuses » est prise au pied de la lettre, le destin d’une bonne partie d’acteurs politiques sera remis en question. L’Egypte compte aujourd’hui une dizaine de partis islamiques, tous créés après la révolution de janvier 2011. Parmi eux figurent le Parti Liberté et justice, le bras politique de la confrérie des Frères musulmans, Al-Wassat (islamiste du centre), Al-Nour et Al-Watan (salafistes), Al-Binaa wal Tanmiya (bras politique de la Gamaa islamiya) et d’autres comme Al-Rayyah de Hazem Salah Abou-Ismaïl, ou Al-Islah et Al-Assala.

Tout parti à référence religieuse sera donc théoriquement menacé de dissolution. « L’article opprime les partis à référence islamique parce que l’Egypte ne compte pas de partis à référence chrétienne. Il interdit également l’usage, par les partis, des slogans religieux ou islamiques et l’exercice de toute activité religieuse c’est-à-dire islamique, parce que cela est contre l’idéologie du régime actuel qui adopte la laïcité. Le régime veut barrer la route à l’islam politique », explique Kamal Habib, spécialiste des mouvements islamistes.

Difficile à mettre en place

Mais l’interdiction générale des partis à référence religieuse semble être difficile à mettre en place. L’article 54 contredit l’article 2 stipulant que la charia islamique est la principale source de législation. Il touche du même coup un allié du régime actuel, à savoir le parti salafiste Al-Nour arrivé deuxième lors des dernières législatives, derrière les Frères. Alors que cet article n’a pas suscité d’objections de son représentant au comité des 50, dans un communiqué, le président d’Al-Nour, Younès Makhyoun, affirme que l’interdiction des partis religieux est une mesure discriminatoire. Amr Moussa, chef du comité des 50, explique ainsi qu’un parti peut « avoir une identité religieuse mais doit respecter les lois, la Constitution et l’Etat civil égyptien ».

Mais selon Abdallah Al-Moghazi, la majorité des partis à référence religieuse actuels ne sont pas directement concernés par l’article 54. « La justice ne prend en considération que les documents présentés. Cela signifie que tous ces partis sont conformes à la loi, puisqu’aucun parti politique ne cite dans son programme qu’il est à base religieuse ou qu’il discrimine les citoyens. Et puis, la plupart de ces partis incluent des membres chrétiens », précise Moghazi. Il aurait espéré que l’article 54 serait plus détaillé, en précisant que tous « les activités et les propos » de l’un des membres de ces partis ne montrent aucune référence religieuse.

Pour leur part, ces partis affirment eux aussi qu’ils ne sont pas concernés par l’article. « Nous avons déjà un verdict du tribunal administratif disant que notre parti Al-Binaa wal Tanmiya n’est pas religieux », précise Alaa Aboul-Nasr, secrétaire général du parti, alors que Nasser Amin précise que l’article concerne tous les partis. « Même les partis qui disent posséder des verdicts de justice en leur faveur doivent régler leur statut et clarifier leur programme de toute phrase qui fait référence à la religion », estime-t-il.

Les partis dits religieux font alors face à des épreuves futures importantes. Pour continuer à exister, ils devront revoir leurs discours politiques, adopter de nouvelles règles et cesser l’usage de slogans religieux. Quant aux plus petits partis qui comptaient sur les prêches dans les mosquées, leur avenir reste obscur et selon des observateurs, ils pourraient facilement disparaître. « Interdire les partis à référence islamique ouvre les portes à l’apparition des mouvements secrets. C’est une force politique qui existe, de facto, dans la société et elle doit avoir une chance de s’exprimer », conclut Habib.

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