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Dina Kabil , Lundi, 15 mai 2023

La réussite des booktubers certifie que le public s’intéresse encore à la lecture. Qui sont-ils ? Comment choisissent-ils les oeuvres ? Peut-on se fier à leur jugement ? Al-Ahram Hebdo a sélectionné trois d’entre eux pour répondre à ces questions.

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Doudet Kotob : Nada Elshabrawy

Première booktuber en langue arabe, sur sa chaîne Doudet Kotob, Nada Elshabrawy a à son compte 150 000 abonnés et ses vidéos ont dépassé les 2 millions de vues. Ce n’est pas un chiffre extraordinaire dans le monde du YouTube, mais parlant d’une chaîne consacrée aux livres, en particulier, et en langue arabe où le lectorat est plus ou moins limité, ce chiffre n’est pas insignifiant. Depuis 7 ans déjà, lorsqu’elle a lancé sa chaîne à l’âge de 21 ans, d’autres vidéastes l’ont sans doute dépassée, mais elle a l’atout d’être consistante, de se développer et de jouer le rôle d’influenceur et d’idole de nombre de jeunes. Elle reste fidèle à la littérature, majoritairement le roman universel traduit en arabe et une marge de livres sous le label non-fiction : « Je ne présente sur la chaîne que le livre que j’ai lu et qui m’a plu ». Puisque les booktubers dans le monde arabe ne sont pas rémunérés comme c’est le cas en Occident, Nada profite de ce statut pour vivre pleinement sa liberté, c’est-à-dire faire sa propre sélection de livres d’une manière autonome, loin des livres best-sellers et de « la publicité qui nous submerge et nous hante sans vraiment refléter le bon choix. J’ai voulu présenter une chose différente de ce qu’on a coutume de voir », affirmet- elle. Elle se place contre les stéréotypes qui ramènent des engagements faciles par milliers sur les chaînes, à l’exemple des « 10 romans impératifs à lire avant de mourir », elle répond par une vidéo satirique : « les 10 romans qu’il ne faut absolument pas lire avant de mourir ».

Tout a commencé par la passion et la volonté de partager avec autrui la joie de la lecture. Etudiante en droit international, résidant dans sa ville natale Al-Mahalla, Nada était hébétée par la hausse des prix des livres suite au flottement de la livre égyptienne en 2016. « Il n’existe pas de guide de lecture, alors, j’ai commencé à faire mes propres recommandations dans le cercle d’amis : quoi lire et pourquoi ? ». Encouragée par son amie blogueuse et écrivaine Ghada Abdel-Aal, elle a filmé quelques vidéos par des moyens et outils très simples, sans même micro externe. Très vite, grâce à sa compétence à simplifier les idées, à sa manière de s’adresser à tout le monde, elle s’approche aujourd’hui des 300 vidéos. L’une de ses premières vidéos s’est centrée sur le roman de Fouad el Tekerly Al-Massarrate Wal Awgae (les plaisirs et les maux), à la suite de laquelle elle apprend par la librairie Tanmeya au Caire que le livre est épuisé. En réponse à l’étonnement de l’éditeur, on lui répond : « C’est parce que Nada l’a présenté dans Doudet Kotob ». Elle croise souvent des parents dans les Salons du livre arabe, louant son influence sur leurs enfants qui ont commencé à lire et à acheter des livres grâce à elle. Le succès dépasse les jeunes qui explorent le monde du livre pour atteindre de nombreux quinquagénaires : « Des dames s’adressent souvent à moi en me confiant qu’elles avaient renoncé à la lecture et que ma revue de certains romans leur a rouvert l’appétit ».

Pourtant, la vie n’est pas toujours rose. Parce que l’un des inconvénients d’être créatrice de contenu est la foulée de critiques et d’insultes qui pourrait l’approcher. Comme avec sa revue de Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez qui, malgré le nombre énorme de vues, était source de harcèlement pour la vidéaste. « J’ai été insultée pour avoir exposé ledit roman qui relate, selon ses détracteurs, des relations illégales et qui incitent à la débauche ».

Le secret de Nada Elshabrawy doit être cherché dans son avidité de connaissance qui se reflète indubitablement sur sa chaîne et sa présentation des livres. Après diverses expériences dans le domaine de l’édition, la cession de droits et la publication de 2 recueils de poèmes, elle est actuellement en bourse d’études aux Etats-Unis pour étudier, en langue française, la théorie de la culture. Résultat : elle présente des vidéos où elle simplifie les courants de pensée philosophiques, ou présente des figures iconiques comme Foucault ou Derrida, des hommes de lettres comme Alphonse Daudet et Stendhal, etc. Elle adopte la vision humaniste d’une culture accessible à tout le monde. « Et pourquoi l’image de l’intellectuel ne change pas en une personne marrante qui fait faire des blagues par exemple ! », conclut-elle.

Zedd Reviews : Farida

La chaîne Zedd Reviews fait le portrait d’un booktuber sarcastique. A première vue, on dirait une vidéo simpliste basée sur des dessins animés élémentaires, la voix de la présentatrice ne cesse de faire des blagues et de recourir aux éléments de chansons populaires et illustrations comiques à l’appui. En avançant dans la vidéo et en regardant davantage, on découvre une vision profonde qui veut rendre la connaissance accessible. Abordant de grands noms comme Albert Camus, elle expose avec humour, à l’aide des dessins et photos, la fameuse expression « hier j’ai perdu maman », mais elle ne tarde pas à plonger dans le sens de l’absurde et à analyser la vision de Camus de la façon la plus simple et passionnante. La même chose avec le Nobel égyptien Naguib Mahfouz et son chef-d’oeuvre Sarsara Fawq Al-Nil (dérive sur le Nil). Parce que la booktubeuse Farida fait partie d’une génération qui n’a pas de figure sacrée. Tout est sujet de critique, mais à condition de « comment la présenter », avance-t-elle. Ingénieure, spécialisée dans l’apprentissage de la machine, elle répartit son programme vidéo en séquences bien distinctes. On lit sur l’écran suivant la méthode d’apprentissage visuel : Pourquoi ? Autour de quoi ? Le positif et le négatif dans le livre.

Farida a atteint plus de 11 000 abonnés et 15 600 vues, pourtant ce chiffre n’est pas significatif parce qu’elle n’est pas régulière. Ses débuts, durant la période du coronavirus en 2020, ont été interrompus à maintes reprises. Ses engagements professionnels l’ont souvent prise, mais aussi la difficulté de déployer beaucoup d’efforts dans un hobby et une passion qui n’est pas rémunérée.

Nedal Reads

 En plus de la revue de livres depuis 2017, Nedal présente des lectures de films de fiction ou documentaires, en plus de discussion sur des sujets controversés comme les sujets féministes ou les débats sur la scène culturelle. Les abonnés à sa chaîne Nedal Reads dépasse les 300 000, tandis que les vues de sa chaîne sont proches des 10 millions. Elevée en Arabie saoudite, avant de se baser en Egypte, Nedal maîtrise une langue arabe classique correcte et se plaît à avoir du public dans divers endroits du monde arabe. Amatrice de livres, sa devise est la suivante : « La lecture a le privilège de nous approcher du plus profond de soi et d’enlever la barrière avec l’autre ». 

 

Astuces pour une vidéo réussie :

— La durée : n’est plus une contrainte, elle peut dépasser les 20 minutes, car le visiteur peut naviguer librement.

— Langage simple : l’intelligence de choisir une langue simple pour que le message soit assimilé à 100 %.

— Etre franc et authentique : exprimer son point de vue librement, sans s’autocensurer parce que le récepteur, le public, est sensible et pourrait distinguer le vrai du faux.

— Ne pas suivre les « trends » pour réussir sa vidéo. Les effets de mode disparaissent rapidement.

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