C’est à zamalek, au troisième étage d’un ancien immeuble bien entretenu, que se trouve l’institut Taqseem. Sa porte est toujours fermée. Et pour y entrer, il faut prendre rendez-vous à l’avance. Les visiteurs de Taqseem sont invités à enlever leurs chaussures à la porte, et ce, pour 2 raisons: la première pour garder les locaux propres et la seconde est que les leçons de danse baladi se font pieds nus. Une fois à l’intérieur, les yeux restent rivés sur des affiches anciennes de danseuses comme la troupe de Badiaa Massabni, Samia Gamal et Tahiya Karioka. Chaque panneau porte quelques extraits de l’histoire de ces grandes danseuses orientales des années 1940, 50 et 60. Au fond de la salle, un rideau imprimé en noir et blanc sur lequel on peut voir une embrassade entre les deux danseuses orientales phare, Samia
Gamal et Tahiya Karioka. A gauche, une photo d’Amie Sultan, vêtue en costume de danse noir et blanc, est accrochée sur le mur. Etant décoratrice d’intérieur, son métier lui permet d’exprimer sa créativité en décorant cet institut de façon originale.
Des motifs, des dessins, des photos visages des danseuses, leurs surnoms dans les vieux films sont collés sur les chaises ou accrochés aux murs. Dans son bureau, elle a suspendu, sur un stand, un costume de danse orientale avec paillettes scintillantes et broderies. Et juste à côté se dresse une bibliothèque qui attire les regards et dont les étagères sont garnies de livres de décor et de danse classique. Sur ce meuble elle a suspendu un oeil d’Horus bleu, peut-être pour conjurer le mauvais oeil.

Amie Sultan est fière d’avoir obtenu l’accréditation du Conseil international de la danse. (Photo : Ahmad Agami)
« Tarab est la société mère créée l’année dernière. Cette société compte réaliser trois projets. Le premier est l’institut Taqseem pour l’apprentissage de la danse, le second est le projet de recherche de documentation sur la danse orientale et le troisième vise la création d’une société de production pour mettre au point tout ce qui a une relation avec le patrimoine de la danse comme la documentation, les styles et les accessoires », déclare Amie Sultan, danseuse qui gère Tarab. En continuant la visite des locaux de Taqseem, on peut lire sur les portes les phrases suivantes, comme Rokn Al-Fan (le coin de l’art), Salet Badiaa (la salle de Badiaa), Soltanet Al-Tarab et d’autres appellations. « J’ai voulu créer une atmosphère qui accroche les visiteurs au vrai monde de la danse. Une façon de donner envie de danser et faire rejaillir les souvenirs d’une époque où la danse orientale avait connu son âge d’or », décrit Amie.
Un important travail de documentation
Taqseem compte aussi inscrire la danse égyptienne au patrimoine immatériel de l’Unesco. « L’apprentissage de la danse est un des objectifs de la création de cet institut, mais je tiens aussi à me documenter sur l’histoire de la danse orientale en Egypte, particulièrement le baladi (style populaire), car à une certaine époque, nos archives ont été volées. Des bibliothèques et un musée en ligne ont exploité ce trésor artistique », explique Amie Sultan. Faire de la recherche documentaire est déjà un travail ardu. Amie s’est mise d’accord avec Fekri Hassan, expert en patrimoine, qui a un groupe de travail, et Nancy Ali, professeur d’histoire, pour rassembler de nouveau les informations concernant la danse baladi en visitant toutes les régions du pays pour préparer un film documentaire sur les types de danse dans les différents gouvernorats. « Ceci va prendre des années, car il s’agit de décrire et d’enregistrer sur vidéo les différents genres de danse. Je pense que c’est trop général de désigner la danse égyptienne comme étant une danse orientale, car le terme peut aussi représenter la Chine, l’Inde ou la Turquie qui est un pays limitrophe, à cheval sur l’Europe et l’Asie, de part et d’autre du détroit du Bosphore », souligne Sultan. Elle ajoute que la danse orientale a beaucoup évolué. A l’époque pharaonique, durant l’Egypte Antique, la danse faisait partie des rites sacrés, et des gravures montrent des filles faisant des dandinements du corps et la présence de la flûte l’atteste. Malgré les gestes espagnols et turcs qui ont été introduits à la danse égyptienne grâce à Badiaa Massabni, bouger sur les rythmes des instruments orientaux de musique comme le luth, le tambour et le qanoun permet de conserver l’esprit de la danse égyptienne.

Un art, un sport, un plaisir
A Taqseem, le fait d’apprendre à danser est un plaisir irremplaçable. Parmi les abonnées, il y a celles qui veulent faire du sport, et pour d’autres, faire de la danse leur métier. Evidemment, celles qui veulent devenir danseuses ne peuvent avoir une activité professionnelle ailleurs durant toute la période des entraînements, car cela demande 150 heures d’exercices intensifs pour arriver à lancer un projet lié à la danse orientale ou plutôt baladi, comme Amie préfère l’appeler. Amie Sultan souhaite que le métier de danseuse ne soit pas réservé à celles qui n’ont pas réussi leur scolarité ou celles rejetées par leurs familles alors qu’elles sont passionnées par la danse.

Des photos des danseuses stars du cinéma noir et blanc ornent l’institut Taqseem. (Photo : Ahmad Agami)
« Je veux que la danseuse comprenne ce que la danse peut lui apporter, connaître son histoire et savoir tout ce qui a un rapport avec ce bel art », précise-t-elle. Sultan est l’exemple de la danseuse cultivée. Elle a été ballerine et a étudié le décor à Londres avant de changer de carrière car elle aime les rythmes et les sons des instruments orientaux. Elle a choisi le mot Taqseem pour cette école de danse, car chaque instrument porte un timbre spécifique qui peut se traduire en mouvement du corps durant la danse.
Depuis l’inauguration de l’institut au mois dernier, 2 femmes seulement ont été admises aux cours et entraînements intensifs pour devenir danseuses professionnelles. « Mon rêve de petite fille était de devenir danseuse. La danse, c’est de l’art mais c’est aussi un excellent moyen pour se divertir. Danser me rend heureuse avant de rendre les autres heureux, c’est une immense source de joie. Je souhaite que mon nom soit lié au bonheur et au divertissement… comme par exemple Aya Saada (bonheur) », dit Aya qui a découvert la présence de cet institut via Facebook. Elle voulait tout apprendre pour bien commencer: les gestes adéquats pour bouger son corps, ses hanches, ses bras en tous sens, et ce, afin de réaliser un spectacle homogène tout en gardant son équilibre sur les rythmes de chansons folkloriques égyptiennes. « Je m’entraîne dans un environnement tranquille, foisonnant de connaissances en matière de danse et en plus accrédité par le Conseil international de la danse », précise Aya.

Se documenter sur l’histoire de la danse est un objectif pour mieux évaluer ce métier.
Changer l’image de la danseuse
D’un autre côté, Amie Sultan tient à changer le regard péjoratif de la société concernant le métier de danseuse. Malheureusement, les oeuvres cinématographiques ont lié l’image de la danseuse à celle d’une femme de mauvaise vie. C’est pour cette raison que Sultan pose des restrictions en délivrant le certificat de l’institut, à savoir que la danseuse ne doit pas danser dans un cabaret ou une boîte de nuit. Mais il est permis de danser dans les hôtels 5 étoiles, à l’occasion d’un mariage ou d’autres fêtes.
Aujourd’hui, la danse orientale attire aussi de nombreuses étrangères. Nombre d’entre elles ont excellé dans le métier et sont aujourd’hui des danseuses de renom en Egypte. Et il y a aussi celles qui le font pour le plaisir. La danse baladi, c’est à la fois un art, un divertissement et un sport, comme Rana, une comptable qui trouve aujourd’hui son bonheur dans la danse. « Je fais de la danse orientale deux fois par semaine. Au début, c’était pour perdre du poids, car c’est bien plus sympa que d’aller à la salle de gym. La danse me permet aussi de me libérer des tensions et du poids du quotidien, c’est une vraie thérapie, bref, c’est tout bénef ! », conclut Rana.
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