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PERSPECTIVES 2023 : Plateformes numériques : Une progression à pas de géant

Yasser Moheb , Mercredi, 21 décembre 2022

Les plateformes de streaming ont gagné en popularité ces trois dernières années, notamment à cause de la pandémie. Une percée qui devrait se confirmer en 2023 avec, en perspective, des conséquences sur l’industrie du cinéma.

Plateformes numériques : Une progression à pas de géant
Les habitudes et les modes de réception ont subi beaucoup de changements.

Les plateformes de streaming vont sans doute continuer à se développer, au sein d’une industrie en pleine mutation. Netflix, Amazon Prime Video, Shahed ou Watch it, parmi plusieurs autres, ne cessent de rafler les prix des grands festivals partout dans le monde. Pour la seule année 2022, 7 films de la plateforme Netflix ont cumulé 35 nominations aux Oscars. Cette performance témoigne du pouvoir grandissant du streaming au détriment des salles obscures — encore sinistrées par la pandémie de coronavirus. Il est bien clair que celle-ci a mené à un changement brutal et massif dans les habitudes de consommation du grand public. L’iconique réalisateur américain, Steven Spielberg, en est d’ailleurs un des exemples les plus parlants puisqu’il a signé, via sa société de production, un accord avec Netflix afin de livrer plusieurs longs métrages exclusifs à la plateforme.

Pour rappel, le marché des différentes plateformes de Vidéos A la Demande (VAD) a commencé sa croissance dès la fin de l’année 2017 pour doubler en cinq ans, en passant de 10 à 76 % d’utilisateurs. Partout dans le monde, le confinement a contraint les cinéphiles à se tourner vers les services en ligne. En Egypte, la majorité s’est tournée vers l’application Watch it, lancée en 2019. En mars dernier, « le service a vu une forte hausse des abonnements avec plus de 30 % d’utilisateurs journaliers », explique Moustafa Bekhit, un des responsables de Watch it, en évoquant une hausse des utilisateurs de plus de 89 % pendant le dernier mois du Ramadan.

Durant le mois de jeûne musulman, le service qui possède déjà les droits pour plus de 65 000 heures de contenu en ligne, a acquis de nouveaux droits, notamment pour des téléséries.

Streaming vs fréquentation des salles

Sur les dix premiers mois de 2022, le marché de la VAD en Egypte était en croissance de 37,4 %. Sur la même période, au contraire, la fréquentation des salles a chuté de 39 %, infection persistante par fermetures et couvre-feu oblige ! Cette hausse significative des abonnements ne serait pas un problème en soi si elle n’empiétait pas sur la fréquentation des salles de cinéma. Alors que les plateformes se portent aussi bien, les salles obscures traversent une crise qui continue. Malgré la réouverture des salles depuis 2021 et la pléthore de films en salle, témoignant d’une certaine reprise en ce qui concerne le nombre de productions, l’année 2022 a durablement installé le streaming dans les usages et mis tout le secteur sous pression.

La chute a été vertigineuse il y a deux ans, avec des recettes s’écroulant d’environ 82 %. En Egypte comme partout ailleurs, la majorité des cinémas n’ont eu d’autres choix que de doubler la sécurité et de baisser le rideau durant quelque temps. De ce fait, même si certaines salles sont restées quasi-ouvertes, cellesci étaient si peu nombreuses, de quoi avoir affecté l’économie de l’industrie du cinéma. Une situation intenable qui a mené certains studios à prendre des décisions radicales avec, entre autres, le choix de certains producteurs de stopper leur activité, alors que d’autres se sont dirigés vers la vente de certaines productions à Netflix ou encore l’envoi direct sur des plateformes privées.

Cette baisse historique de l’affluence dans les salles obscures a été constatée ces derniers mois et les exploitants peinent à se remettre de la pandémie. Selon les chiffres annoncés par la Chambre de l’industrie du cinéma et le Conseil suprême de l’organisation des médias, 41 % des abonnés échantillonnés affirment qu’ils vont moins au cinéma, alors que 12 % n’y vont pas du tout, étant abonnés à un service de streaming légal.

S’il n’est question que d’un sondage mené sur 3 000 individus, ces chiffres contredisent tout de même l’hypothèse d’une cohabitation naturelle entre les plateformes de SVOD et les salles de cinéma.

Pour encore nuancer cet état des lieux, il faut rappeler que plus de 70 % de ceux que l’étude définit comme des « habitués du cinéma », ceux qui s’aventurent au moins une fois par mois dans les salles obscures, possèdent au moins un abonnement à une plateforme de streaming.

Une avancée qui divise

Sujets tabous, films censurés dans leurs pays d’origine, scénarios originaux … Sur les plateformes de SVOD, et Netflix en particulier, certaines séries et des films bousculent parfois les codes et suscitent un débat au Moyen-Orient. En Egypte, les autorités égyptiennes ont décidé de délivrer des licences obligeant les plateformes de streaming à respecter les « normes et les valeurs sociétales ».

« Des régulations et des licences pour les plateformes de contenu électronique seront mises en place, exigeant leur engagement à respecter les normes et les valeurs sociétales du pays », a récemment annoncé un communiqué de presse publié par le Conseil suprême égyptien de l’organisation des médias.

Cette décision est intervenue quelques jours après que l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe avaient demandé à Netflix de retirer des contenus jugés « contraires aux valeurs islamiques et sociétales ».

Le Conseil suprême égyptien a donc proposé lui aussi de prendre « les mesures nécessaires en cas de diffusion de contenu contraire aux valeurs de la société ». Et ce, sans préciser ni le mécanisme de mise en oeuvre de ces règles, ni les moyens de les faire respecter par les plateformes.

Au début de l’année 2022, de nombreux Egyptiens se sont attaqués au film Ashab Walla Aäzz (amis ou un peu plus) qui figurait en tête des dix films les plus regardés sur Netflix dans le monde arabe.

Un avocat a soumis une plainte officielle contre le ministère de la Culture et l’Organisme de la censure en Egypte afin d’interdire ce film qui, selon lui, « vise à briser les valeurs familiales ». De son côté, le député Moustapha Bakri a réclamé la tenue d’une session extraordinaire du parlement pour discuter cette question. Car selon lui, le film « n’est pas la première oeuvre diffusée par Netflix portant atteinte aux valeurs morales arabes ou défendant l’homosexualité ».


La projection exclusive du film Ashab Walla Aäzz (amis ou un peu plus) a soulevé une vive polémique.

En juin, le film d’animation Lightyear (Buzz l’Eclair), produit par les studios Pixar de Disney, n’a pas obtenu de licence pour être diffusé dans une douzaine de pays arabes et asiatiques, notamment l’Egypte et l’Arabie saoudite, à cause d’une scène montrant un baiser entre deux femmes.

Les salles obscures menacées ?

Même si certains cinéastes craignent l’effet nocif des plateformes sur l’industrie, ils admettent qu’elles sont devenues un must. « J’ai été contraint de vendre mon dernier film aux plateformes, ce qui m’a fait perdre beaucoup de spectateurs. Regarder un film en salle est complètement différent, mais que faire ? Les plateformes ont tiré profit des bouleversements récents qu’a connus le cinéma », indique le réalisateur et producteur Magdi Ahmed Ali.

Pour sa part, le producteur Mohamad Hefzi juge que la transition vers les plateformes en ligne est un développement tout à fait naturel : « Ces plateformes couvrent les pertes des producteurs provoquées par la pandémie ». Et d’ajouter : « Nous essayons de tourner la situation à notre intérêt. Il est de notre devoir de préserver les salles de théâtre et les cinémas, de peur qu’ils ne disparaissent ».

Ces plateformes numériques restent une méthode d’affichage et de distribution cinématographique, si ce n’est devenu le premier choix. « Le film Saheb Al-Maqam (le saint du tombeau) est sorti exclusivement sur une plateforme, en 2020. C’était un peu le cas des films en vidéocassettes, dans les années 1980 », souligne le critique Tareq Al-Chennawi. Et de poursuivre : « Ceci ne peut aucunement remplacer le plaisir de se rendre au cinéma. Avec le temps, ces plateformes seront un facteur d’aide à la production cinématographique. Elles favoriseront aussi l’émergence de nouveaux artistes dans tous les domaines, tels le scénario, la réalisation, l’interprétation, la photographie et les bandes sonores ».

Une hypothèse optimiste que partage le producteur Mohamad Al-Adl, jugeant que « la présence des plateformes contribuera inévitablement à augmenter le nombre de films produits par an ; ils peuvent même doubler ». Un débat houleux, loin de prendre fin prochainement.

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