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Dans l’arène des chiens de rue

Dina Bakr , Mercredi, 03 août 2022

Dans le cadre de la lutte contre la rage, une équipe de bénévoles collabore avec les autorités pour appliquer des solutions plus clémentes envers les chiens errants. Tournée.

Dans l’arène des chiens de rue
(Photo  : Magdi Abdel-Sayed)

«  Mes enfants n’arrivent pas à sortir seuls de l’entrée de l’immeuble à cause d’un nombre de chiens à l’extérieur ». « L’aboiement de ces bêtes pendant la nuit me provoque un trouble de sommeil ». « Leurs voix après minuit nous font sentir l’approche d’un danger». Ces cris lancés dans différents quartiers montrent l’angoisse des Cairotes vis-à-vis des chiens errants qui sont des vecteurs ambulants de maladie. Des piétons risquent ainsi d’être contaminés par la rage en cas de morsure. Mais les solutions adoptées depuis longtemps par les municipalités ne sont toujours pas efficaces, surtout que les responsables de ce dossier se trouvent coincés entre le marteau des défenseurs des droits des animaux qui luttent contre la violence menée envers les chiens de la rue et l’enclume des habitants des quartiers qui craignent d’être victimes d’une morsure. Une situation qui a poussé certains bénévoles à chercher une solution au problème.

Le point de départ de cette quête de solution a été la quatrième porte d’entrée, au nom de Mina, au quartier de Hadayeq Al-Ahram, à Guiza. Ce lieu est l’endroit prévu pour la rencontre des sauveurs ou plutôt des amis des chiens. Ces bénévoles portent des vêtements confortables pour parcourir les rues, afin de trouver des chiens errants dans les quatre coins de la capitale. Objectif: effectuer des opérations de stérilisation et de vaccination pour ces bêtes. Cette campagne fait partie de la stratégie nationale 2030 lancée par le gouvernement ayant pour but de lutter contre la rage (conformément aux objectifs du programme de l’Onu pour le développement durable). « Cette maladie touche les mammifères et peut contaminer l’homme en cas de morsure ou de graves griffes. L’Etat a donné signal pour l’éradiquer à travers une collaboration sérieuse entre la société civile, les bénévoles et l’Organisme général des services vétérinaires, et ce, en lançant des campagnes de sensibilisation, de vaccination et de stérilisation », explique Nada Hafez, coordinatrice dans cette campagne.

D’après Gamal Salem, directeur général à l’Organisme des services vétérinaires, 69 personnes décèdent par an à cause de la rage. Et en 2021, 522000 citoyens ont pris le vaccin contre la rage. « La vaccination des personnes est beaucoup plus chère que celle des chiens. Ce genre de campagne qui vise à donner le vaccin à ces animaux est primordial, afin de résoudre le problème d’une manière radicale et de réduire les coûts et les dégâts », souligne-t-il.

Sur le terrain de chasse

Une atmosphère de solidarité règne entre les bénévoles qui parcourent les rues à la recherche de chiens errants. Avant le départ sur le terrain, ils s’approvisionnent en eau, aliments secs pour les partager avec ceux qui auront faim et soif parmi l’équipe qui compte souvent une dizaine de personnes. Nada souligne le message véhiculé par cette équipe de bénévoles en portant un tee-shirt qui appelle à ne pas tuer les chiens errants. Elle essaye d’organiser le travail entre les membres de l’équipe en précisant les lieux ciblés pour rassembler les chiens. La personne la plus essentielle dans cette mission est Yéhia Ali. Un chasseur syrien qui vient le plus souvent dans une voiture équipée d’une cage pour accueillir les bêtes. Il a une formation spéciale pour remplir cette tâche et transmet son savoir-faire aux autres bénévoles.

Yéhia tient avec habileté le chien par l’arrière du cou. Une manière qui ne provoque pas la bête, mais au contraire, la tranquillise car, selon lui, leurs mères les portent de cette manière. Cependant, il se sert d’une seringue d’anesthésie pour contrôler les chiens actifs ou agressifs. « Depuis 2 ans, le gouvernement a accepté d’avoir recours à de nouveaux moyens pour faire face au nombre galopant de chiens errants dans les rues. Des solutions qui pourraient être plus humaines que celles utilisées auparavant comme l’empoisonnement de la bête ou le fait de les abattre par des cartouches. » Et d’ajouter: « Au gouvernorat de Guiza, on identifie sur une carte via Google Maps l’endroit des chiens vaccinés et stérilisés pour que la région où ils se trouvent paraisse comme green zone (zone verte), c’est-à-dire que les chiens errants dans ce quartier ne représentent aucun danger pour les piétons », commente Nada.

Une base de données

La vaccination a lieu chaque année et les chiens stérilisés portent des marques auriculaires. « Il y a aussi un enregistrement continu des coordonnées de chaque chien vacciné dans les rues ciblées par cette campagne, comme l’autocollant du vaccin, sa date, le sexe du chien et le nombre des chiens vaccinés ou stérilisés dans cette région », explique Nada, en poursuivant que les campagnes de vaccination ou de stérilisation se font à travers les dons des amis des bêtes.


Ces bénévoles parcourent les rues du Caire pour vacciner et stériliser les chiens. (Photo  : Magdi Abdel-Sayed)

Le prix du vaccin contre la rage s’élève à 25 L.E., et l’Organisme général des services vétérinaires le vend sans aucune marge de bénéfice, et ce, afin de garantir l’accès des bénévoles au plus grand nombre de chiens et garantir par la suite le succès de cette campagne de prévention. Quant à l’opération de stérilisation, elle est plus chère et coûte 700 L.E. pour la femelle et 600 L.E. pour le mâle. « La stérilisation est très importante, car elle aide à réduire les accidents de morsure contre les piétons. Ces bêtes semblent être plus agressives durant la saison de reproduction. D’ailleurs, les femelles deviennent querelleuses suite à l’accouchement. Le but de cette procédure est donc de calmer ces animaux, afin que les rues soient plus tranquilles et aussi silencieuses, car l’aboiement continu durant cette période pourrait aussi provoquer les humains contre eux. Ce qui peut pousser les habitants dans certains quartiers à empoisonner les chiens », commente Hani Thomas, bénévole qui est en passe de créer un projet de sensibilisation soulignant l’importance de chaque animal dans le système écologique.

Cette sensibilisation tient au fait que la loi de l’agriculture n° 53 de l’année 1966 a annulé le décret du 5 juin 1902 qui pénalise toute personne faisant preuve de violence contre un animal. Le problème devient plus sérieux si on prend en considération que l’empoisonnement est un moyen bon marché et à la portée de tout le monde pour mettre fin à la vie des chiens qui pourraient perturber les habitants par leur aboiement ou les piétons par leurs attaques. Le prix d’un kilo de poison ne dépasse pas les 12000 L.E., alors qu’un demi-gramme suffit pour tuer un chien.

Selon Lobna Helmi, présidente de la Fondation de la protection de l’animal à Al-Tagammoe Al-Khamès, l’empoisonnement ou les tirs aux cartouches n’étaient pas des solutions effectives, car les chiens ont une plus grande capacité à se reproduire : un couple de chiens est capable de mettre au monde une vingtaine de chiots par an. D’ailleurs, ces bêtes changent souvent de lieu de résidence et peuvent par la suite se déplacer et quitter le quartier où ils vivent en cas de menace. « Il est donc grand temps de trouver d’autres solutions », conclut-elle.

Pour sa part, Nada Hafez fait confiance à la sensibilisation en accrochant des pancartes dans les rues ou en partageant des messages sur les réseaux sociaux comprenant des informations qui expliquent la nature des chiens, leurs caractères et les moments où ils peuvent représenter un danger. Elle explique que leurs aboiements par exemple pendant la nuit pourraient être utiles aux habitants plutôt qu’une source de bruit. Ceci est dû à leur nature de gardien qui interdit aux chiens étrangers à leur lieu de résidence de s’y infiltrer. « C’est tout simplement son seul moyen de s’exprimer », explique Tamer Ramzi, ingénieur qui milite avec ce groupe de bénévoles pour les droits des chiens à la vie.

Les efforts de ces bénévoles ne se limitent pas à la vaccination, la stérilisation et la sensibilisation. Il s’agit aussi de trouver des abris aux chiens vulnérables. « On accueille ici les chiens qui ne peuvent pas vivre dans la rue car ils risquent leur vie, comme ceux qui sont atteints d’une paralysie, les non-voyants, les sourds et muets, ceux qui souffrent d’une malnutrition ou autres », énumère Lobna Helmi. Sa fondation, qui a inauguré un abri, leur réserve 2000 places.

Bien que ces bénévoles rencontrent de véritables crises financières, ils comptent beaucoup sur leur profonde conviction de la noblesse de leur cause, celle de défendre ces animaux domestiques et leur droit d’exister dans la rue sans menace à leur vie ni à celle des passants. « Les défenseurs des droits des animaux en Egypte ne cessent de gagner en ampleur. Les rangs des bénévoles s’allongent. Malgré les défis, on rencontre aussi des personnes qui nous aident gratuitement comme les vétérinaires, qui sont prêts à toucher la moitié de leurs payes pour sauver un animal mourant », dit Lobna Helmi.

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