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PERSPECTIVES 2023 : Le Golfe s’ouvre sur le monde

Samar Al-Gamal , Mercredi, 21 décembre 2022

L’ascension de jeunes leaders dans certains pays du Golfe a donné lieu à des changements sociopolitiques. Une évolution qui va de pair avec l’avènement d’une génération plus ouverte et plus portée sur la modernité.

Le Golfe s’ouvre sur le monde
(Photo : AP)

2017. Un chef-d’oeuvre de l’architecture, le musée du Louvre d’Abu-Dhabi ouvre ses portes. Un événement culturel et diplomatique majeur.

2018. L’Arabie saoudite organise son premier concert musical mixte, animé par le chanteur égyptien Tamer Hosni.

2022. Une gigantesque tente bédouine sert de stade pour la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de football, organisée pour la première fois dans le monde arabe.

Ces trois événements sont révélateurs des évolutions sociopolitiques en cours dans les pays du Golfe. Trois jeunes leaders sont le moteur de ces évolutions: le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohamad bin Salman, l’émir du Qatar, Tamim Al Thani, et le président des Emirats arabes unis, Mohamad bin Zayed. Plus jeunes que leurs prédécesseurs, ces leaders ont marqué une rupture par rapport à l’ancienne génération. Leurs parents étaient nés dans des tentes bédouines dans le désert, avant la découverte du pétrole et où la vie politique se déroulait dans les majlis, ces rassemblements de chefs de tribus, garants de l’ordre qui se transforment en souverains des pays les plus riches de la région.

Mais à partir de 2013, les petits-fils jouent un rôle prépondérant dans leurs pays respectifs. Et très vite, leur ascension et leur capacité à se positionner en tant que promoteurs de réformes économiques et de visions post-pétrole bouleversent l’ordre établi et révèlent au grand jour une nouvelle génération plus ouverte sur le monde extérieur.

Très rapidement, on assiste à l’arrivée d’un exécutif plus jeune. Le cabinet émirati, à titre d’exemple, comprend pour la première fois des ministres avec une moyenne d’âge de 38 ans.

« Nous sommes aujourd’hui face à une génération très éduquée qui a profité de l’investissement de l’argent du pétrole dans l’éducation et la santé. Les citoyens du Golfe sont de mieux en mieux éduqués. Ils sont plus ouverts, plus libres et bien connectés au monde grâce à Internet, aux voyages et à la formation à l’étranger. De plus, ils ont réussi à conserver l’identité et la loyauté à leurs pays. C’est un énorme changement par rapport aux générations passées », estime Abdul Khaleq Abdullah, professeur d’université aux Emirats arabes unis et chercheur au Centre des études du Golfe à Washington.

Depuis les années 1930 du siècle dernier, les pays du Golfe, avec en tête l’Arabie saoudite et le Koweït, avaient investi dans l’éducation de leurs citoyens en finançant des bourses d’études en Egypte, en Syrie, en Iraq ou en Inde. Cette stratégie allait prendre un nouvel élan des années plus tard avec des bourses entièrement financées par les gouvernements respectifs pour étudier dans des universités occidentales en Europe ou aux Etats-Unis, puis par la création de campus universitaires étrangers sur leurs territoires.

En Arabie saoudite, les dépenses sur l’éducation avoisinent les 20% du budget du gouvernement et sont supérieures aux dépenses militaires. Elles représentent 16,3% du budget émirati de 2022, et 15% au Koweït.

Loin des anciennes idéologies

« Cette génération se caractérise surtout par le fait qu’elle est loin des idéologies proposées jusqu’alors. Elle cherche à accepter l’autre et attend avec impatience la croissance. La génération précédente était frustrée avec tous les revers que nous avons traversés sous le nationalisme arabe. La génération actuelle est celle du changement », croit Abdullah Baaboud, universitaire omanais et chercheur à l’institut Laclom Kerr-Carnegie, joint par téléphone. Majeur indice, le sommet de la Chine avec les pays Arabes à Riyad et qui marquent une rupture de poids avec la traditionnelle animosité envers le communisme. Auparavant, en 2019, le président émirati était l’hôte du Pape du Vatican, pour la première visite d’un souverain pontife dans la péninsule arabique.

Baaboud estime d’ailleurs que les pays du Golfe sont actuellement dans une phase de transition. « Nous sommes entre deux phases. La richesse pétrolière a créé une économie rentière et une psyché rentière, où tout le monde dépend du gouvernement pour tout. Ce schéma a commencé à changer, surtout avec l’augmentation de la population, la réduction des emplois publics, l’annulation de certaines subventions gouvernementales et l’amélioration du niveau de l’éducation. A ceci s’ajoute le fait que l’idée du luxe et du bien-être ne peut plus être soutenue. Aujourd’hui, nous voyons une génération qui compte sur elle-même et qui occupe des emplois qui, auparavant, étaient inadmissibles et abandonnés à la main-d’oeuvre étrangère. Et les femmes assument des rôles dont nous n’aurions jamais rêvé. Il y a du changement, mais c’est juste une passerelle avant d’arriver à la phase suivante où ces nouvelles notions seront bien ancrées ».

Abdul Khaleq Abdullah, lui, parle « du moment du Golfe », une notion qu’il a présentée lors d’un symposium en 2009 et qui est devenue une étude publiée en 2010 à l’Université de Londres, avant de se transformer en livre en 2017 : Le moment du Golfe dans l’Histoire arabe contemporaine. Proche du président émirati, Abdul Khaleq Abdullah explique qu’une « nouvelle classe moyenne a émergé, prête pour l’étape de l’après-pétrole » et que son pays a réussi non seulement à ouvrir des opportunités avec l’infrastructure, le commerce et les voyages internationaux, mais aussi avec la mise en valeur de la culture du Golfe qui a commencé à avoir un impact dans d’autres parties du monde.

Joint par téléphone, Abdullah estime que l’influence et la présence des pays du Golfe sur la scène économique, politique, sociale et médiatique arabe s’accentuent et que le poids économique arabe se déplace vers la région du Golfe. « La décision politique arabe est prise dans les capitales du Golfe après avoir été monopolisée par d’autres villes arabes. Un nouveau centre de gravité même si les pays du Golfe n’avancent pas tous au même rythme ».

Cette nouvelle génération et cette nouvelle classe moyenne ne sont pas le fruit d’une décision politique dans le sens classique du terme. La classe dirigeante s’est rajeunie, sa stratégie a changé, mais la rue, à l’exception du Koweït, n’a jamais été impliquée. « Il ne faut pas croire que le modèle démocratique occidental peut être appliqué ici, même en présence de conseils consultatifs et du rôle influent des médias. Il y a un changement, mais avec une tendance à préserver la stabilité de notre société. C’est un système politique familial, il ne faut pas l’oublier », explique Dr Baaboud. Il dénombre des mesures pour « l’autonomisation » des jeunes afin de répondre aux aspirations de cette génération et renforcer l’Etat des institutions. Il pense qu’il faut encore du temps. « L’économie est encore dépendante du pétrole et du gaz. Au lieu d’avoir les yeux braqués uniquement sur la diversification de l’économie, cette génération doit avoir un regard aussi sur son environnement et soutenir ses homologues dans la région », conclut-il.

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