« Partager ensemble le pain et le sel » signifie sceller un pacte ou se jurer amitié. Cette expression montre que le caractère sacré du sel dans la culture populaire est resté bien ancré dans la conscience collective des Egyptiens. Le partage d’un repas dans les sociétés méditerranéennes est l’un des moteurs de la vie sociale. Partager du pain et du sel, « milh », c’est créer une alliance aussi indéfectible que celle du sang, d’où l’expression « on a partagé ensemble du pain et du sel ».
Le sel se trouve en abondance dans la nature et fait partie intégrante de l’alimentation quotidienne. Ce condiment qui se présente sous différentes formes est utilisé pour rehausser les saveurs de nos plats et aiguiser nos papilles. Mais le sel a également une valeur symbolique dans plusieurs cultures. La connotation du terme « milh » montre l’étendue de son champ sémantique. Dans les villages égyptiens, on dit « maliha », (provenant de « milh »), pour décrire la beauté d’une jeune femme. On peut aussi qualifier une personne d’être « le sel des rassemblements » pour dire qu’elle ajoute du charme à l’ambiance et que sa parole est agréable à écouter tout comme le sel qui donne de la saveur à la nourriture. Et pour celui qui n’a honte de rien et ne fait preuve d’aucune empathie, les Egyptiens disent : « Mets une pierre de sel dans ton oeil ». Parfois le mot sel est utilisé pour exprimer sa colère envers quelqu’un, « Ichrab Min Al-Malih », signifiant : si quelque chose ne te plaît pas, va boire l’eau de mer.
Synonyme de la vie, le sel est aussi l’ingrédient-clé des alchimistes. Cette relation entre ce condiment et l’homme égyptien remonte à bien longtemps. En fait, l’Egypte est historiquement parmi les premiers peuples à avoir découvert, extrait, raffiné et exporté du sel, étant l’une des matières premières incontournables que les Anciens Egyptiens connaissaient et utilisaient dans de nombreux domaines. Le sel reste indispensable à la fois pour ses utilisations en cuisine (environ 5 % de son usage) et on s’en sert également comme matière première dans plusieurs industries et durant le processus de momification.
Le sel égyptien, le meilleur du monde
Aujourd’hui, l’Egypte se caractérise par l’abondance de ses ressources marines. Et bien que l’Egypte possède un grand stock de sel au monde dans la région du désert occidental, en particulier dans la région de Siwa et la dépression de Qattara, dont le sel est l’un des plus raffinés au monde, cette richesse n’a pas encore été entièrement exploitée. Dans de nombreux pays, le sel est considéré comme une source de richesse qui a une valeur économique en raison de son utilisation dans différents domaines de la vie. Dans une interview publiée par le quotidien Al-Ahram le 31 janvier 2022, Ayman Khamis — responsable du secteur commercial et des laboratoires de la société Al-Max — a déclaré que la production totale du sel en Egypte est estimée entre 2,5 et 3,5 millions de tonnes, et environ 1,5 million de tonnes sont utilisées localement à des fins alimentaires et dans l’industrie. Le reste est exporté vers les pays d’Europe et d’Amérique, et la majeure partie est utilisée en hiver pour fondre la neige et le verglas sur les routes.
En Egypte, on trouve du sel à plusieurs endroits, et il en existe différents types dont le sel de chlorure de sodium (sel de table) et le sel de sulfate de sodium en plus du sel gemme. Parmi les gouvernorats les plus connus pour leurs marais salants, on peut citer Alexandrie, Damiette, Port-Saïd, Béheira, Nord-Sinaï, le gouvernorat de la mer Rouge, Fayoum et Matrouh. Le sel de table, sel alimentaire ou encore sel de cuisine, est récolté de diverses manières dans les marais salants et dans les gisements de sel formés après évaporation d’anciens lacs, alors que le sel marin peut également être récolté de la mer via la saumure.

Skier sur le sel plutôt que sur la neige !
La saveur du quotidien …
Ce condiment de couleur blanche qui rehausse la saveur des mets est très apprécié par les Egyptiens. En effet, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a fixé un objectif de 5 grammes de sel par jour (2 000 mg de sodium) pour l’adulte. Cependant, une simple tournée suffit pour montrer l’importance du sel dans la vie des Egyptiens. « Je ne peux pas manger sans avoir à côté de moi une salière à deux compartiments contenant du sel et du poivre, de la sauce chili et un petit récipient rempli de cumin », déclare Ahmad, ingénieur de 82 ans. Il confie avoir commencé à souffrir de certaines maladies cardiaques tout en ajoutant : « Cette palette de couleur qui garnit la table donne du charme à ma vie. Sans la couleur blanche du sel, le rouge du chili, le brun clair du cumin et le gris du poivre, rien n’a de goût. J’ai essayé de suivre les recommandations du médecin en éliminant le sel de mes repas, mais ce fut un échec total. Résultat : j’ai décidé de vivre le reste de ma vie comme je l’entends et ne pas être contraint de suivre un régime alimentaire sans sel, ni sucre », avance-t-il. Ahmad n’est pas le seul, puisque les chiffres du ministère de l’Approvisionnement en 2020 indiquent que la consommation moyenne du sel par individu varie entre 6 et 12 grammes par jour, soit le double de ce qui est autorisé par l’OMS.
Et bien d’autres vertus !
Et si les pharaons ont utilisé le sel dans le processus de momification, de nombreuses traditions lui sont attachées. « Au soboue (ndlr : sorte de baptême célébré le 7e jour après la naissance d’un enfant), on a coutume de disperser du sel dans les coins pour conjurer le mauvais oeil et chasser les mauvais esprits. Une tradition qui existe encore de nos jours lors des mariages dans certains villages », comme l’explique Dr Mostapha Gad, expert en folklore. Et ce n’est pas tout. Certains pensent que le fait de nettoyer le sol avec du sel est une façon de se prémunir contre les sortilèges et de chasser les ondes négatives de la maison.
Raison pour laquelle une célèbre chanson est entonnée lors des cortèges de mariage : « Malha Fi Einak Yalli Ma Taslai Ala Al-Nabi » qui veut dire que celui qui ne salue pas le prophète, un grain de sel l’obligerait à fermer les yeux afin de protéger le couple marié du mauvais oeil !
Un pouvoir sacré du sel transmis par nos ancêtres et qui domine encore de nos jours lors des célébrations de fête. Les Anciens Egyptiens considéraient la fête de Cham Al-Nessim comme étant le « Jour de la Création » ou « Résurrection de la Vie ». Et pour célébrer le début de la création et de la vie, le sel faisait et continue jusqu’à présent à faire partie intégrante de cette célébration.
C’est avec le sel que se fabrique le fessikh, le plat du jour incontournable lors de cette fête du printemps en Egypte. Le fessikh (poisson salé) est l’expression de l’attachement des Egyptiens au Nil, d’où proviennent les animaux aquatiques. Le fessikh, que l’on conserve durant des mois dans de grands barils remplis de sel, évoque aussi la momification dans l’Egypte Ancienne : une tradition pharaonique qui était considérée comme un passeport pour l’éternité.
Reste à dire que cette poudre blanche qui fait partie du quotidien couvre aujourd’hui de nombreux espaces et sert de divertissement pour les Egyptiens. A Port-Saïd, l’un des célèbres gouvernorats de production de sel sur les bords du Canal de Suez, les habitants de la ville ont commencé à faire du ski sur les collines de sel, simulant ainsi le ski sur la glace. « Il ne neige pas en Egypte, mais on a la chance de faire semblant d’être en montagne. Nous jouissons de cette expérience unique en son genre en Egypte et, en plus, il fait beau. Les collines de sel sont devenues un site pittoresque qui a commencé à attirer non seulement les Egyptiens, mais aussi les étrangers. D’ailleurs, le fait de s’asseoir sur ces collines de sel chasse l’énergie négative du corps et s’apparente à des séances de kinésithérapie, car ces gros grains de sel peuvent soigner certaines maladies. C’est en fait le ski à l’égyptienne ! », conclut Noha, l’une des fans de ce site.
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