Les tendances sur les réseaux sociaux, le taux de visionnement sur la plateforme productrice Shahid, les scènes transformées en mèmes, faisant tâche d’huile sur la toile … sont tant d’indices montrant le succès de la série TV Saffah Al-Guiza (l’éventreur de Guiza), ou du moins son impact sur un nombre important de spectateurs.
L’histoire hors du commun du feuilleton est bouleversante. Elle permet de suivre le parcours criminel de Qadhafi Farrag et permet de voir la crainte caractérisant le rapport personnages-police, qui entrave l’investigation.
En effet, le succès du feuilleton relève de deux éléments principaux : le scénario, issu d’un atelier d’écriture réunissant Emad Matar et Inji Abou El Séoud sous la houlette de Mohamed Salah El-Azab. Et, la personnalité déroutante de l’éventreur. C’est un jeune homme doux, calme et attaché à la religion à tel point que la sonnerie de son portable est un doaa (une prière). Il est également très serviable et, du coup, aimé de son entourage.
Toutefois, il n’hésite pas à se débarrasser de toute personne entravant son parcours. Cela étant, il a tué son meilleur ami, car il préférait travailler en partenariat avec quelqu’un d’autre. Ayant volé ses papiers et son argent, il se faisait passer pour lui et a pris sa place à l’usine où il comptait travailler. En même temps, il entretenait des rapports avec plusieurs femmes, et à chaque fois, il se faisait passer pour quelqu’un d’autre. Parmi ces personnages féminins qu’il a côtoyés, une jeune demoiselle qui, emprisonnée et enchaînée, dès le premier épisode, a exprimé étrangement son admiration pour lui et sa satisfaction d’être à ses côtés.
L’on découvre au fur et à mesure qu’il s’agit de la soeur de l’une de ses femmes. Epris d’elle, il cherchait à tout prix à la contrôler. Son amour pour elle se laisse deviner peu à peu à cause de son attitude. A chaque fois qu’il commettait un meurtre, il lui avouait son crime sordide, tout en se justifiant devant elle, en partageant un repas.
Manger est donc une partie psychologique liée à l’éventreur depuis son enfance. A travers des flash-back, on commence petit à petit à comprendre les causes de sa violence outrée. Dans l’une des scènes, sa mère égorge son père, tandis que le repas était servi à table. Dans une autre, il a été battu à mort par sa mère, après avoir volé des sandwichs qu’elle comptait vendre au coin de la rue où ils habitaient. Ainsi, après chaque scène de meurtre, il se rend à la cuisine pour préparer un repas délicieux ; ensuite, il va voir sa bien-aimée qu’il a ligotée.

La mère narcissique est brillamment incarnée par Hanane Youssef.
Les scènes culinaires ne sont pas sans faire penser à Hannibal Lecter, starifié par le film Le Silence des Agneaux. Toutefois, il n’est pas question de rivaliser avec le tueur en série cannibale Hannibal Lecter, qui ne cesse de nous fasciner, trente ans après sa création.
Une offense à la religion ?
Tiraillé entre deux sentiments humains parmi les plus dangereux, à savoir la faim et la peur, Qadhafi est victime d’une mère violente et narcissique qui continue à le manipuler.
Il devient par excellence un meurtrier sanguinaire qui se joue des policiers et prend la religion comme un masque. Un rapport qui a soulevé des polémiques et a suscité la colère de certaines personnes qui trouvent dans cette dimension un dédain à la religion. « Au lieu de prévenir les gens de la présence de pervers dans leur entourage, on cherche plutôt à les prévenir contre la religion ?! », souligne une jeune femme sur Facebook. Cet avis est partagé par des milliers de personnes sur la toile.
D’autres se sont totalement opposés à cette approche, mettant en avant le fait que la pratique religieuse a un double aspect : physique et spirituel, et que le fait de pratiquer l’un n’implique pas forcément le fait d’assumer l’autre ; du coup, le fait que l’éventreur soit pratiquant ne fait pas de lui un saint !
Des rapports difficiles
Bien que le comédien Ahmad Fahmi ait essayé d’apporter son empreinte personnelle, en vue de livrer une interprétation crédible, il n’est pas parvenu à déployer son énergie dans certaines scènes. Parfois, il paraît plutôt froid que calme, ce qui souligne que les démarches adoptées par l’acteur sont essentiellement basées sur des éléments visuels, auditifs et émotionnels.
Toutefois, le traitement du sujet émane d’une étude psychologique fouillée qui a donné de l’épaisseur au personnage de l’éventreur. Le spectateur découvre que celui-ci développe, à l’instar de toutes personnes atteintes de ce genre de trouble psychologique, des fantasmes d’amour avec la soeur de sa femme. Et, qu’à l’encontre de l’image de l’admiratrice véhiculée tout au long des épisodes, qui n’était à vrai dire que l’image qu’il s’est faite pour nourrir son ego, cette femme souffre et refuse de partager même un repas avec lui.
Hanane Youssef a joué le rôle de la mère narcissique avec une brio digne d’une grande comédienne. Elle a su mettre en pratique son savoir-faire acquis au fil des années. Vieille et atteinte d’une maladie podale, elle incarne la femme manipulatrice qui ne cesse de surestimer ses capacités et de rabaisser son entourage, y compris son fils. Une mise en valeur, de par le scénario, de l’impact du foyer sur l’avenir des enfants. Ceci a été également souligné par le biais du rapport qu’entretient Zeina, la soeur de sa femme, remarquablement incarnée par Rakine Saad, avec sa famille, notamment son père, dont les exigences outrageantes ont mis fin à toute communication possible entre eux.
D’ailleurs, le rapport père-fils est souligné à travers le policier joué par Bassem Samra qui a perdu sa femme dans un accident et qui se trouve dans l’obligation d’élever son fils adolescent tout seul. Se plaignant du caractère policier qui enveloppe leur rapport, le fils se sent esseulé, incapable de partager ses craintes et ses souhaits avec son père. La faim n’est-elle pas aussi émotionnelle ?
La série offre un message social redoutable : les monstres les mieux cachés sont les plus dangereux, et tous les problèmes commencent au foyer.
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