Après l’échec des discussions nucléaires entre Téhéran et les Six, tenues du 7 au 9 novembre à Genève, les regards sont braqués sur le nouveau round de négociations qui vient de s’ouvrir, toujours à Genève. Mais l’espoir d’aboutir à une solution à la crise iranienne reste fragile. La semaine dernière, l’accord espéré s’était évanoui après 3 jours d’intenses négociations, après notamment des objections de la France.
Cette déception de dernière minute a poussé Téhéran à être plus sceptique, voire plus pessimiste, sur fond d’une intense campagne israélienne contre tout allégement des sanctions à l’égard de Téhéran. « Les négociations du 20 novembre seront difficiles », a prévenu le vice-ministre des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, qui dirige l’équipe des négociateurs iraniens. Ces derniers sont à Genève avec les Six pour la troisième fois en 5 semaines. « Aucun accord ne sera atteint en cas de non-respect des droits de la nation iranienne sur l’enrichissement d’uranium », a prévenu le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, répétant que l’enrichissement d’uranium fait partie intégrante des droits de l’Iran. Selon les analystes, le scepticisme de Téhéran est justifié en raison de la vague de mobilisation déchaînée par Tel-Aviv qui ne perd pas une occasion de presser les grandes puissances de ne pas accepter un accord « dangereux » avec Téhéran. Dimanche 17 novembre, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a saisi l’occasion de la première visite du président français, François Hollande, à Tel-Aviv pour établir un front commun contre tout fléchissement face à Téhéran, qualifiant Paris d’« ami proche d’Israël ». En fait, le choix de l’allié français semble le plus judicieux pour « Bibi » car la France a pris le côté des Israéliens à Genève le 9 novembre et a été accusée par Téhéran d’avoir fait échouer les négociations par son intransigeance. Selon les experts, cet axe « Paris-Tel-Aviv » va rendre de plus en plus difficile l’aboutissement d’un accord lors des prochaines négociations.
Considéré comme une bouée de sauvetage pour l’Etat hébreu, François Hollande a été accueilli en héros par son homologue israélien, Shimon Pérès, et Netanyahu qui s’était félicité de la « position ferme » de Paris contre les tentatives de stopper l’Iran de se doter d’armes nucléaires. « Il ne faut jamais permettre à l’Iran d’acquérir des armes nucléaires. Cela ne mettrait pas en danger seulement Israël, mais aussi la France et le monde entier », a plaidé Netanyahu. « Je suis très inquiet sur le fait que cet accord ne raye d’un coup de crayon des sanctions qui ont nécessité des années pour être mises en place et qu’en échange de cela, l’Iran ne donne rien », a-t-il mis en garde.
Dans une tentative de réconforter Netanyahu, Hollande a affirmé que son pays ne céderait jamais sur la prolifération nucléaire. « Tant que nous n’aurons pas la certitude que l’Iran a renoncé à l’arme nucléaire, nous maintiendrons toutes nos exigences et les sanctions », a promis Hollande, qui a placé 4 exigences pour un accord. Première exigence : mettre l’intégralité des installations nucléaires iraniennes sous contrôle international et dès à présent. Deuxième point : suspendre l’enrichissement d’uranium à 20 %. Troisième exigence : réduire le stock existant. Et enfin, arrêter la construction de la centrale d’Arak. Des conditions qui ne pourraient pas être facilement acceptées par Téhéran, surtout par les faucons du régime
Tensions israélo-américaines
Ce soutien français accordé à Tel-Aviv intervient au moment où Israël se sent lâché ou plutôt « trahi » par Washington. Déjà, les relations entre Israël et les Etats-Unis traversent une crise à cause du nucléaire iranien, sur lequel ces deux alliés stratégiques étalent leurs divergences sur la place publique.
Alors que Netanyahu prône un durcissement des sanctions, Obama est favorable à des négociations accompagnées d’un allégement des sanctions. L’Administration américaine n’a épargné aucun effort pour paver le chemin aux négociations du 20 novembre. Obama a appelé le Congrès à laisser l’Iran démontrer le sérieux de son engagement dans les négociations, sans imposer de sanctions supplémentaires.« Il n’y a pas de raison d’ajouter de nouvelles sanctions à celles existantes, qui sont déjà très efficaces et ont conduit les Iraniens à négocier », a souligné Obama. Le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, a affirmé que de nouvelles sanctions pousseraient au contraire la République islamique à aller de l’avant dans son programme nucléaire. Pêchant en eaux troubles, Israël a joué de son influence cette semaine au Congrès américain pour faire pression sur l’administration Obama, en dépêchant le ministre de l’Economie, Naftali Bennett, chef du Foyer juif, aux Etats-Unis pour faire du lobbying auprès du Congrès hostile à tout allégement des sanctions contre Téhéran. Reconnaissant le poids de Tel-Aviv dans l’équation politique, le chef de la diplomatie américaine a décidé de se rendre vendredi prochain à Tel-Aviv pour faire le point avec Netanyahu sur les résultats du nouveau round de négociations de Genève.
Une proposition « dure »
Face à toutes ces pressions, que faut-il attendre des discussions de Genève ? Selon des sources diplomatiques, les Six sont désormais unis autour d’une proposition « dure ». Ce document prévoit la neutralisation d’activités iraniennes suspectes en échange d’une levée réversible de sanctions. Bien que les deux parties maintiennent la confidentialité de cette proposition, des sources diplomatiques affirment qu’elle porte sur un accord intérimaire qui prévoirait une suspension totale ou partielle de l’enrichissement d’uranium par l’Iran sur une période de 6 mois en échange d’une levée ciblée et réversible des sanctions internationales.
Parmi les points-clés de cet accord figurent l’avenir du réacteur à eau lourde en cours de construction à Arak qui peut permettre à terme d’acquérir une bombe nucléaire et l’avenir du stock d’uranium enrichi par l’Iran à 20 %. Si dure qu’elle soit, toute solution diplomatique sera rejetée par Netanyahu, partisan d’un seul scénario : l’option militaire. En cas d’échec répété des négociations de Genève, le président iranien modéré, Hassan Rohani, dont l’entrée en fonctions en août a redonné de l’élan aux discussions, risquerait de perdre le soutien du guide suprême, Ali Khamenei, et les faucons du régime iranien pourraient plaider, une fois de plus, pour un retour aux vieilles politiques de réticence et d’impassibilité face à l’Occident. Même réaction à Washington où les durs du Congrès ne feraient que durcir les sanctions contre Téhéran face à l’absence d’une solution diplomatique. Une impasse qui rapprocherait, une fois de plus, le spectre de la guerre.
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