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Résidence artistique : Une véritable évasion

Dalia Chams , Samedi, 04 mars 2023

La fondation Sawiris pour le développement social a célébré, le 14 février, la fin de la première résidence artistique qu’elle a offerte à 4 jeunes créateurs, lesquels ont passé plus de deux mois au centre des arts au Fayoum. Plus précisément, au village de Tunis, célèbre pour ses poteries. Reportage.

Résidence artistique : Une véritable evasion
La baleine en caoutchouc, près du lac Qaroun.

En arpentant la rue Evelyne Porret (1939-2021), principal chemin de terre du village de Tunis, au Fayoum, on arrive au centre des arts et musée de la caricature, fondés par le célèbre plasticien Mohamed Abla, en 2006, pour accueillir de multiples événements artistiques. Il y tient sa maison construite de façon rudimentaire, depuis plus de 38 ans et a décidé d’y passer le gros de son temps, ces dernières années, laissant la gestion du centre à son fils, Ibrahim, lui-même réalisateur.


Autoportrait de Dina Samuel.

A l’entrée, est affichée une pancarte annonçant la cérémonie de clôture de la résidence artistique, offerte par la fondation Sawiris, et laquelle a commencé il y a environ trois mois. Les bus transportant les invités venus d’un peu partout pour participer à la célébration se sont garés au bord de la rue, portant le nom de la céramiste suisse qui a créé la légende du village en le transformant en un haut lieu de la poterie, dès 1980. Les quatre artistes ayant bénéficié de ce premier programme de résidence égyptien sont issus de différents gouvernorats, de quoi varier les origines des gens présents. Certains étaient de la Haute-Egypte, d’autres du Caire ou d’Alexandrie ; des membres de leur famille, des amis, des universitaires, des journalistes, des responsables de la fondation privée, du secteur des arts plastiques, le gouverneur du Fayoum …

Après avoir siroté un jus de canne à sucre frais ou mangé un bout de fétir (pâte feuilletée traditionnelle), ils ont eu droit à découvrir les 128 oeuvres élaborées par les boursiers de moins de trente ans, qui se réjouissaient tous d’avoir eu la chance de rompre avec leur rythme quotidien et de se retirer de la société pour mieux réfléchir. Car outre l’espace de travail, ils pouvaient trouver un peu plus de solitude avec leurs propres chambres et studios, mais ont également profité des moyens techniques qu’on leur a fournis et d’un encadrement professionnel, grâce à la présence d’artistes confirmés, tels Hazem El-Mestikawy, Mohamed Abla, Nasser Soumi et Reto Steiner, qui les ont coachés durant leur séjour rémunéré au Fayoum.

La joie de pétrir la pâte

L’Alexandrine Engy Omara, née en 1993, s’est régalée en découvrant les ateliers et boutiques de potiers, qui fleurissent dans le village, mais a été surtout séduite par la technique qu’elle a acquise en travaillant avec un maître-potier du bourg voisin d’Al-Nazla, réputé pour sa pâte à modeler, mélangeant l’argile et le foin. « Ceci rend la terre plus résistante une fois portée à chaud. Après séchage, on obtient une grande solidité. C’est une technique qui remonte à l’Egypte Ancienne ; on l’utilise pour confectionner les pots d’argile et les jarres en terre cuite, de forme ovoïde, servant à conserver l’eau ou les aliments. On les appelle les boccal dans le jargon local et bocla au singulier », expliquent l’artisan en djellaba et Engy, devant le trou creusé dans le sol afin de faire cuire les pièces modelées.


Figurines en terre cuite, par Engy Omara.

L’artiste en herbe, diplômée en 2017, expose dans le jardin de la maison des portraits d’argile en ronde-bosse, des visages parfois drôles, souvent aux traits grossiers, empruntant quelque chose à sa joie de vivre. Elle a osé aller plus loin dans ses créations, encouragée par les formes arrondies des boccal.

Dans la grande salle à côté, dont le plafond est soutenu par des planches de bois rustiques, sont accrochées les peintures d’Ahmed Magdy, inspirées de thèmes en lien avec le patrimoine égyptien : des rites servant à exorciser les démons, des femmes devant leur maison campagnarde, lisant le Coran ou s’apprêtant à partir pour La Mecque, des enfants qui jouent dans un terrain vague … Sur la majorité des toiles règne le bleu égyptien, ce pigment synthétique utilisé autrefois sur les sarcophages, les papyrus et les murs des temples. Il s’agit surtout d’un bleu sombre lapis-lazuli, symbole de la voûte céleste et des abysses, mais aussi d’un bleu turquoise, émanant de l’univers aquatique du Nil, d’où jaillit la vie. On reconnaît, sur l’un des tableaux, Nout, la déesse du ciel ; on déchiffre son histoire, ainsi que son époux Geb, le dieu de la terre. Le mythe raconte qu’on a cherché à les séparer pour une durée de 360 jours, mais Nout a réussi à gagner aux dés, contre Thot, le dieu du temps, cinq jours supplémentaires, qui firent passer le calendrier de 360 à 365 jours. C’est durant ces cinq jours qu’elle s’unit à Geb et donna naissance à leurs enfants, Osiris, Isis, Seth et Nephtys.


Ahmed Magdy : des thèmes du patrimoine et un bleu lapis-lazuli.

Ahmed Magdy travaillait tous les matins à partir de 6h, c’est sa femme qui a découvert l’appel à résidence et a soumis son dossier. « Je la remercie vivement. J’ai fait ce que je veux réellement pour la première fois ! Je me suis libéré de tous mes anciens préjugés ! », a-t-il avoué durant la cérémonie de clôture, qui s’est déroulée le 14 février. Le jeune plasticien a apprécié l’environnement, qui lui a permis de se libérer des distractions habituelles, tout comme la troisième candidate de la résidence Dina Samuel, maître-assistant à la faculté de pédagogie artistique du Caire. Sa palette s’est enrichie au Fayoum, comme l’ont révélé ses autoportraits lesquels ont exprimé une recherche féminine de légitimité. Il y avait une certaine volonté d’affirmer sa personnalité, de se représenter avec beaucoup de confiance, loin des contraintes patriarcales. Ses cheveux bouclés assuraient son côté rebelle, sous l’effet de la lumière du soleil qui s’infiltrait par les voûtes de la maison en terre. Les escaliers jouxtant l’un des autoportraits mènent à la terrasse donnant sur le fameux lac Qaroun.

Une énorme baleine en caoutchouc

Au bord de celui-ci, on a installé pour l’occasion la sculpture d’une grande baleine, réalisée à l’aide de pneus usagés et de lamelles en caoutchouc. Ibrahim Salah, originaire de Minya, a été inspiré par la visite de Wadi Hitane (la vallée des baleines), dans le désert occidental, toujours au gouvernorat du Fayoum. Ce site hors pair contient des restes des fossiles du plus ancien ordre des baleines « archaeoceti » ; ils représentent l’une des étapes importantes de l’évolution et permettent la reconstruction des conditions écologiques de cette époque.

La statue se détache désormais à proximité du lac, le gouverneur a déclaré que le terrain vide qui l’entoure serait aménagé en lieu d’exposition en ciel ouvert. « Je préparais la sculpture dans le garage du centre, à Tunis, les habitants venaient y jeter un coup d’oeil et s’assurer que tout allait bien », souligne Ibrahim Salah, ajoutant : « Je n’en avais pas l’habitude, car chez moi je travaillais seul à l’atelier pour exécuter des oeuvres sur commande, là c’était très différent, les gens passaient pour bavarder et échanger ».

Avec cet artiste autodidacte rien ne se perd, tout se transforme en sculptures. Celles-ci sont en mailles de fer, en étal recyclé, en fer tressé, en bouteilles de plastique … telles les oeuvres exposées dans le jardin du centre artistique de Tunis. « Les fruits de cette expérience seront montrés plus tard au Caire, à l’approche du nouvel appel à résidence, vers le mois de mars. Notre fondation vise à favoriser la création et à soutenir les jeunes artistes de carrière, à condition qu’ils aient moins de 30 ans, qu’ils soient égyptiens et qu’ils résident dans le pays. Cette fois-ci, nous avons reçu 500 candidatures, avons présélectionné 20 personnes, pour enfin choisir 4 finalistes », a précisé Nadia El-Ashkar, chargée du programme Education et Bourses auprès de la fondation Sawiris pour le développement social. Etant elle-même assez jeune, elle nous fait vibrer d’enthousiasme.

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