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Dans le monde arabe, un stress hydrique général

Nada Al-Hagrassy , Mercredi, 17 août 2022

Du Machreq au Maghreb arabes, en passant par la région du Golfe, la plupart des pays arabes souffrent d’une grave pénurie d’eau. Si pour certains le réchauffement climatique est le premier accusé, pour d’autres, les enjeux géopolitiques aggravent la situation. Focus

Iraq  : Une situation inquiétante

Iraq : Une situation inquiétante

De sinistres images font le tour des réseaux sociaux: un jeune Iraqien faisant du jogging sur ce qui était autrefois l’Euphrate, dont le niveau de l’eau touche à peine ses pieds; un éleveur en détresse face à ses bêtes mortes de soif et de famine. Invraisemblable, le pays du Tigre et de l’Euphrate est désormais frappé par une violente sécheresse. Comme la Syrie, les enjeux politiques internes et les guerres successives ont profondément affecté son infrastructure hydrique. L’endommagement de ceux-ci remonte aux années 1990, quand l’embargo a bloqué l’importation des pièces de rechange. Usées par le temps, ces infrastructures causent actuellement la perte de plus de 60% de la quantité d’eau avant son arrivée aux foyers et aux champs de culture. D’ailleurs, outre la réduction du taux de pluie, le réchauffement climatique montre ses dents avec des températures ayant atteint 50°c cet été. Cette canicule a, à son tour, conduit à l’augmentation de la consommation quotidienne d’eau par habitant pour atteindre 200L par H/J, ce qui constitue le double de la moyenne mondiale, selon l’Onu. Autre défi: la croissance démographique pèse de plus en plus sur les ressources hydriques du pays. L’Iraq comptera quelque 50 millions d’habitants d’ici 2030, enregistrant ainsi une augmentation de dix millions d’individus en plus. « Le déficit en eau sera alors de 37 % », selon l’Institut iraqien d’énergie.

La crise de l’eau en Iraq est également provoquée par des enjeux régionaux. En fait, le Tigre et l’Euphrate prennent leur source en Turquie et traversent l’Iran. Donc, à chaque nouveau barrage ou réservoir construit là-bas, le débit diminue en Iraq. Et l’Iran utilise bien cette arme pour faire passer son agenda politique au sein de la classe dirigeante iraqienne et à travers ses milices, tandis que le barrage d’Ilisu, construit par la Turquie, réduit encore plus le débit du Tigre en remplissant ses réservoirs. Malheureusement, la crise politique actuelle en Iraq entrave davantage la résolution de cette crise.

Syrie : 40 % d’eau potable en moins en dix ans

Dans le gouvernorat de Hassaké, en Syrie, plus de 700000 personnes sont touchées quotidiennement par la pénurie d’eau et de manque d’électricité. En fait, avant 2010, 98% des habitants des villes syriennes avaient un accès sûr à l’eau potable. Le déclenchement du conflit syrien a détruit l’infrastructure, bloquant ainsi l’accès de la population à l’eau potable en diminuant la consommation de 40%. De même, à cause du conflit, la production d’électricité, dont dépend l’approvisionnement en eau, a chuté de 70%. Egalement, les services d’approvisionnement ont perdu plus de la moitié de leur personnel qualifié sans pouvoir assurer la formation correcte de leurs successeurs.

D’autres enjeux régionaux s’ajoutent à la crise: la Turquie utilise l’eau comme arme de guerre contre ses voisins la Syrie et l’Iraq. La construction, par Ankara, de barrages sur les rivières du Tigre et de l’Euphrate, sous prétexte de développement de l’Anatolie orientale, nuit considérablement aux pays en aval, en particulier la Syrie, amputée d’une partie considérable de l’eau de l’Euphrate. Ce qui envenime encore plus la situation est le rejet quasi total de la Turquie de toute tentative de division de l’eau, sous prétexte que « c’est de l’eau turque ». Ayant le même effet partout, le réchauffement climatique a réduit la quantité de pluie qui irrigue les champs de blé au nord-est de la Syrie. Ce qui rend la population plus dépendante à l’importation des denrées alimentaires.

Mauritanie : Le défi du changement climatique

La plupart de la surface de la Mauritanie se trouve dans le Sahara. Sa situation géographique fait d’elle l’incarnation parfaite des effets désastreux du réchauffement climatique. Ses zones rurales connaissent régulièrement des pénuries d’eau à cause de la baisse du taux des pluies. Aussi l’insuffisance des capacités techniques et financières de l’Office national mauritanien des services d’eau (ONSER), chargé d’alimenter en eau plus de 800 centres ruraux, rend la situation encore plus difficile. D’après un document posé à la Banque Africaine de Développement (BAD), les besoins journaliers en eau potable sont de 100000 m3 p/j, alors que la production actuelle se situe autour de 55000 m3 p/j fournie par la seule nappe d’eau potable disponible du Trarza au sud-ouest. Les autorités disent aujourd’hui qu’elles sont déterminées à mettre fin à cette situation. Avec un coût estimé à 15 milliards d’ouguiyas, soit 40 milliards de dollars, une somme offerte par la Banque islamique du développement, le gouvernement procède à la création d’un projet de réhabilitation et d’extension du réseau de distribution en eau courante à la capitale mauritanienne.

Arabie saoudite : Le dessalement de l’eau de mer comme solution

Paradoxe. L’Arabie saoudite est classée comme l’une des nations les plus pauvres en eau, même si la majorité de ses citoyens ont accès à l’eau potable. Alors que le niveau de pénurie d’eau est de 500 m3 par habitant et par an, l’Arabie saoudite ne compte que 89,5 m3 par habitant et par an à cause d’une forte surconsommation et un manque de sources d’eau renouvelables. Les niveaux de consommation d’eau par habitant en Arabie saoudite sont le double de la moyenne mondiale avec 263 litres par jour. En fait, en Arabie saoudite, il n’y a que deux sources d’eau : le dessalement de l’eau de la mer et les eaux des puits profonds qui représentent 98% de l’eau douce consommée actuellement. « La majeure partie de l’eau pompée vient de nappes aquifères fossiles, et d’après certaines prévisions, ces ressources pourraient être asséchées dans 25 ans », souligne un rapport de la FAO publié en 2008. Pour relever ce défi, l’Arabie saoudite a lancé un programme national appelé « Qatrah » (goutte d’eau). Il s’agit de réduire la consommation d’eau d’environ 43% pour atteindre 150 L par H/J, à travers le changement du comportement individuel, tout en sensibilisant les consciences sur l’importance de protéger les ressources naturelles du royaume.

Jordanie : Le niveau de la mer Morte en baisse continue

La Jordanie est le 5e pays du monde le plus pauvre en eau à cause de plusieurs facteurs, dont le changement climatique, l’ensablement du Jourdain, la croissance démographique et l’afflux de migrants. « La Jordanie est l’un des pays les plus arides au monde. Il y tombe moins de 200 mm de précipitations par an. L’afflux des réfugiés rend la situation critique. Selon le Royaume, ils sont aujourd’hui 1,4 million, soit 15 % de la population. Les réfugiés syriens ont fait grimper les besoins en eau d’environ 21 % dans tout le Royaume, et de 40 % dans le nord du pays », explique Eng. Iyad Dahiyat, ministre jordanien de l’Eau. Vu cet état critique, le Royaume hachémite développe une stratégie pour collecter et distribuer toutes les sources d’eau dont elle dispose. Il s’agit de la désalinisation de l’eau de la mer Morte, affectée déjà par cette pénurie d’eau. Selon les rapports des organisations jordaniennes de protection de l’environnement, « le niveau d’eau de la mer Morte baisse chaque année de 1,5 mètre ». Les experts constatent que le projet israélien visant à détourner les eaux du Jourdain vers le désert du Néguev a beaucoup affecté le quota d’eau que la Jordanie compte déstaliniser. Outre le traitement des eaux usées, la population jordanienne a pris l’habitude de récolter l’eau de pluie sur les toits plats des maisons. Mais cette récolte n’est qu’une petite goutte d’eau pour le besoin du pays.

Maroc : Sévère déficit pluviométrique

La situation au Maroc est l’une des pires avec seulement 600 m3 d’eau par habitant et par an, le Maroc se situe largement sous le seuil de la pénurie hydrique à cause du réchauffement climatique et une gestion hydrique inefficace. En fait, le royaume du Maroc subit depuis un bon moment les effets des changements climatiques. Il s’agit d’un sévère déficit pluviométrique depuis septembre 2021 et une baisse alarmante des réserves des barrages de près de 89% par rapport à la moyenne annuelle, selon les statistiques officielles. Pour contenir les effets dévastateurs de la sécheresse, le gouvernement a débloqué à la mi-février un programme d’aide au secteur agricole de près d’un milliard d’euros. Seulement 2 villes: Marrakech au sud et Oujda à l’est ont eu recours depuis fin décembre à la nappe phréatique pour assurer leur approvisionnement. Les autres villes ont principalement recours au dessalement de l’eau de mer. Sans véritable succès. La station de dessalement de Casablanca est toujours en chantier et la ville est menacée d’un déficit en eau dès 2025.

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