Mercredi, 24 avril 2024
Dossier > Dossier >

Constitution : les manoeuvres vont bon train

Samar Al-Gamal, Dimanche, 03 novembre 2013

La commission chargée de réviser la Constitution de 2012 a commencé à approuver à huis clos des textes. Le débat sur la place de la religion sous les Frères musulmans est remplacé par celui sur le statut des militaires.

constitution
(Photo : AP)

Dans un enregistrement sonore extrait d’un entretien avec le chef de l’armée, Abdel-Fattah Al-Sissi suggère au journaliste d’oeuvrer à son « immunité » dans la Constitution. Même si on a accusé sa déformation, la constituante qui révise le texte voté sous le président destitué Mohamad Morsi se dirige vers une immunité du poste du ministre de la Défense. Il s’agit d’empêcher le chef de l’Etat de nommer seul celui qui occupera ce poste et d’obtenir au préalable l’aval du Conseil suprême des forces armées, selon un texte encore en examen par les 50 membres de la constituante.

Amr Salah compte parmi ces 50. Ancien membre de la coalition du 25 janvier composée de jeunes qui étaient à l’origine de la révolution de 2011, et plus tard parmi ceux qui scandaient « A bas le pouvoir militaire ! », Salah estime que cette nouvelle Constitution est « magnifique ». « Ce qui a été réalisé en matière des droits et libertés est majeur » (lire page 5). Son collègue remplaçant, Moatamer Amin, au premier rang de la révolution et cadre au sein du mouvement populaire de Hamdine Sabbahi, ancien candidat à la présidentielle, ne fait pas fausse note. Il défend cette immunité du ministre de la Défense et n’y voit aucune contradiction avec ses slogans d’un passé si proche. « C’est simple », dit-il. « Nous voulons libérer certains postes de la tutelle du chef de l’Etat. Ces postes que Morsi a tenté de dominer ». Il en énumère trois : le procureur général, le président de la Cour constitutionnelle et le ministre de la Défense. Pour ce dernier, l’immunité serait « temporaire », « pour un ou deux mandats présidentiels », explique-t-il.

Libérée du contrôle des islamistes, fragilisée et marginalisée par la chute forcée de Morsi, la Constitution se retrouve sous l’emprise du nouvel homme fort du pays. Perçu comme « le sauveur » de l’Egypte, Al-Sissi a la cote et nombreux sont prêts à accepter aveuglément ses propos.

Alors que la Constitution des Frères avait concrétisé le débat sur l’identité « religieuse » de l’Egypte, l’actuel texte est aussi identitaire mais à caractère « sécuritaire-militaire ». Outre la protection du ministre de la Défense, le budget des forces armées restera ainsi secret et ne figurera qu’en chiffres arrondis dans le budget de l’Etat. La phrase qui énonçait dans l’introduction de la Constitution de mettre l’armée hors de la mêlée politique a été supprimée.

Le débat sur les jugements militaires de civils n’est non plus pas encore tranché. La majorité des membres de la constituante optent pour leur interdiction mais le représentant de l’armée y fait obstacle (lire page 5). « Les textes mettent fin à toutes les possibilités d’un futur équilibre des relations civiles et militaires. Ils font de l’armée un Etat dans l’Etat, et engendrent une tyrannie des institutions sur les élus », écrit le professeur de sciences politiques Amr Hamzawi.

Texte approuvé en catimini

consti.
(Photo : Mohamed Mostafa)

D’un texte bâclé et approuvé à la hâte par ses rédacteurs en décembre de l’an dernier, on passe à un texte discuté et approuvé en catimini. Les membres de la constituante ont finalement décidé de discuter et voter les textes à huis clos. Même les suppléants n’ont pas droit d’assister aux votes. De quoi alimenter les soupçons. Selon des membres de la commission, le représentant de l’armée a proposé de prolonger de nouveau le mandat du chef de l’Etat. Réduit de 7 ans sous Moubarak à 4 ans dans la Constitution de Morsi, aujourd’hui la discussion tourne autour d’un quinquennat.

Est-ce pour protéger une ambition politique de l’actuel chef de l’armée ? Al-Sissi en tout cas entretient une ambiguïté sur le sujet, alors que les partisans du changement du texte croient que « quatre ans sont insuffisants pour régner. Il vaut mieux avoir le même mandat que le Parlement ».

Le régime qui régira l’Egypte reste encore à définir. La commission des experts juridiques qui a précédé le travail des 50 penche vers un régime mixte mais plutôt semi-parlementaire, réduisant davantage les prérogatives du chef de l’Etat. L’actuelle commission opte pour un régime semi-présidentiel. Le chef de l’Etat récupère ainsi selon les textes, non encore approuvés, certains pouvoirs surtout dans la nomination du premier ministre et la dissolution du Parlement. Il sera maître des sujets de défense, de sécurité nationale et d’affaires étrangères.

« Nous avons marqué une percée sur le dossier des libertés, mais nous avons fait face à une solide réticence des institutions pour la restructuration de l’Etat », explique Amin. Il cite ici le corps juridique à titre d’exemple, qui comme l’armée « ne veut pas qu’on touche à ses pouvoirs ou acquis ». « Et tant que cette restructuration traîne, je ne peux pas parler de nouvelle Constitution de l’Egypte », ajoute-t-il. Ce que Amr Salah explique par « la rigidité des conservateurs ». Il explique que, lors des discussions, certaines idées ont juste été rejetées car les membres n’en avaient jamais entendu parler ou parce que la notion était nouvelle.

« C’était une farce lorsque Hoda Al-Sadda (commissaire de la commission des libertés) a voulu inclure la souveraineté alimentaire dans le chapitre des droits », raconte Salah.

Un courant conservateur plutôt que pro-militaire défend les révolutionnaires d’hier. Leurs collègues défendent, eux, la « dégradation » dans la gestion des relations civilo-militaires, « à cause de la situation alarmante dans le pays, et où l’armée est sa colonne vertébrale », comme le dit Al-Sayed Al-Badawi, président du parti libéral néo-Wafd, laissant ainsi entendre un amendement dans un avenir indéfini.

Mais Hamzawi rappelle dans son article que « l’expérience montre que l’adoption d’un statut particulier des armées dans les Constitutions n’expire pas progressivement et n’est modifiée que dans un contexte de changements forts et rapides ».

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique