Jeudi, 28 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > Arts >

La terre sans centre de gravité

Névine Lameï, Samedi, 08 avril 2023

Le plasticien syrien vivant à Paris, Mohamed Omran, met en scène à la nouvelle galerie Dar Al-Funoon des personnages qui se sont affranchis de la pesanteur. Ils flottent librement, donnant lieu à des compositions assez ludiques.

La terre sans centre de gravité
Omran vit à Paris depuis 2007. (Photo : Névine Lameï)

« Qui sont ceux qui habitent mes tableaux ? Sont-ils des humains ? Des animaux ? Des machines ? Des créatures extravagantes ? Des objets flottant de partout ? ... ». Le peintre et sculpteur syrien Mohamed Omran se pose tant de questions, à travers sa première exposition en Egypte, qui s’intitule Visiteurs d’un univers parallèle, à la galerie Dar Al- Funoon, à Zamalek.

Né à Damas et vivant depuis 2007 en France, Omran anime un univers souvent coloré, où la force d’attraction n’existe pas. Ses toiles, réalisées essentiellement à l’encre et à l’acrylique, mettent en scène des personnages qui se sont affranchis de tout poids, de la pesanteur qui, normalement, les colle au sol. Ils flottent librement, donnant lieu à des compositions assez ludiques. Ils ont souvent un style vintage qui n’est pas sans rappeler les années 1980.

En moustache ou ayant la barbe soignée, certains d’eux affichent leur masculinité, en costumescravates. Ils ont le visage inquiet, ont l’air un peu perdu, dans une attente calme. Ils portent parfois des masques à gaz, le plus souvent des lunettes noires de soleil, de quoi leur attribuer une dimension angoissante.

Mohamed Omran se plaît dans la fantaisie. Il dessine parfois des hommes en posture inversée (la tête et les pieds sens dessus dessous). S’agit-il d’agents secrets, d’hommes de pouvoir, d’intellectuels contrariés, d’activistes qui ont perdu le nord ? Sur leur trottinette, à vélo ou en voiture, ils n’arrivent pas à se poser. Ils peuvent tenir un fusil ou un pistolet, mais aussi un bouquet de fleurs … Tous les protagonistes de Omran sont des hommes, lesquels peuvent susciter sympathie ou aversion. Ils sont légers et violents, sans destination finale, leurs parcours n’ont ni début ni fin. Bref, on a affaire à des hommes qui errent dans la vie ensemble, isolés même s’ils vivent ensemble sur ses toiles.

Parfois, l’artiste les place parmi les arbres d’une forêt dont les branches ressemblent à des barreaux de fer. Ces arbres ont néanmoins les racines bien ancrées dans la terre. Est-il question de sa Syrie natale ? Celle-ci est effectivement bien ancrée dans sa mémoire. Omran ne cherche pas à se défaire de ses souvenirs, mais à nous en faire part non sans humour. Le tout dans un contexte absurde où ses personnages sont à l’image du drame humain vécu par les Syriens. Il a recours à la déformation, à l’exagération, à l’allégorie pour expliciter tant de choses, s’opposant notamment à toute forme d’autoritarisme.


Hommes mystérieux, avec lunettes de soleil et revolver. (Photo : Névine Lameï)

D’où une certaine extravagance, une excentricité plaisante et dérangeante à la fois. « Cette exposition s’inscrit dans le prolongement de mon travail sur le rassemblement des hommes, sur la foule, un sujet qui renvoie à une dimension sociopolitique intentionnelle. Mon travail sur la Syrie des années 1980 est lié à ma mémoire d’enfant, d’où le look et les traits des personnages. L’influence de mon séjour en France se fait sentir à travers le choix des compositions et des couleurs », précise l’artiste.

Se réinventer

Le corps humain a toujours été au centre de ses intérêts. Encore étudiant aux beaux-arts de Damas, Omran avait déjà commencé à travailler dessus. En France, il a poursuivi ses études supérieures sur l’histoire de l’art à l’Université Lumière Lyon 2. Outre son travail comme artiste professionnel, il signe des articles dans des publications diverses et a également consacré un papier à l’artiste syrien Maher Al-Baroudi, installé entre deux cultures, ainsi qu’un autre sur le corps souffrant dans la peinture syrienne.

Omran a réinventé sa vie en exil. Il s’y est adapté et a décidé de revisiter l’univers surréaliste d’un Jérôme Bosch ou d’un Goya, pour raconter ce que ressentent ses compatriotes et lui-même.


Tout est en sens dessus dessous. (Photo : Névine Lameï)

Jusqu’au 19 avril, à la galerie Dar Al- Funoon, 3 rue Mohamad Mazhar, Zamalek. De 11h à 14h et de 21h à 23h. Les jeudis et vendredis, de 13h à 16h et de 21h à 23h.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique