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Miranda Beshara : La formule magique de Miranda

May Sélim, Dimanche, 04 juin 2023

Auteure, médiatrice, traductrice et professeure d’arabe, la Franco-égyptienne Miranda Beshara a plusieurs casquettes qui lui permettent de s’adresser aux jeunes de tous bords, et de mieux les rapprocher de la langue arabe.

Miranda Beshara

Miranda Beshara était parmi les invités du Salon du livre francophone tenu récemment à l’Institut Français d’Egypte (IFE), antenne Mounira. Elle y était présente avec l’équipe de Lilote je lis, je joue, une application Web française éducative qui encourage les enfants à lire en s’amusant, avec des quiz de lecture en ligne.

Les quiz en arabe qui figurent sur l’application sont préparés par elle. Sur un ton gai et enthousiaste, elle ne se lassait pas d’expliquer et de réexpliquer de quoi il s’agit. Du coup, elle faisait le point devant des jeunes, des adultes, des éditeurs, des professeurs et des élèves. Et s’est également occupée de la modération d’une table ronde sur la littérature jeunesse.

Auteure, médiatrice traductrice et enseignante d’arabe, offrant des cours en ligne, Miranda Beshara se donne corps et âme à la promotion de la littérature s’adressant aux jeunes en arabe. «  J’ai rejoint l’équipe de Lilote, je joue l’an dernier. L’idée est d’offrir aux jeunes des divertissements et des quiz autour des livres qu’ils ont lus. J’ai donc aidé l’équipe à mettre en place le questionnaire en arabe portant sur des livres bilingues. Avec le soutien de l’IFE, l’application est censée s’adresser aux écoles francophones d’Egypte. Cela fait partie du programme de Lilote à l’étranger », explique Miranda dont la voix transmet une grande énergie. C’est une femme qui aime ce qu’elle fait et va jusqu’au bout de sa passion. « J’ai plusieurs casquettes », lance-t-elle avec humour.

Bien qu’elle soit installée en France depuis 2012, Miranda Beshara poursuit son travail en langue arabe. « Celle-ci fait partie intégrante de ma culture, de mon identité. Je vis à l’étranger, mais je suis très soucieuse d’apprendre à mes enfants ma langue maternelle. Ils doivent pouvoir communiquer avec la famille et les amis en Egypte ». Elle a donc choisi de continuer d’écrire en arabe et de traduire de l’arabe ou vers l’arabe, tout en enseignant la langue aux non-arabophones. Elle est aussi co-fondatrice de Hadi Badi, une plateforme de ressources dédiée à la littérature jeunesse en langue arabe, laquelle cible les parents, les enseignants, les bibliothécaires, les libraires et toute personne en contact avec les enfants. « Hadi Badi Kromb Zabadi est une comptine égyptienne que les enfants chantent pour choisir quelque chose ou quelqu’un. L’idée était de partager avec les parents des suggestions pour des lectures en arabe convenables à leurs enfants. Le groupe a eu beaucoup de succès, et c’est grâce à lui que j’ai fait la connaissance de Hend Badawi et Ranim Hassan, deux psychiatres pour enfants qui se servent de la lecture de la littérature jeunesse dans leurs séances thérapeutiques. Un jour, Hend, qui résidait alors à Londres, s’est plainte des ouvrages imposés aux enfants à l’école. Moi aussi j’affrontais le même problème en France et je ne savais plus que faire, alors nous avons décidé de lancer la plateforme. J’ai constaté que plusieurs parents ne connaissaient plus les récentes éditions de la littérature jeunesse dans leur pays d’origine », avance-t-elle. Aujourd’hui, l’équipe de Hadi Badi est souvent sollicitée par des éditeurs de la littérature jeunesse, afin de proposer d’autres activités relatives à la lecture.

Son intérêt pour la littérature jeunesse est une passion qui l’anime depuis toujours. D’ailleurs, elle-même est issue d’une famille d’intellectuels, à la croisée de plusieurs cultures. Son père est le réalisateur de renom Khaïry Beshara, et sa mère, Monika Kowalczyk, est polonaise. C’est elle qui l’a initiée à la lecture et au cinéma depuis son âge tendre. « Un jour, mon père m’a offert les chefs-d’oeuvre de la littérature universelle en poche, traduits vers l’arabe. J’ai passé les vacances d’été à les lire, et c’est durant le cycle préparatoire que j’ai réalisé que j’aimais vraiment la lecture. En outre, je suis une grande fan des séries de suspense Ragol Al-Mostahil (monsieur impossible), de Nabil Farouq, Al-Moghamroune Al-Khamsa (les cinq aventuriers), Al-Chayatin Al 13 (les 13 diables), ainsi que des comics ».

Après avoir obtenu son baccalauréat, Miranda a voulu étudier la réalisation des films d’animation à l’Institut supérieur du cinéma ou à la faculté des beaux-arts. « Mon père a refusé. Il m’a dit que l’Institut du cinéma était sur le point de s’effondrer et que la carrière de la BD n’est pas assez prometteuse, et m’a conseillé de m’inscrire à l’Université américaine du Caire. Après une première année introductive, je devais par la suite choisir un champ de spécialisation et j’ai opté pour l’économie et le développement. Et ce, après avoir suivi un cours avec le professeur Galal Amin ».

A l’université, Miranda Beshara est tombée amoureuse d’un Egyptien d’origine syrienne qui faisait des études en informatique, Karim Mardini. Et plus tard, le jeune couple est parti poursuivre des études supérieures aux Etats-Unis, mais ils se sont retrouvés chacun dans un Etat différent. Mariée, elle a travaillé pour des organisations internationales et des associations dédiées à la défense des droits des femmes et des enfants. Et a montré un vif intérêt pour le développement économique et social inclusif dans le monde arabe.

« Je ne cessais de bouger, mais j’ai tenu à avoir mes enfants en Egypte. Ma fille était au Lycée français, et pour la rapprocher de la langue arabe, j’ai animé un atelier de lecture au sein de son école », indique-t-elle. Et d’ajouter: « Plusieurs personnes me demandaient comment mes enfants avaient une bonne connaissance de l’arabe, alors je répondais que je parlais tout le temps avec eux en arabe. Nous lisions ensemble en arabe, nous chantions, je leur proposais des jeux ludiques, etc. ».

En France, effectuant des traductions techniques, Miranda Beshara a été responsable, pendant 8 ans, de la version arabe d’une plateforme de la Banque mondiale sur le partage des connaissances. « Ma fille a commencé à me poser des questions sur ses origines et son identité culturelle. A mon tour, j’ai questionné ma mère polonaise, ma grand-mère égyptienne et ma belle-mère syrienne. Et j’ai enregistré leurs propos. Pendant un voyage de 3 heures en train, j’ai transcrit leurs réponses. C’était un bon moyen de documentation; elles avaient plus ou moins répondu aux questions de ma fille. Une amie m’a ensuite introduite à l’éditrice Balsam Saad qui s’occupe de la littérature pour jeunesse. Cette dernière me proposait de développer certaines idées et me conseillait de trouver un fil conducteur entre les histoires des grands-mères, etc. ». D’où son premier livre Téta et Babcia: voyage à travers les recettes des grands-mères, éditions Dar Al-Balsam, illustré par Héba Khalifa.

« Malgré les contraintes imposées par le Covid-19, j’ai eu l’occasion de bouleverser ma carrière, pour me consacrer entièrement à la littérature ». Une belle aventure guidée par sa passion. Beshara suit alors plusieurs formations dont une portant sur la médiation en littérature de jeunesse à l’Ecole du Livre à Montreuil, ainsi qu’une autre sur l’enseignement de l’arabe en tant que langue étrangère. « Mon mari me taquinait en me posant la question: mais qu’est-ce que tu fais? Alors je répondais en faisant de petits dessins. J’écris ainsi pour le jeune public en arabe et je dirige avec mes collègues la plateforme Hadi Badi. Je traduis également et j’enseigne en visioconférence l’arabe aux enfants entre 4 et 12 ans, en collaborant avec l’école Kalamna, fondée à Cambridge ».

Miranda vient de publier son deuxième ouvrage, Jamila, paru aux éditions Palestine Writing Workshop, illustré par Khaled Jarada. Elle y évoque l’histoire d’une jeune fille passant de l’enfance à l’adolescence et les contraintes qu’elle affronte dans son entourage. « La publication en Palestine est difficile. Palestine Workshop a obtenu une bourse AFAC, aidant à la publication de nouvelles oeuvres dans la catégorie Littérature jeunesse. Mon texte a été sélectionné sur concours, et j’ai travaillé par la suite avec l’éditrice Maya Aboul Hayat et Khaled Jarada. Un projet que j’ai beaucoup aimé », raconte Miranda, qui a préservé l’enthousiasme et la fraîcheur des enfants. « Ces jours-ci, je travaille sur une série consacrée aux histoires des garçons avant l’adolescence. La série est inspirée des péripéties de mon fils ».

De retour en France, elle reprend l’enseignement de langue arabe avec grand plaisir. « Les enfants non arabophones sont souvent issus de familles d’expatriés. Je commence par le dialectal, puis j’introduis la fosha (arabe classique) », précise Beshara, avec une voix qui trahit toujours sa vive joie de faire ce qu’elle aime.

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