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Mohamed Abdel-Wahed : Ce qui se passe au Burkina Faso et dans d’autres pays africains s’inscrit dans le bras de fer russo-occidental

Sabah Sabet , Vendredi, 03 février 2023

Mohamed Abdel-Wahed, expert sécuritaire et spécialiste de l’Afrique, revient sur les conséquences du départ français du Burkina Faso, la montée de l’influence russe dans la région et les défis sécuritaires. Entretien.

Mohamed Abdel-Wahed

Al-Ahram Hebdo : La France a annoncé qu’elle allait retirer ses troupes du Burkina Faso d’ici un mois, après une demande burkinabé dans ce sens. Pourquoi cette demande ?

Mohamed Abdel-Wahed : En décembre dernier déjà, les autorités de la transition au Burkina Faso ont demandé à la France de changer son ambassadeur à Ouagadougou, en l’accusant de dépasser son rôle diplomatique et de s’ingérer dans les affaires intérieures du pays. La France n’a pas répondu à cette demande. Des manifestations anti-françaises ont alors été déclenchées, réclamant le renvoi de l’ambassadeur et la fermeture de la base militaire française stationnée au nord d’Ouagadougou. Le 23 janvier, les autorités burkinabé ont annoncé vouloir mettre fin à l’accord militaire avec la France, signé en 2018, permettant à la France de stationner 400 forces spéciales pour soutenir le pays dans sa lutte contre le terrorisme. Deux jours après, la France a annoncé qu’elle allait retirer ses troupes dans un délai d’un mois. La France a donc choisi d’obtempérer pour éviter des conséquences violentes.

— Mais la persistance du terrorisme et l’incapacité de la France de l’éradiquer n’ont-elles pas précipité ce départ ?

— La force française ne compte que 400 hommes. Elle ne peut pas à elle seule faire face au terrorisme. La responsabilité incombe aux autorités du pays. Le Burkina Faso est un pays enclavé d’Afrique de l’Ouest, mais il a une importance stratégique, étant situé au coeur de cette région, avec des frontières communes avec le Mali et le Niger. Ce qui facilite le déplacement des groupes terroristes. C’est pourquoi ce pays est, depuis 2015, dans une spirale de violences attribuées à des mouvements affiliés à Al-Qaëda et à Daech. Plus de 40 % du territoire échappe au contrôle de l’Etat, notamment du côté des frontières avec le Mali et le Niger. Donc, le Burkina Faso ne peut pas affronter seul cette menace. Selon la Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Afrique de l’Ouest a besoin de 2 milliards de dollars pour éradiquer le terrorisme.

— Avant le Burkina Faso, le Mali avait lui aussi demandé le départ des Français. S’agit-il d’une baisse de l’influence française dans cette région au profit de la Russie, notamment avec la présence de Wagner ?

— En effet, le sentiment antifrançais s’est accru ces dernières années dans toute la région. L’ombre de la Russie est sans doute là. Ce qui se passe au Burkina Faso et dans d’autres pays africains, anciennes zones d’influence de l’Occident, s’inscrit dans le bras de fer russo-occidental. 37 % des armes en Afrique sont d’origine russe. De plus, Wagner a pu réaliser des succès sécuritaires dans certains pays à l’encontre de la France qui n’a pas pu éradiquer le terrorisme malgré une présence qui remonte à 2012. Et parallèlement au sentiment antifrançais, il y a une montée du sentiment prorusse. C’est notamment le cas au Burkina Faso depuis l’arrivée d’Ibrahim Traoré qui est un allié des Russes, qui l’ont soutenu pour arriver au pouvoir.

— Un rapprochement avec la Russie peutil avoir lieu dans d’autres pays africains ?

— Bien sûr que oui et je pense que ce sentiment commence timidement au Niger. La question, c’est que la Russie se présente aux Africains comme un partenaire qui n’impose pas de conditions, à l’encontre des Occidentaux. De plus, les Africains ont désormais une approche pragmatique pour réaliser leurs intérêts, ils veulent sortir du joug de l’autorité occidentale. Ils préfèrent les partenariats avec les Russes et les Chinois qui les traitent en égaux.

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