Jeudi, 28 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > Au quotidien >

Le dur labeur des charbonniers

Chahinaz Gheith , Mercredi, 03 août 2022

Utilisé pour chauffer les foyers ou pour faire griller les aliments, le charbon de bois est obtenu au terme d’un dur et minutieux travail. Focus sur le métier de charbonnier.

Le dur labeur des charbonniers
(Photo : Mahmoud Khaled)

Au village d’Inchass, dans le gouvernorat de Charqiya, à environ 40 km du Caire, une épaisse fumée noire émane d’une charbonnière et se propage dans les environs. Couverts de suie et de sueur, le visage noirci, une douzaine d’hommes travaillent sur des monticules de charbon de bois brûlants. C’est une ruche d’abeilles. L’un est en train de couper le bois, le deuxième l’empile verticalement, le troisième le recouvre pour rendre le tas étanche à l’air et le quatrième met le feu, et le tour est joué !

En fait, c’est un peu plus compliqué qu’il n’y paraît. La poussière brûlante fait suffoquer ces hommes qui s’activent dans une fournaise et passent leurs journées de travail au milieu des fumées, sans porter de masques ou même de gants. Le tout pour un maigre salaire mensuel d’environ 2000 L.E. « La fumée ne m’affecte pas vraiment. Je suis né dedans, je me baigne dans le charbon », lance Mohamad Haroun, un charbonnier, habitué à travailler ici depuis plus de 25 ans. Charbonnier de père en fils, il est responsable de la construction et du fonctionnement d’une meule, sorte de four hémisphérique dans lequel se fait la transformation du bois en charbon. Son quotidien est rythmé par la fabrication du charbon de bois, de la coupe à l’ensachage, en passant par la carbonisation.

Toutefois, être charbonnier n’est pas de tout repos. Sa journée débute à 5h. Elle ne prendra fin qu’à 17h, lorsqu’il tombera de fatigue. Haroun dit connaître les rouages de ce métier qui représente, pour lui, toute sa vie. Pour lui, fabriquer du charbon est un art, un savoir-faire qui n’admet pas l’erreur. Il explique que la production de charbon de bois se déroule en plusieurs étapes. Tout d’abord, les travailleurs ramassent des branches d’arbres et les recouvrent d’une couche de paille et d’une couche de poussière de charbon. La combinaison doit être chauffée pendant dix jours jusqu’à ce que le bois se transforme en charbon de bois. Exposé à une chaleur de 100°C, le bois se transforme en charbon par la combustion du monoxyde de carbone, de l’hydrogène, du méthane et du gaz carbonique. A la fin du processus, le goudron compose près de 30% du poids du charbon de bois, tandis que la proportion de carbone est fixée à environ 75%, le pourcentage normal du charbon commercial.

Pour purifier le charbon de bois du goudron, la température est portée à environ 500°C. Une poussière noire omniprésente rend le métier extrêmement salissant. De là vient l’expression « noir comme un charbonnier ». Ensuite, le charbon de bois est emballé dans de grands sacs pour être distribué localement et exporté.


Environ deux tonnes de bois produisent une tonne de charbon de bois. (Photo  : Mahmoud Khaled)

Une technique ancestrale

Mais si le bois est produit localement, il est relativement rare dans un pays majoritairement désertique comme l’Egypte. Environ deux tonnes de bois produisent une tonne de charbon de bois. En fait, il est difficile de dater le jour où l’on découvrit que la carbonisation partielle du bois permettait d’obtenir du charbon de bois. On sait que 5000 ans av. J.-C., les premiers métallurgistes utilisaient déjà le charbon de bois. Chez les Egyptiens, on utilisait le charbon de bois pour l’embaumement des corps.

Aujourd’hui, l’Egypte fait partie des dix premiers producteurs de charbon de bois au monde avec une production représentant 3 % de la production mondiale, selon le ministère de l’Environnement. L’Egypte exporte 30000 tonnes de charbon de bois par an. Les Pays-Bas et la Finlande figurent sur la liste des importateurs de charbon de bois égyptien. « Dans le passé, le charbon était utilisé comme source de combustible pour la production d’électricité. Mais, de nos jours, il est principalement utilisé pour chauffer les bâtiments domestiques et faire griller les aliments », souligne Islam Zakariya, un autre charbonnier. Et d’ajouter que différents arbres produisent différents types de charbon de bois. Le bois du manguier et de l’oranger est carbonisé pour fumer la chicha, tandis que le charbon de bois du casuarina, du camphrier et de l’olivier est utilisé dans les barbecues. Zakariya confie que le travail est fatiguant, pénible et que le soulèvement des troncs d’arbres lui donne le mal de dos. Pourtant, il ne veut pas arrêter de travailler. « Nous sommes plus de 300 familles qui dépendent de la fabrication du charbon. S’ils ferment ça, ça va être très difficile, un coup très dur pour nous », dit-il.

En effet, la production du charbon est l’une des professions les plus dangereuses et les plus exigeantes. Le charbon empoisonne lentement ces « gueules noires », mais c’est leur seul revenu. Les charbonnières figurent parmi les principales causes de la pollution de l’air. D’après l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS), le nombre de charbonnières s’élève à environ 3 000 réparties sur les différents gouvernorats d’Egypte, notamment à Qalioubiya, Gharbiya, Ménoufiya et Charqiya. Mais leur nombre réel est certainement plus élevé et dépasse les 5 000.


A l’aide de pelles, les ouvriers creusent et broient le charbon de bois, le tamisent puis l’ensachent. (Photo  : Mahmoud Khaled)

Un grand dilemme

Le ministère de l’Environnement reçoit chaque année des centaines de plaintes des habitants des gouvernorats de Qalioubiya et de Charqiya qui souffrent de toutes sortes de maladies pulmonaires à cause de la fumée qui se dégage des charbonnières. Pour lutter contre ces fumées toxiques, le gouvernement déploie des efforts pour limiter les émissions nocives issues des charbonnières. « Le gouvernement a mis en place un plan pour réduire les émissions de dioxyde de carbone provenant des charbonnières en utilisant des fours modernes et moins polluants et en les relocalisant loin des zones habitées », explique Dr Mohamad Salah, du ministère de l’Environnement. Il ajoute que des campagnes d’inspection ont été lancées dans les gouvernorats où se trouve un grand nombre de charbonnières. Des procès-verbaux ont été également dressés contre les charbonnières qui ne sont pas conformes aux normes de la loi sur l’environnement. Ainsi, les propriétaires de charbonnières, qui ne se conforment pas à la loi sur l’environnement, sont contraints de changer d’activité ou de transférer leurs charbonnières en dehors des zones habitées. Sans oublier le protocole de coopération qui a été signé entre les ministères de l’Environnement et de l’Agriculture et les gouvernorats de Qalioubiya, Gharbiya et Charqiya, pour mettre en place un mécanisme de lutte contre les activités polluantes, notamment celles liées à l’incinération du bois, de la paille de riz et des déchets agricoles. Mais tous ces efforts n’ont pas encore réglé le problème. Le nombre de charbonnières traditionnelles ne cesse d’augmenter.

Ahmad Mansour, propriétaire d’une charbonnière, reconnaît que les autorités doivent agir lorsque les activités sont menées sans être réglementées. Pourtant, le fait d’acheter des fours modernes est une tâche difficile, selon lui, étant donné que le coût d’un four varie entre 400000 et 700000 L.E. Un prix extrêmement élevé. « Le gouvernement et le ministère de l’Environnement s’occupent de la qualité de l’air mais nous, les propriétaires des charbonnières, avons besoin de facilités et de prêts pour régulariser notre situation », dit-il. Et d’ajouter que bien qu’il ait modernisé son fourneau, il n’a pas pu obtenir de permis pour exercer son métier. Quant aux ouvriers, ils ne s’intéressent qu’à leur gagne-pain.

Dr Mohamad Al-Malki, professeur d’immunologie à la faculté de médecine, estime que 16% des charbonniers, qui travaillent constamment dans un environnement enfumé et sans protection, sont touchés par la pneumoconiose ou « maladie pulmonaire noire ». « Le mieux c’est que l’on ne produise pas de charbon, mais c’est le moyen de subsistance quotidien de ma famille », affirme Salah Azab, un charbonnier. Il s’agit là d’un dilemme: transformer le bois en charbon ou prendre soin de sa santé et se retrouver sans emploi. Même si les risques sont connus, ils sont minimisés par ceux qui les prennent, car c’est leur gagne-pain. Chacun y trouve ou croit y trouver son avantage.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique